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Colombie : Le long chemin vers la restitution des terres

En Colombie, il n’existe aucune base de données permettant de connaître l’ampleur réelle de la dépossession des terres. Dans son rapport final, la Commission de la vérité indique qu’entre 1995 et 2004 seulement, plus de 8 millions d’hectares ont été dépossédés ou abandonnés. Ce phénomène n’a pas seulement signifié une contre-réforme agraire mais a également facilité la mise en œuvre d’un modèle d’accumulation par dépossession qui a maintenu des niveaux élevés de concentration des terres et de pauvreté.

Depuis les recensements agricoles de 1960 et 1970, la concentration des terres ne cesse d’augmenter : en 1960, les exploitations de plus de 500 hectares occupaient 29 % des terres, en 2002, ce chiffre est passé à 46 %, et en 2017, il a grimpé à 66 %. La Colombie est le pays où la concentration de la propriété foncière est la plus élevée d’Amérique latine1:

  • 1% des plus grandes exploitations ont 81% des terres en leur possession, et les 19% restants sont répartis entre 99% des exploitations.
  • 0,1 % des exploitations qui dépassent 2 000 hectares occupent 60 % des terres.
  • Les unités de production agricole de moins de 10 hectares représentent 81% de l’ensemble des exploitations (1 658 450) et occupent moins de 5% de la superficie cadastrée au niveau national (3,4 millions d’hectares)2.

L’un des premiers instruments dans lequel le phénomène de dépossession en Colombie a été reconnu institutionnellement a été la loi 1448 de 2011. Connue comme la loi des victimes, cette loi est une politique publique qui vise à faire avancer la restitution des terres. La validité de cette réglementation a dû être prolongée jusqu’en 2031, soit une décennie de plus que celle initialement prévue, en raison des maigres progrès réalisés au cours des 10 premières années de sa mise en œuvre.

On estime que, depuis sa promulgation en 2011, seuls 536 148 hectares de terres ont été restitués, ce qui représente moins de 10 % de l’objectif de restitution de 6 millions d’hectares en 10 ans. Sur le total des terres restituées, 67% correspondent au parcours ethnique3.

Les obstacles au processus de restitution ont été liés non seulement aux conditions de sécurité des demandeur·euses et des fonctionnaires judiciaires/administratifs, mais aussi à des obstacles administratifs. Depuis 2011, 65% des demandeur·euses de terres ont été rejetés, sans être informés des raisons du rejet des demandes.

Depuis la mise en œuvre de la loi, seuls 7 166 jugements ont été rendus, sans que cela constitue une garantie de restitution des biens ou de respect de la décision judiciaire. Le degré d’exécution des ordonnances rendues par les juges et les magistrat·es est inconnu car certaines entités ne communiquent pas d’informations.

Aujourd’hui, la politique de restitution des terres de la loi 1448 inclut les points 1 (Réforme rurale intégrale) et 5 (Réparation aux victimes) de l’accord de paix et se heurte aux mêmes problèmes en termes de financement et de volonté politique pour sa mise en œuvre.

Le nouveau gouvernement devrait débloquer le processus de restitution des terres aux victimes du conflit armé dans le pays. La nomination de Giovanny Yule, un leader autochtone Nasa qui a participé aux processus de récupération des terres, en tant que nouveau directeur de l’unité de restitution des terres est un premier signe de volonté politique.


1 OXFAM (2017). Radiografía de la desigualdad rural.

2 Construir la paz y cuidar la vida. Recomendaciones para el Plan Nacional de Desarrollo 2022-2026. Disponible sur : http://iepri.unal.edu.co/fileadmin/user_upload/iepri_content/Centro_de_Pensamiento_Region_Nacion/2022/Construir_la_paz_y_cuidar_la_vida_2.pdf

3 VIII Informe de Seguimiento. Comisión de Seguimiento y monitoreo a la Ley de víctimas y restitución de tierras. Ley 1448 de 2011.


Texto : La Vía Campesina Colombie

Foto : Giovanni Yule, Directeur de l’Agence de restitution des terres.