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Gaza face au génocide

Le 5 mars à Genève, Morgan Ody, coordinatrice générale de La Via Campesina a pris part à une conférence réunissant quatre rapporteurs spéciaux des Nations Unies pour les droits humains (alimentation, eau, habitat et enfants) sur le génocide en cours à Gaza 1. Ci-dessous, découvrez l’article qu’elle a rédigé pour l’édition d’avril 2024 de Campagnes Solidaires.


«Même en étant déjà assez bien informée de la situation à Gaza, la présentation des rapporteur·es de Nations Unies m’a beaucoup choquée. Iels ne connaissent pas d’exemple de violation plus grave des droits humains dans l’histoire récente. La famine, la destruction complète des habitations, des infrastructures d’eau et médicales sont sciemment utilisées par Israël pour rendre la vie à Gaza impossible et ainsi exterminer le peuple palestinien.

Depuis des décennies, la colonisation israélienne cible délibérément toutes les bases de la souveraineté alimentaire des Palestinien·nes. Expulser les paysan·nes de leurs terres, arracher des oliviers, empêcher l’accès à la mer, cibler les infrastructures agricoles et de pêche est un moyen pour tenter de détruire la relation nourricière entre un peuple et son territoire. Depuis cinq mois, une étape supplémentaire a été franchie, à partir du moment où les décideurs israéliens ont affirmé vouloir mettre Gaza en état de siège, en bloquant tout accès à l’eau, à l’électricité et à l’alimentation. Des milliers de camions d’aide humanitaire attendent au poste-frontière de Rafah, à quelques kilomètres de là où les Palestinien·nes meurent de faim. L’aide alimentaire y pourrit sur place, d’après les témoignages. Israël ne laisse passer que quelques dizaines de camions par jour, quand il en faudrait plus de cinq cents. L’armée israélienne a aussi bombardé à plusieurs reprises des lieux de distributions d’aide alimentaire et les camions transportant l’aide.

La tragédie de Gaza remet en cause beaucoup de certitudes. Grâce à mon mandat à La Via Campesina, j’ai la chance de discuter chaque jour avec des paysan·nes des autres continents. Pour eux, la solidarité de l’Occident avec Israël face à ces atrocités n’est pas une surprise. Ils y voient plutôt une continuité, à la fois dans le fait de commettre et soutenir des génocides, mais aussi dans la négation de leur réalité et la création d’un narratif minimisant les souffrances des peuples victimes des exactions des « hommes blancs », transformée en fatalité (une « crise humanitaire »). En écho du génocide à Gaza se dessine une histoire du monde bien différente de celle qui nous est enseignée et qui transparaît dans nos médias, où l’Europe joue le rôle d’avant-garde de l’humanité vers la démocratie, la civilisation, les droits de l’homme et les Lumières. Les croisades et l’inquisition, le génocide des peuples amérindiens et la naissance des États-Unis, la traite des noirs et l’esclavage, puis la Shoah, une longue liste de génocides perpétrés par des Européens et sur lesquels nous nous interrogeons si peu.

Le génocide à Gaza et la position complice des États européens me laissent profondément désorientée. À quelles valeurs peut-on encore s’accrocher lorsqu’on est Européen·ne ? J’ai découvert dans Une histoire populaire de la France de Gérard Noiriel que jusqu’au xixe siècle, les paysan·nes étaient considéré·es en France comme appartenant à une race inférieure. Les luttes sociales ont eu pour but de conquérir l’égalité, égalité des conditions sociales, mais aussi égalité dans la pleine reconnaissance de l’humanité. Or, face au génocide à Gaza, c’est encore de ça dont il est question. Nous découvrons tous les jours que, pour nos décideurs et médias occidentaux, la vie des Palestinien·nes n’a pas la même valeur que la vie des Occidentaux. Que 10 000 enfants palestinien·nes meurent (car bien sûr, ils n’ont pas été « tué·es »), cela n’est pas si grave… Avec le génocide à Gaza, ce qui saute aux yeux, c’est le suprémacisme blanc. Nous croyions en être sorti·es, nous nous réveillons enfoncé·es plus profondément que jamais dans la nasse visqueuse. Il prend aujourd’hui le visage de la haine des musulman·es, construit·es dans nos imaginaires comme les nouveaux barbares. Plus que jamais, la boussole de l’égalité doit nous guider. Ainsi, aujourd’hui, face au génocide à Gaza, la Confédération paysanne a le devoir de s’exprimer haut et fort. Pour l’égalité. Pour l’humanité.»

La Confédération paysanne dénonce l’utilisation de la famine comme arme de génocide à Gaza.


1Le communiqué des rapporteur·es à consulter (anglais) : urlz.fr/pYZr