Suisse: 2030 et la souveraineté alimentaire
Interprétations libres du Conseil fédéral
A force d’en parler, la souveraineté alimentaire est reprise à tour de bras mais rarement dans ce qu’elle a de véritablement innovateur. Elle est citée dans le message du Conseil fédéral au Parlement pour la réforme de la politique agricole (PA 2011). Il vaut la peine de s’y arrêter puisque ce message est un document officiel de la Confédération. A la page 20, dans le paragraphe destiné à la sécurité de l’approvisionnement, pour justifier le fait que le concept de souveraineté alimentaire ne trouvera pas sa place dans la loi sur l’agriculture, le Conseil fédéral argumente en ces termes : « L’approvisionnement de la population en denrée alimentaire repose principalement sur la production indigène. « … » C’est par une production durable axée sur le marché et pas uniquement par le maintien du potentiel de production qu’il faut contribuer à la sécurité de l’approvisionnement. Aussi le concept de la souveraineté alimentaire figure-t-il implicitement à la let a (de l’article constitutionnel ndlr). Ce concept postule le droit de chaque pays à assurer son propre approvisionnement en denrées alimentaires et à déterminer lui-même le mode de production des produits alimentaires ». C’est réduire le concept de souveraineté alimentaire à peu de choses.
Quelles sont les raisons réelles du refus de l’inclure dans la loi sur l’agriculture ? Ceci malgré le fait que son intégration ait été demandée par de nombreuses organisations agricoles, de consommateurs ou environnementales, ainsi que par la commission consultative agricole. Nous vous invitons à une visite de la PA 2011 sous l’angle de la souveraineté alimentaire. :
La souveraineté alimentaire désigne le DROIT d’une population, d’une région ou d’un pays à définir leur politique agricole et alimentaire, sans dumping de prix vis-à-vis de pays tiers.
La souveraineté alimentaire inclut :
• la priorité donnée à la production agricole locale pour nourrir la population, l’accès des paysan-ne-s et des sans-terres, à la terre, à l’eau, aux semences et au crédit. D’où la nécessité de réformes agraires, de la lutte contre les OGM pour le libre accès aux semences et de garder l’eau comme un bien public à répartir durablement.
PA 2011 : par la révision de la loi sur le droit foncier rural, le Conseil fédéral restreint l’accès à la terre et aux crédits en relevant les seuils d’unité de main-d’œuvre standard (UMOS) pour plusieurs dizaines de milliers de familles paysannes en activité. Elle empêche également les jeunes paysans, ruraux ou non, d’accéder à la terre en empêchant une reprise à la valeur de rendement ou en encourageant la spéculation foncière en supprimant le contrôle des prix des terrains et des fermages. Par la mise en concurrence de l’agriculture avec ses voisins, en encourageant les familles paysannes à accéder à des marchés extérieurs à des prix ne couvrant pas leurs coûts de production, elle n’a plus comme priorité une production locale pour nourrir la population. Bien que la commission consultative agricole ait souhaité que l’agriculture suisse renonce aux OGM, et malgré le résultat de l’initiative pour un moratoire, la PA 2011 ne s’exprime pas sur le sujet.
• Le droit des paysan-ne-s à produire des aliments et le droit des consommateurs à pouvoir décider ce qu’ils veulent consommer et par qui et comment l’aliment est produit. – Le droit des Etats à se protéger des importations agricoles et alimentaires à trop bas prix.
PA 2011 : Par la réduction des prix seuils pour les céréales fourragères, par la mise aux enchères des contingents tarifaires pour la viande et les pommes de terre par exemple, par la réduction des droits de douanes pour de nombreux produits, le Conseil fédéral réduit drastiquement son droit à se protéger des importations agricoles et alimentaires à prix de dumping. Par le manque d’engagement pour mettre sur pied un organisme permettant de contrôler les fraudes, il ne permet pas aux consommateurs de savoir ce qu’ils consomment. Par une ouverture toujours plus grande des frontières et par la recherche du plus bas prix, les filières seront toujours moins contrôlables et l’information transparente au consommateur toujours plus ardue.
• Des prix agricoles liés aux coûts de production. C’est possible à condition que les Etats ou les Unions aient le droit de taxer les importations à trop bas prix, et s’engagent pour une production paysanne durable et maîtrisent la production sur le marché intérieur pour éviter des excédents structurels.
PA 2011 : Par les réformes successives de la politique agricole, les prix des produits ne sont absolument plus liés aux coûts de production. L’exemple du lait est flagrant. Avec un coût de production moyen de Fr. 1.10.-/kg, (chiffre des stations fédérales de recherche agronomique) nous sommes loin de l’objectif avec un prix du lait se situant en moyenne à 70 centimes. En ne mettant aucune barrière sérieuse aux augmentations de la production laitière destinées aux exportations, nous ne maîtrisons plus les quantités sur le marché, nous produisons des excédents que nous exportons largement en dessous des coûts de production. Produire des surplus signifie l’effondrement des prix à la production. Si les organisations doivent prendre sérieusement en main la gestion de l’offre, elles doivent également être soutenues par des dispositions légales qui permettent de réguler les marchés et qui empêchent les positions dominantes de quelques grandes entreprises. Pour garantir des prix liés aux coûts de production, de véritables contrats doivent être conclus entre les partenaires du marché. Ces contrats doivent comprendre le prix, les quantités, le calendrier de livraison et les critères de qualité. Aujourd’hui, ces différents points sont rarement discutés. Les prix fluctuent de semaine en semaine.
• La participation des populations aux choix des politiques agricoles
PA 2011 : A l’exemple de la consultation sur PA 2011 qui a mobilisé plus de 350 instances (organisations, cantons, associations etc.) et dont quasi aucune des oppositions ont été prises en compte, nous sommes en droit de nous poser la question de la véritable participation des populations, même dans une démocratie directe telle que la nôtre…
• La reconnaissance des droits des paysannes, qui jouent un rôle majeur dans la production agricole et l’alimentation.
PA 2011 : Ici aussi, les efforts à fournir restent immenses. Jusqu’à quand les paysannes devront elles lutter pour obtenir réellement un statut qui soit reconnu ? Droit à un salaire pour le travail fourni quotidiennement sur l’exploitation, droit à contracter un crédit pour leurs activités, reconnaissance de leurs droits lors du divorce ou du veuvage ?
Cette courte démonstration révèle – à l’aide de quelques exemples – les raisons profondes du refus d’inclure la souveraineté alimentaire dans la loi agricole ou de la confondre habilement avec la notion de sécurité alimentaire. Si nous devions appliquer la souveraineté alimentaire, le projet actuel de politique agricole devrait être entièrement reformulé et une véritable consultation devrait être engagée. La position de la Suisse à l’OMC devrait également être réexaminée.
Uniterre, 16 octobre 2006
Pour plus de renseignements :
Valentina Hemmeler, secrétaire syndicale, 079 672 14 07 / 021 601 74 67
Pierre-André Tombez, Président d’Uniterre, 079 634 54 87