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Colombie : La Cour constitutionnelle estime que la prescription d’un domaine ne permet pas l’appropriation de terres publiques

Le 18 août, la Cour constitutionnelle a émis le jugement SU-288 de 2022, qui annonce sa décision concernant plusieurs cas liés à l’acquisition judiciaire des friches par des particuliers. Dans l’énoncé de la sentence, elle constate “la grave violation du régime spécial des friches et le devoir de l’État de promouvoir l’accès progressif des paysan·nes à la propriété foncière.”

Que se passe-t-il avec les terrains en friche ?

La loi 60 de 1994 a établi que les terres publiques de la Nation, ou terrains en friche, ne pouvaient être adjugées que si l’objectif de donner des terres aux paysan·nes appauvri·es, aux autochtones ou aux Afro-Colombiens, considérés comme des sujets de la réforme agraire, était rempli. Cette tâche ne pouvait correspondre qu’à l’autorité agraire actuelle – à ce moment-là, l’Agence nationale des terres (ANT) – et, en aucun cas, elle ne pouvait être assurée par un autre mécanisme.

Par conséquent, l’ANT a été chargée d’administrer et de remettre des terrains en friche à ceux qui ne possèdent pas de terre. Le processus est le suivant : les personnes qui souhaitent avoir accès à ces terrains doivent soumettre une demande d’attribution de terrain. Ensuite, l’ANT doit vérifier que le terrain demandé est bien un terrain en friche et que sa taille correspond à une Unité Agricole Familiale, en partant du principe que le terrain doit être suffisant et proportionnel à ses besoins.

Malgré cela, des particuliers s’approprient des terrains en friche depuis des années par le biais de sentences de juges civils et, à plusieurs reprises, en dehors des objectifs et des lignes directrices de la réforme agraire.

Le problème de la prescription du domaine

Contrairement à l’adjudication par l’autorité agraire, qui est un processus administratif, la prescription acquisitive est un mécanisme judiciaire qui délivre la propriété, de facto, d’une quantité de terre à la personne qui a démontré sa possession pendant un certain nombre d’années. Dans le cas d’un terrain en friche, la fonction de la réforme agraire est ignorée.

C’est pourquoi, depuis le XIXe siècle, il existe des lois qui empêchent l’appropriation de terrains en friche par des processus de prescription. Cependant, ceux qui défendent l’utilisation de cette figure se basent sur une interprétation erronée de la loi 200 de 1936, selon laquelle une personne ne peut être considérée comme propriétaire d’un bien que par son exploitation.

Cette interprétation a permis à plusieurs juges de céder des terres en friche à différentes personnes, dont beaucoup sans être concernées par la réforme agraire, ce qui, dans certains cas, a facilité l’accès des paysan·nes à la terre. Cependant, elle a également facilité l’accumulation continue de terres dans le pays : plus de 57% de la superficie prescrite correspond à des propriétés de plus de 200 hectares.

Pour cette raison, sur la base de la décision T-488 de 2014, l’ANT a déposé plusieurs tutelles contre des décisions judiciaires qui déclaraient la prescription acquisitive de la propriété des biens ruraux. La Cour constitutionnelle a recueilli les arrêts en première instance de ces tutelles, ainsi que d’autres contre les juges qui niaient l’acquisition par prescription, pour rendre une décision unifiée par le biais de sa Chambre plénière.

Dans l’arrêt SU-288 de 2022, la Cour constitutionnelle a établi qu’aucun terrain en friche ne peut être remis par prescription et a ordonné à l’ANT de créer, dans un délai inférieur à 12 mois, une base de données contenant les informations sur les terrains en friche prescrits afin d’identifier les terrains qui ont été indûment appropriés ou accumulés.

De même, elle a ordonné à l’ANT d’utiliser ladite base de données pour élaborer un plan de récupération des terres accaparées et établir un ordre de priorité entre les départements ou régions présentant le taux d’accumulation de terres le plus élevé.

Finalement, parmi d’autres décisions, la Cour a réitéré que l’État doit respecter le point 1 de l’Accord de paix final et, à cette fin, a émis les ordres suivants :

  1. Le Département National de Planification (DNP) doit créer un Système de Planification et de Suivi pour l’adjudication des propriétés indiquées par l’Accord de Paix, en accord avec le CONPES du Plan Cadre d’Exécution.
  2. Le gouvernement national et le Congrès de la République doivent créer la Juridiction agraire, un tribunal spécialisé dans les droits de la paysannerie à accéder à la terre et à rester à la campagne.
  3. Le Gouvernement national doit consolider le Cadastre polyvalent, le système d’enregistrement des données actualisées sur les terres et leurs propriétaires.

Texto : Dejusticia

Photo : Unimedios