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Négociations pour un Traité Contraignant sur les multinationales. Qu’est-ce qui est en jeu ce mois-ci?

La 9ème session du groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée (GTCNL) du Conseil des droits de l’homme (CDH) des Nations unies sur les sociétés transnationales et autres entreprises en matière de droits de l’homme se tiendra au Palais des Nations à Genève du 23 au 27 octobre 2023. Ce processus a débuté en 2014, lorsque le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a approuvé la résolution 26/9 et a créé ce groupe de travail intergouvernemental afin d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant visant à réglementer, dans le cadre du droit international des droits de l’homme, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises.

Ce traité juridiquement contraignant pourrait combler les lacunes actuelles du droit international des droits de l’homme qui permettent aux STN de commettre des crimes en toute impunité.

Ces négociations redéfinissent déjà ce qui est possible dans le cadre des droits de l’homme et sont le résultat de la capacité des communautés touchées et de la société civile organisée à façonner le débat mondial sur les obligations des sociétés transnationales. Chaque année, de plus en plus de pays reconnaissent cette nécessité historique.

L’influence de ce processus en cours est vaste et va bien au-delà du CDH. La proposition de directive du Parlement européen sur le devoir de diligence des entreprises en matière de développement durable – même si elle est largement insuffisante pour combler toutes les lacunes du droit international -, d’autres lois nationales sur le devoir de diligence approuvées ces dernières années (France et Allemagne), ainsi que des lois novatrices sur la responsabilité juridique en matière de droits de l’homme en cours de discussion au Brésil et en Argentine, sont des conséquences directes ou indirectes des débats lancés dans le cadre de ce processus. Il n’est plus possible de parler des sociétés transnationales sans évoquer leur impact sur les droits de l’homme et l’environnement. Ce processus historique des Nations unies, qui a déjà 9 ans, a rendu cela possible.

Pourquoi un Traité Contraignant est-il important dans le contexte politique actuel?

La pandémie, les conflits armés et les catastrophes climatiques poussent des millions de personnes vers la faim et l’extrême pauvreté.Pourtant, un petit groupe de milliardaires, qui dirigent et possèdent la plupart des sociétés transnationales (STN), continue d’accumuler des niveaux de richesse sans précédent. Pour comprendre cette réalité, il faut savoir que les STN opèrent au niveau mondial, alors qu’il n’existe pas d’obligations contraignantes pour les STN au niveau international. Seules les législations nationales et régionales s’appliquent à ces sociétés, ce qui est souvent insuffisant pour les tenir responsables des violations des droits de l’homme. Cela crée des lacunes réglementaires et des failles que de nombreuses STN utilisent pour éviter les poursuites pénales relatives à leur implication dans les violations des droits de l’homme, les crimes contre l’environnement ou l’évasion fiscale. Cette situation est encore plus déconcertante pour les pays du Sud, qui n’ont guère les moyens de réglementer ou d’appliquer des lois contre des STN dont la taille économique excède leur PIB.

Ce contexte conduit à des violations systématiques des droits de l’homme, du travail et de l’environnement par les STN. En dépit de quelques affaires judiciaires historiques récentes, telles qu’un tribunal néerlandais qui a ordonné à la société transnationale Shell de réduire davantage ses émissions de carbone ou de la société du secteur de l’énergie Total qui fait l’objet de poursuites pénales devant les tribunaux français pour sa négligence lors de l’attaque de Palma, dans le nord du Mozambique, la plupart des sociétés transnationales restent impunies. En d’autres termes, il existe une architecture transnationale de l’impunité des entreprises.

Qui sont les partisans et les opposants au traité et qui a de l’influence sur les négociations de cette année ?

L’Équateur préside le GTCNL depuis le début du processus. L’Équateur a été le co-auteur, avec l’Afrique du Sud, de la résolution 26/9 qui a initié ce processus en 2014. Ces dernières années, le rôle de l’Équateur en tant que président de ce processus a fait l’objet de critiques croissantes de la part de groupes de la société civile, de mouvements sociaux et d’un certain nombre d’États, car les textes consolidés pour les négociations sont considérés comme trop biaisés en faveur des propositions faites dans l’intérêt des STN, qui ont également des représentants au CDH par l’intermédiaire de l’Organisation Internationale des Employeurs et de la Chambre de Commerce Internationale.

De nombreux pays du Sud (d’Afrique, d’Asie du Sud-Est, d’Amérique latine et des Caraïbes) ont soutenu, de façon cohérente, un instrument international ambitieux et juridiquement contraignant, axé sur la mise en place de mécanismes de responsabilité juridique des STN et sur la garantie de l’accès à la justice et aux voies de recours pour les populations touchées. Cette position est conforme à la résolution 26/9 qui a donné naissance à ce groupe de travail.

Les pays qui ne se sont pas engagés ou qui ont rejeté directement le processus et ont tenté de l’arrêter, sont les États-Unis, le Japon, le Canada et l’Australie, ainsi que d’autres pays hautement industrialisés ayant un nombre élevé de sociétés transnationales ayant leur siège sur leur territoire.

L’Union européenne et ses États membres ont changé de position au fil des ans. D’une position initiale de non-engagement et de rejet, ils sont passés à une position de contribution, comme dans le cas de la France. Cependant, le rôle de l’UE dans son ensemble a également été fortement critiqué par les Organisations de la Société Civile européennes pour son manque d’engagement et souvent son ambiguïté quant à la nécessité d’imposer des obligations aux STN. La pression soutenue de la société civile européenne a toutefois permis à l’UE de ne pas s’écarter complètement de ce processus.

La présence continue, année après année, de dizaines de représentants des communautés touchées, d’organisations de la société civile, de syndicats et de mouvements sociaux est une caractéristique unique de ce GTCNL, qui en fait l’un des groupes de travail les plus fortement soutenus de l’histoire des Nations unies. Le Réseau interparlementaire mondial (Global Inter-Parliamentary Network – GIN), une vaste coalition de plus de 250 parlementaires et sénateurs nationaux et régionaux du monde entier qui soutiennent le traité contraignant des Nations unies, enverra cette année huit délégués à Genève, soit le plus grand nombre jamais atteint.

Quelles sont les nouveautés de cette année ?

  • Pour la première fois, des consultations nationales et régionales ont eu lieu entre les sessions de Genève, en particulier en Afrique et en Amérique latine, ce qui témoigne de l’importance croissante de ce processus.
  • Nous nous attendons à ce que la participation des États et de la société civile atteigne des niveaux prépandémiques. Notre coalition coordonne à elle seule une délégation de plus de 50 personnes de tous les continents, dont 10 membres de parlements nationaux et régionaux d’Europe, d’Afrique et d’Amérique latine.
  • On peut s’attendre à ce que des pays africains comme la Namibie, l’Égypte, l’Afrique du Sud et d’autres interviennent dans le processus de la manière la plus forte qui soit. Nous pourrions assister à une participation coordonnée de l’Union africaine (représentant les 54 États africains). En 2022, l’Union africaine a publié une déclaration commune lors du premier jour des négociations pour réitérer la nécessité de se concentrer sur les sociétés transnationales et non sur toutes les entreprises.
  • On peut également s’attendre à ce que la délégation palestinienne joue un rôle important, comme ce fut le cas en 2022. En juin 2023, suite à la résolution 31/6, le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a mis à jour la base de données de toutes les entreprises commerciales impliquées dans des activités dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est.

Ressources importantes


Pour les demandes des médias, écrivez à l’adresse press@viacampesina.org ou visitez le site web de la campagne.

Remarque : Cet article web a été tiré d’un kit de presse préparé par la Campagne mondiale pour la reconquête de la souveraineté des peuples, le démantèlement du pouvoir des entreprises et la fin de l’impunité (Campagne mondiale) – un réseau mondial de plus de 250 mouvements sociaux, d’organisations de la société civile (OSC), de syndicats et de communautés affectées par les activités des sociétés transnationales (STN). La Campagne mondiale est la voix de plus de 250 millions de personnes dans le monde qui résistent aux accaparements de terres, à l’exploitation minière extractive, aux salaires abusifs et à la destruction de l’environnement perpétrés par les STN à l’échelle mondiale, notamment en Afrique, en Asie, en Europe et en Amérique latine. La Campagne mondiale a été un acteur central dans ces négociations depuis le début de ce processus.