Suisse: 2030 et la souveraineté alimentaire

Or, aujourd’hui, la plupart des projets de recherche qui sont effectués par les Agroscopes se limitent à une vision de 5 ans, dans le meilleur des cas, 10 ans. Est-il raisonnable de limiter notre perspective à ce court-moyen terme ? Les promoteurs du libre-échange agricole poussent à une restructuration très rapide du secteur agricole. En Suisse plus de 2’000 exploitations disparaissent chaque année, dans l’Europe des 25, c’est une exploitation toute les minutes. Cette restructuration est justement basée sur l’idée que dans les 5 à 10 ans à venir, les frontières vont s’ouvrir, les prix vont baisser et le nombre de paysans va donc diminuer. Soit, on peut imaginer qu’à cet horizon, le scénario soit vraisemblable. Seulement, est-ce que cette marche forcée vers la restructuration a encore un sens si l’on se projette en 2025 ? Ne sera-t-il alors pas trop tard pour faire machine arrière ? Qu’en sera-t-il de notre planète ? Aurons-nous dans 20 ans, la même sérénité quant aux réserves pétrolières ? Les biocarburants se seront-ils révélés comme la panacée ou comme un simple pansement qui, loin de résoudre le problème, provoqueront la mise en concurrence des personnes voulant manger et celles désirant remplir leur réservoir d’essence ? Serons-nous toujours prêts à transporter de l’eau depuis le sud de l’Espagne (les tomates sont composées à 90% d’eau) sans tenir compte du fait que la production intensive du sud de l’Espagne a pollué et asséché les nappes phréatiques ? Continuerons-nous à acheter les haricots kenyans et les fraises maliennes où laisserons-nous ces pays produire en premier lieu pour leur population parce qu’ils ne seront plus obligés de rembourser une dette inique à l’aide des devises ? Abandonnerons-nous nos filières comme cela semble être le cas en Suisse pour la dinde, moins cher en Hongrie ou en Asie ou le beurre, moins cher en Allemagne ? Continuerons-nous à accepter une perte régulière de terres agricoles au profit du béton ?

C’est ces questions qu’Uniterre souhaite poser aux stations fédérales de recherche. Les familles paysannes ont souvent une vision relativement durable du développement, par leur attachement à la terre et par le suivi des cycles de la nature. Qu’en est-il de nos dirigeants ? Sont-ils conseillés de manière objective par nos chercheurs ? Ces derniers leur ont-ils brossé différents scénarii possibles où se sont-ils limités à annoncer que d’ici cinq ans les frontières seront plus ouvertes, les prix plus bas et les paysans moins nombreux ? Ou dans l’autre sens, nos chercheurs sont-ils libres de travailler sans tabou ou sont-ils largement influencés et mis dans un carcan par certains promoteurs du libre-échange ?

En France, le Ministère de l’environnement a mandaté une étude visant à projeter l’agriculture française en 2025 selon 4 scénarii 2. Un des scénarii, basé sur des hypothèses réalistes telles que les préoccupations sanitaires et environnementales des citoyen-ne-s, l’intérêt pour une agriculture plus écologique (raisonnée, bio), la hausse du prix du pétrole, la remise en question de l’OMC, prévoit le doublement du nombre de paysans (1 million) afin de remplir les attentes nouvelles de la société (qualité, proximité des produits, paysage, environnement). Les Agroscopes sont-elles prêtes à lancer un projet de recherche d’analyse prospective similaire afin de confirmer ou d’infirmer les scénarii des chercheurs français ?

Uniterre estime indispensable que nous soyons tous, citoyenne et citoyen, informés des perspectives d’avenir au plus près des réalités. Nos élu-e-s doivent pouvoir prendre des décisions en toute connaissance de cause et non uniquement sur le résultat de recherches toujours basées sur les mêmes hypothèses de départ et qui démontre l’étroitesse d’esprit de ceux qui commandent les études. C’est cette autocensure qui nous inquiète. Il semble que nous « cherchons toujours dans la même direction » au risque de n’être aucunement préparés à des scénarii pourtant plus que probables.

 Notre proposition de recherche :

La Suisse agricole en 2030.

  • 4 scenarii allant du libre-échange à une solution de souveraineté alimentaire.
  • Quant aux hypothèses de départ :
  • certaines varieront en fonction du scénario choisi.
  • d’autres seront fixes car inéluctables.

Nous restons à dispositions des chercheurs pour leurs suggérer quelques hypothèses.

 Nous souhaiterions que les Agroscopes étudient rapidement cette problématique afin d’apporter les éléments nécessaires au Parlement avant la conclusion du débat sur PA 2011 et l’éventuelle signature d’un accord à l’OMC.
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Annexe : A l’occasion de la journée internationale sur la souveraineté alimentaire, Uniterre revisite PA 2011 dans un petit document « la souveraineté alimentaire utilisée à toutes les sauces ».

La souveraineté alimentaire à toutes les sauces…

En cette journée internationale sur la souveraineté alimentaire, nous désirons soulever ci-dessous les interprétations erronées de la définition du concept de souveraineté alimentaire. Nous aimerions également rappeler qu’au mois de février 2007, un forum mondial sur la souveraineté alimentaire se tiendra au Mali. Avec 3 objectifs principaux. Premièrement, défendre et mieux communiquer la définition de la souveraineté alimentaire afin d’éviter que certains milieux récupèrent ce concept et le transforment en proposition souverainiste, synonyme de repli sur soi et de refus des échanges et des complémentarités. Il s’agira donc de réaffirmer de manière positive que la lutte pour la souveraineté alimentaire englobe 4 niveaux : le politique, l’économique, le social et l’environnemental. Le deuxième objectif est la construction d’un rapport de force pour conquérir la souveraineté alimentaire. Par son essence, la souveraineté alimentaire est une proposition citoyenne qui n’aura pas que des répercussions sur le secteur agricole, mais concerne l’entier de la société. Les impacts d’un tel choix politique seront positifs au niveau de la réduction de l’exode rural et des transports, l’amélioration de la qualité des produits, la relocalisation des économies etc. Cet enjeu étant de taille, il sera nécessaire de développer des espaces de rencontre avec des gouvernements favorables à la souveraineté alimentaire comme alternative aux politiques néolibérales. Le dernier objectif, et non des moindres, est celui d’obtenir que le droit à la souveraineté alimentaire soit reconnu comme un droit spécifique à part entière, contraignant pour les États et garanti par l’ONU. Objectifs ambitieux donc, mais qui nous concernent toutes et tous, au Sud comme au Nord, que nous soyons paysan ou non.