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Discours enflammé d’une paysanne au Parlement européen dénonçant les accords de libre-échange, le colonialisme et les sanctions.

17 juillet 2023 : Morgan Ody, le Coordinatrice Générale de La Via Campesina et une petite agricultrice maraîcher de Bretagne, en France, qui est membre de l’ECVC et de la Confédération Paysanne française, prononce un discours enflammé lors d’une conférence au Parlement européen, tenue en parallèle du sommet UE-CELAC. Elle dénonce les effets néfastes des accords de libre-échange, des politiques coloniales et des sanctions unilatérales qui ont créé une crise alimentaire sans précédent dans le monde. “La nourriture ne doit pas être utilisée comme une arme dans les guerres géopolitiques et commerciales”, dit-elle. “En tant que paysan·nes, nous avons des propositions concrètes sur la manière de mener le commerce international en se basant sur les principes de souveraineté alimentaire, de coopération et de solidarité”.

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Je suis une paysanne. Mon organisation est membre de La Via Campesina. Et La Via Campesina est née il y a 30 ans contre les politiques néolibérales, et les accords de libre-échange. Parce que nous savion tout·tes, en Europe, en Amérique latine, en Asie, en Afrique, partout dans le monde, et nous le savons encore, que ces accords de libre-échange nous détruisaient. Ils empêchent les paysan·nes et les petit·es et moyen·nes agriculteur·trices de vivre de l’agriculture.
Ces accords de libre-échange entraînent l’accaparement des terres, de l’eau et des semences. Cela conduit au vol de nos territoires par les sociétés transnationales et c’est pourquoi nous voulons mettre fin à ces accords de libre-échange (ALE). Nous ne voulons pas de meilleurs accords de libre-échange. Nous voulons les arrêter !Nous ne voulons pas être “compétitifs”.
Nous ne voulons pas nous “concurrencer” les uns les autres. Nous voulons coopérer les uns avec les autres !Nous voulons que les peuples d’Amérique latine, d’Europe, d’Afrique et d’Asie soient en solidarité. Et nous voulons la souveraineté des peuples !Nous voulons que toutes les communautés, où qu’elles se trouvent, puissent décider de la manière dont nous vivons sur nos territoires et de la manière dont nous produisons de la nourriture. Et ne pas l’imposer à un autre peuple
Et en tant qu’Européen, je dois le dire. Nous voulons aussi arrêter de prétendre que les Européens vont sauver le monde, car cela a toujours été une excuse pour exterminer tous les autres peuples !La Coordination européenne Via Campesina (ECVC) et la CLOC Via Campesina, membre de La Via Campesina en Amérique latine, nous nous opposons à tous les ALE entre l’Europe et l’Amérique latine. Qu’il s’agisse du Mercosur, avec le Chili, le Pérou, la Colombie ou le Mexique.
Nous ne voulons pas produire pour exporter. Nous voulons produire une bonne nourriture pour nourrir notre population localement !Nous ne voulons pas produire des marchandises pour les sociétés transnationales ! Les gens ont besoin de nourriture et nous sommes ici, nous travaillons, pour produire de la bonne nourriture pour le peuple.C’est pourquoi, depuis 1996, nous luttons pour la Souveraineté Alimentaire. La Souveraineté Alimentaire des peuples. Il s’agit du droit des peuples et des pays à décider des politiques alimentaires et agricoles en plaçant les petits producteurs au centre des systèmes alimentaires. Pour cela, nous devons mettre fin aux accords de libre-échange et à l’OMC, et construire la Souveraineté Alimentaire partout dans le monde.
Quelles sont donc les alternatives ? Que devons-nous faire ? Tout d’abord, nous appelons tous les membres du Parlement européen, les député·es, où qu’iels soient, à créer des groupes d’Amis de la Souveraineté Alimentaire. Nous avons besoin que vous vous organisiez pour faire pression en faveur de la souveraineté alimentaire et pour vous assurer que les petit·es producteur·trices de nourriture, les paysan·nes, les petit·es exploitant·es agricoles, les pêcheur·euses artisanaux·ales viennent dans ces assemblées pour parler de la Souveraineté Alimentaire et montrer la voie et la manière de la construire.
Deuxièmement, nous avons commencé, à La Via Campesina, à construire un cadre pour le commerce international basé sur la Souveraineté Alimentaire. Parce que nous avons besoin d’un cadre. Mais nous avons besoin de règles basées sur la Souveraineté Alimentaire. Quelques idées sur ce que ces règles peuvent être. Tout d’abord, le droit des pays à soutenir et à protéger les petit·es producteur·trices de nourriture. Le droit de réguler les marchés. Par exemple, le droit d’avoir des prix minimums de soutien. Le droit d’avoir des stocks publics. Le droit de gérer l’offre. Le droit pour les États et les gouvernements d’acheter directement aux petit·es producteur·trices locaux·ales. Nous voulons mettre fin aux sanctions unilatérales, parce que aussi certains pays voudraient participer au commerce international et que cela leur est interdit. Je veux dire, le blocus contre Cuba n’est pas acceptable.
Nous voulons donner la priorité au commerce local, puis au commerce national, puis au commerce régional, et non au commerce international. Les pays d’Amérique latine devraient avoir pour priorité de commercer entre eux, avant de commercer avec l’Europe ou l’Amérique du Nord. Tout comme il est préférable pour nous de commercer entre pays européens avant de commercer avec des pays plus éloignés.Une autre chose importante que nous devons vraiment changer, c’est la suprématie du dollar. C’est un énorme problème et si nous voulons construire un commerce équitable, il ne peut pas être basé sur le dollar, il doit être basé sur une grande diversité de monnaies et non sur le dollar.
Deux derniers points : la nourriture ne devrait jamais être utilisée comme une arme. Ni comme une arme géopolitique, ni comme une arme dans la guerre économique. La nourriture est un droit. Pas une arme ! Et nous nous trouvons en ce moment même, dans cette “transition verte”, comme il en a été question. C’est aussi une menace… parce qu’en sortant des combustibles fossiles, nous sommes poussés… s’ils veulent continuer avec le capitalisme et produire, autant avec toutes ces inégalités, cela signifie que l’agriculture ne sera plus pour l’alimentation, mais comme une marchandise pour produire des agro-carburants pour remplacer les combustibles fossiles.C’est la raison pour laquelle l’UE insiste tant sur les accords de libre-échange. Nous devons donc être conscients qu’il n’y aura pas de “transition verte” si les paysans et les peuples indigènes ne sont pas au centre des processus et des prises de décision.
Je vous remercie de votre attention.