« Quand une femme avance, aucun homme ne recule ! »

C’est autour du concept de « féminisme populaire paysan» que durant quatre jours fin novembre le groupe « femmes » de la Via campesina s’est retrouvé à Porto, au Portugal.

« Quand une femme avance, aucun homme ne recule ! »  C’est avec ces mots que Marina,  représentante du Mouvement des sans terre au Brésil (MST),  introduit la séance de travail. Elle rappelle les défis que nous devrons relever:

–      la souveraineté alimentaire, que les femmes ont inventée puisque les hommes partaient et qu’elles restaient à la ferme, inventant l’agro-écologie et adaptant leur vie au quotidien.

–        La construction du concept de féminisme populaire paysan, qui induit la dignité et la justice, pour lesquels la formation interne des militantes est indispensable.

–      La lisibilité à donner à notre campagne contre les violences faites aux femmes.

–      Les luttes, seule solution pour défendre la terre, en organisant par exemple des grèves nationales le 8 mars afin d’obtenir les réformes agraires nécessaires.

–      La construction de nouvelles valeurs innovantes : « Soyons généreuses! »

–      Pousser la participation des femmes dans les instances et organisations, en s’appuyant sur la formation technique, idéologique et politique.

–      Enfin, l’importance de la Via Campesina, exemple d’égalité entre hommes et femmes, au sein de l’organisation mais aussi chez elles, car quand une femme s’en va militer, la famille s’occupe du quotidien !

Pendant quatre jours, nous avons échangé, nous, « l’articulation des femmes » de la Via campesina.  L’articulation, quel joli mot ! Nous sommes à la fois éloignées géographiquement et « articulées » pour construire le monde de demain, chacune dans sa région.La campagne contre les violences faites aux femmes reste malheureusement d’actualité dans toutes les parties du monde.

A peu près toutes les régions du monde sont représentées à Porto, sauf l’Afrique de l’Ouest qui ne devait avoir qu’une seule représentante mais celle-ci  s’est retrouvée bloquée pour refus de visa.

Elisabeth Mpofu est elle bien là. Paysanne au Zimbabwe, elle est depuis un an la coordinatrice générale de la Via campesina. Pour elle, les femmes doivent bien « se former pour apprendre à communiquer, surmonter l’obstacle des langues qui est un défi majeur, notamment en Afrique avec de nombreux dialectes. » Le rapport a la religion est pour Elisabeth un sujet de questionnement et d’inquiétude : « Avec la montée de l’islamisme, se désigner féministe s’avère risqué. » On trouve aussi en Afrique des contradictions entre les pouvoirs traditionnels et les préceptes de l’Eglise qui condamne la contraception, l’avortement et la polygamie. Pourtant, en Angola, les députées femmes représentent 30% de l’assemblée nationale, mais aucune d’entre elles n’est paysanne.

Alors la question pour Elisabeth est : « Comment faire cohabiter le pouvoir traditionnel et le concept de féminisme paysan populaire ? »

Pour l’Europe, 28 organisations sont membres d’ECVC. C’est la COAG, premier syndicat paysan d’Espagne, qui pilote le groupe femmes européen, et Inmaculada est sa nouvelle représentante.

Isabel du Sindicato labrego (Galice) et Monica de la CNA (Portugal) rappellent que les violences contre les femmes, bien qu’en diminution, continuent à faire de nombreuses victimes chaque année en Europe.

Les organisations n’ont pas toutes un groupe « femmes ». Le travail commun est un peu en sommeil, mais si on fait la synthèse, 3 priorités se dégagent : pousser les femmes à s’engager grâce à la formation, lutter contre les violences conjugales et aider les jeunes femmes dans leur processus d’installation.

La crise capitaliste  revient souvent comme une cause d’aggravation  des conditions de travail pour les paysannes : disparition les services publics, appauvrissement, difficultés d’accès au foncier et au statut, car l’agro-industrie tend à exclure les femmes, ou les transforme en main d’oeuvre bon marché. Les traités de libre échange ont des effets dévastateurs.

En Asie du sud, l’articulation des femmes existe, bien que peu active. Pour l’Inde, Landini s’étonne que l’Europe ne soit pas plus avancée sur la question des violences.  Dans son pays, c’est dans les zones rurales que les femmes sont les plus fragiles, les plus exploitées. Shanta, Népalaise, rappelle qu’en Asie la violence exercée sur les petites filles et les adolescentes est très fréquente.

Yoon, de Corée du sud, pense sincèrement que les femmes et les hommes peuvent et doivent se rassembler dans la lutte féministe. Beaucoup d’hommes y sont prêts mais ne savent pas comment les accompagner. Il faut revoir le leadership de façon à laisser les femmes prendre plus de place. Car elles occupent déjà une place essentielle sur les fermes ! Elles doivent en être conscientes et croire davantage en leurs capacités. Il faudrait inventer des outils pour permettre aux femmes de prendre leur indépendance, y compris financière.  Pour Yoon, les paysannes sont au centre de la solidarité avec les plus pauvres.  Elles constituent de ce fait un véritable espoir pour la population des démunis.

Dena,des Etats-Unis, et Joan, du Canada, représentent l’Amérique du nord. Elles se demandent comment dialoguer avec d’autres femmes de milieux différents. Elles réclament la condamnation des violences faites aux femmes, et un état des lieux sur l’égalité entre hommes et femmes. Elles souhaitent la médiatisation des luttes féministes et la participation des femmes aux politiques régionales.

L’Amérique latine sort du lot quant à l’activité féministe !

Le congrès de la Coordination latino-américaine des organisations paysannes et rurales (la Cloc) en avril 2014, en Argentine, a réuni  un millier de délégués. Il s’est penché sur les problèmes des différents pays, le calendrier (chargé) des luttes : 8 mars (journée internationale des droits des femmes), 17 avril (journées internationale des luttes paysannes), 16 octobre (journée mondiale de l’alimentation), 25 novembre (journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes). Le congrès de la Cloc a insisté sur l’importance de la formation des femmes et des jeunes, les violences, la place des femmes dans les organisations, la lutte contre les transnationales et les grands projets d’extraction minière, le renforcement des solidarités.

La Cloc compte 4 régions : Amérique centrale, Caraïbes, et deux régions pour l’Amérique du Sud. Chaque région est autonome mais la coordination des luttes entre les régions renforce l’activité de ce grand continent. L’idée d’une action commune à toutes les régions émerge. Ce serait par exemple une journée où les femmes manifesteraient partout en même temps.  Pourquoi pas à l’occasion d’une des mobilisations pour « changer le système, pas le climat », ou contre les traités de libre-échange ?

Ce projet requiert de l’animation, et donc de des financements.

Au final, après cogitation par groupes de langues, l’articulation des femmes  de Via campesina propose 4 grandes priorités :

–      Que la communication interne et externe soit améliorée grâce à des  outils bien concrets, comme la création d’un registre des adresses des femmes de la Via. Un calendrier des activités circulera, et les messages seront préparés collectivement.

–      Que dans chaque organisation l’engagement soit pris de respecter la parité dans les représentations (nous avons pu assisté à Porto au congrès de la CNA, syndicat paysan membre de la Via campesina : sur 23 personnes à la tribune, il y avait seulement 3 femmes, dont 2 animatrices. Nous nous engageons à respecter la parité de la tribune  au prochain congrès de la Confédération paysanne, en avril prochain!)

–      Renforcer les compétences locales pour améliorer le fonctionnement de la coalition internationale, notamment par plus de formation.

–      D’intégrer les hommes aux réflexions sur le féminisme populaire paysan.

Car les hommes et les femmes ont intérêt à se soutenir mutuellement pour sauver le monde !

Par: Véronique Léon, paysanne en Ardèche

Encadré

 

 

Paysannes du Monde

 

Dans les prochains numéros de campagnes solidaires, vous pourrez lire les portraits de  quelques femmes responsables de leur organisation à la Via campesina : Elisabeth, du Zimbabwe, coordinatrice générale depuis un an de la Via, Paola, l’iIalienne, Dena, l’Américaine, Shanta, la Népalaise, Paula, la représentante de la jeunesse pour la Coordination européenne Via campesina (ECVC), Sayra, du Nicaragua, représentante de la jeunesse sud-américaine.

 

Merci aux copines interprètes de m’avoir aidée à les interroger pendant ce séjour à Porto.