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Si nous sommes capables de produire notre alimentation, alors nous sommes riches!

Du 22 au 24 février, une centaine de paysannes venue de 16 pays du monde entier ont participé au séminaire organisé par ÖBV-Via Campesina Austriche sur l’Alimentation et le Pouvoir (« Macht Essen », littéralement « Pouvoir Manger »).

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En Autriche, où les fermes sont relativement petites, ce sont très souvent les femmes qui sont responsables de la ferme pendant que leur conjoint travaille à l’extérieur. C’était le cas notamment dans la ferme de Johanna que nous avons visité. Johanna élève une trentaine de vaches laitières, ainsi que quelques cochons et des poules, essentiellement pour la consommation familiale. Elle  s’occupe également du potager. Sa ferme est biologique, comme 38% des fermes dans la région, un record en Europe.

La situation de Johanna reflète celle de millions de femmes dans le monde, dont la responsabilité principale consiste à assurer la subsistance de la famille et de la communauté. De nombreuses paysannes ont en effet fait remarquer que très souvent, les hommes s’occupent de l’activité agricole lorsque celle-ci est intégrée dans l’économie visible -qui rapporte de l’argent, qui est intégrée au système commercial-, tandis que beaucoup de femmes participent d’une économie invisible, essentielle à la survie de leurs proches et à celle de l’humanité tout entière, mais qui n’est que peu ou pas du tout reconnue économiquement et socialement.

C’est cette économie de subsistance qui nourrit le monde, et non pas l’agriculture industrielle et commerciale. Malgré cela, le pouvoir est entre les mains des acteurs de la seconde, et ainsi très souvent des hommes. Cette question troublante a été au coeur des discussions.
Le pouvoir est largement lié à la possession des moyens de production, particulièrement de la terre. Or, de nombreuses participantes ont témoigné de la difficulté pour les femmes d’accèder aux ressources productives. Au Nicaragua par exemple, seulement 2% des terres sont contrôlées par les femmes, ce qui oblige la majorité d’entre elles à dépendre de leur mari pour pouvoir cultiver. Au Burkina Faso, bien que ce soit les femmes qui fassent l’essentiel du travail agricole lié au millet, elles n’ont pas le droit d’entrer dans les greniers et ne percoivent aucun revenu de la vente des céréales. Elles sont totalement dépendantes de l’argent que leur mari veut bien leur reverser par la suite. Mais ceci n’est pas vrai seulement dans les pays du Sud. En Europe également, très peu de femmes ont le statut officiel d’agricultrices, malgré le travail qu’elles font sur la ferme. En conséquence, elle n’ont accès aux droits sociaux qu’en tant que conjointe de l’agriculteur, (notamment droit à la retraite, à la sécurité sociale, etc…), ce qui les place dans une situation de dépendance qui peut devenir insupportable en cas de rupture. Au sein même de nos organisations, les femmes doivent lutter pour l’égalité, sans quoi elles sont en permanence exclues de la prise de décision.

Cependant, il ne s’agit pas seulement d’une lutte pour les droits par rapport aux hommes, mais aussi, et peut-être surtout, d’une lutte pour défendre et redonner toute sa valeur à l’économie de subsistance par rapport à l’économie commerciale. Toutes les femmes présentes ont souligné la dureté des attaques exercées par les entreprises multinationales pour s’approprier les ressources agricoles (la terre, l’eau, les semences et les savoirs-faire) et interdire aux hommes et aux femmes paysannes de continuer à vivre de l’agriculture paysanne. Par exemple en Roumanie et en Galice, après l’entrée dans l’Union Européenne, la vente de produits fermiers sur les marchés paysans a été soumises à des règlementations inaccessibles, privant de très nombreuses femmes de leur unique source de revenu. Partout dans le monde, les entreprises semencières font introduire des lois pour interdire aux paysans et aux paysannes de resemer leurs propres semences et ainsi les rendre dépendants de l’industrie.

Cette remise en cause de l’économie de subsistance s’effectue aussi au nom d’une « expertise » détenue par des scientifiques plus ou moins liés aux intérêts financiers. Une paysanne autrichienne a témoigné de la difficulté de vendre son lait, car les autorités sanitaires promeuvent l’idée que le lait entier est dangereux pour la santé. De la même façon, de nombreuses petites fermes n’ont plus le droit d’abattre les animaux à la ferme du fait des règles sanitaires. Les femmes sont  les premières victimes de ce « pouvoir des experts » qui nie leurs propres capacité à savoir ce qui est bon ou non et qui leur interdit de mener à bien leurs activités en dehors du cadre défini par les institutions.

Face à ces obstacles, les participantes ont souligné que le pouvoir qu’elles veulent, ce n’est pas celui de diriger les autres, mais d’avoir prise sur leur propre vie. Or, produire son alimentation est un élément essentiel dans cette démarche: « si nous sommes capables de produire notre alimentation, alors nous sommes riches! » a-t-on pu entendre. Les paysannes ont toutes souligné combien elles étaient fières de produire la nourriture pour leur communauté, de prendre soin de la terre où elles habitent et de  pratiquer et de transmettre les savoirs lié à la production et à la transformation des aliments. Elles se sont engagées à lutter collectivement pour pouvoir continuer à cultiver la terre et à élever des animaux, pour obtenir l’égalité des droits avec les hommes et pour stopper le pouvoir des multinationales sur le système alimentaire mondial.