Les paysans africains rejettent les lois sur les semences de l’industrie et l’offensive menée sur les semences paysannes et la souveraineté alimentaire
Nouvelles de LVC Afrique depuis la réunion continentale sur les semences.
(Harare, 14 Novembre 2013) Lors de la réunion africaine sur les semences qui a eu lieu à Harare au Zimbabwe, les 12 et 14 novembre dernier, les discussions ont porté sur la menace croissante que les investissements externes représentent pour l’agriculture africaine. Il s’agit des compagnies semencières internationales et de leurs efforts continus pour exploiter la terre et les ressources africaines pour alimenter les autres parties du globe.
Les participants de cette réunion ont exprimé leur grande inquiétude devant cette pression de l’agriculture industrielle en Afrique par les corporations internationales et leurs partenaires avec des initiatives telles que l’Alliance pour la révolution verte en Afrique (AGRA), la nouvelle Alliance pour la Sécurité alimentaire et la nutrition du G8. Certains états africains soutiennent des initiatives semblables au travers de l’Union africaine, le nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) et le Programme détaillé de Développement de l’Agriculture africaine (PDDAA). L’Afrique n’a pas été touchée par la première révolution verte – l’introduction de semences hybrides, les intrants agricoles chimiques, l’irrigation et le crédit – qui ont causé la perte massive de la diversité des semences paysannes dans d’autres parties du Sud.
Les paysans et les paysannes africains rejettent ce modèle d’agriculture industrielle. Afin de gagner la bataille les politiques du gouvernement doivent soutenir les paysans. Un nombre croissant de gouvernements africains se placent du côté des corporations internationales, mais le gouvernement du Zimbabwe semble ouvrir des portes à la collaboration avec les paysans. Dans le discours d’ouverture de la réunion sur les semences, le représentant du Ministère de l’Agriculture a déclaré : « Le concept et les pratiques de l’agro-écologie et de la souveraineté alimentaire nous attirent et nous aimerions travailler en partenariat avec ZIMSOFF et La Via Campesina afin de les faire progresser ».
Le Gouvernement du Zimbabwe comprend bien que “ l’agro-écologie, tout en reconnaissant la sagesse des pratiques traditionnelles, est une approche très moderne”.
Quand elles investissent en Afrique, les compagnies agro-industrielles exigent une restructuration fondamentale des lois sur les semences afin de légaliser les systèmes de certification qui non seulement protègent les variétés certifiées mais criminalisent les semences non certifiées. Cela signifie donc que ces compagnies veulent que les variétés traditionnelles des paysans et les pratiques anciennes des paysans : échange et sauvegarde des semences, deviennent illégales. Les fermiers voient clairement que ces efforts servent les besoins des compagnies semencières, l’objectif étant de créer un système concentré où quelques grandes compagnies gardent le contrôle grâce au monopole de la propriété intellectuelle, et aux lois sur les semences qui sont harmonisées dans tout le continent. Ce sont les systèmes et les structures institutionnels qui vont permettre aux compagnies de contrôler les semences.
Le processus d’harmonisation des lois sur les semences dans l’Afrique sub-saharienne pousse les gouvernements à se joindre à UPOV 1991. L’harmonisation des lois sur les semences empêche les fermiers, hommes et femmes, de sauvegarder ou d’échanger les semences protégées ou de les utiliser pour améliorer leurs variétés locales.
La réunion africaine sur les semences traditionnelles a remarqué que le lobby multinational semencier a rapidement créé un vaste réseau d’accords, d’institutions, d’initiatives bien financés afin d’obliger les gouvernements africains à adopter les lois POV (protection des obtentions végétales) basées sur UPOV 1991. Parmi ces acteurs se trouvent : les blocs du commerce régional africain tels que la Communauté de Développement de l’Afrique du Sud (SADC), le Marché Commun de l’Afrique de l’Est et du Sud (COMESA), des agences de la propriété intellectuelle telles que l’Organisation de la propriété intellectuelle régionale Africaine (ARIPO), la Banque mondiale, l’Agence des Etats Unis pour le développement international (USAID) ; l’Action citoyenne pour les Affaire étrangères, et bien d’autres…
Beatrice Katsigazi, de l’ESAFF Ouganda, a clairement affirmé “nous ne voulons pas de semences hybrides et n’en avons pas besoin non plus. Nous, les paysannes, nous avons peu de ressources, et nous ne voulons pas de semences que nous ne pouvons planter qu’une seule fois ou qui appartiennent à des entreprises. Nous faisons confiance à nos propres semences, que nous trouvons gratuitement dans nos propres collections ou dans nos réseaux paysans.”
Les semences sont depuis toujours la base même des sociétés humaines. Les systèmes de semences africains ont toujours existé hors des marchés capitalistes mondiaux, à l’exception de quelques enclaves ou niches instaurées à l’époque colonialiste. Ces enclaves concernaient les cultures commerciales, notamment celles destinées à l’exportation, dans le cadre du système colonial d’extraction des richesses. Les systèmes de semences contrôlés par les paysans en Afrique sont intégrés et organisés localement. Ils se basent sur la production de semences locales – pour nourrir les communautés locales – avec l’obtention de semences dans les fermes, la conservation des semences et l’échange avec les paysans voisins. Ces systèmes de semences paysannes sont liés aux systèmes d’approvisionnement et de distribution alimentaires, par exemple lorsqu’une récolte de maïs est utilisée à la fois pour l’alimentation humaine, l’alimentation animale et les plantations.
Les communautés africaines ont développé leurs propres systèmes agricoles basés sur le savoir local et la diversité des semences qui les aident à faire face aux conditions climatiques extrêmes et aux crises politiques. En Afrique, les paysans et les paysannes produisent 80 à 90 pour cent de notre approvisionnement en semences, dont la diversité est une richesse estimée. Les femmes jouent un rôle crucial dans le maintien de ce système. Les variétés traditionnelles sont accessibles et ont un coût abordable, ce qui constitue un atout essentiel dans le contexte économique actuel. Les systèmes de semence paysans, contrôlés par les paysans, permettent à ceux-ci d’éviter de dépendre d’intrants agricoles onéreux. De plus, on ne pourra survivre au changement climatique sans la diversité des semences contrôlée par les paysans.
Les entreprises, en faisant pression sur les gouvernements afin qu’ils adoptent des processus d’harmonisation des semences, essaient de saper et de détruire ce que les paysans-obtenteurs de semences ont apporté et continuent d’apporter en matière d’obtention des semences, de diversité génétique et de sécurité alimentaire.
Il est clair que les lois d’harmonisation sur les semences visent à remplacer les systèmes de semences paysans par une agriculture industrielle et des systèmes contrôlés par les entreprises.
Résistance
Selon Davine Witbooi, une paysanne de la Food Sovereignty Campaign en Afrique du Sud, « le temps de la discussion est fini. Il est temps d’agir. Nous n’allons pas en rester là et ferons le nécessaire pour récupérer nos droits et empêcher l’agriculture chimique d’entrer dans nos communautés. Nous redoublerons d’efforts pour conserver nos variétés traditionnelles et partager nos connaissances entre paysans de la région afin de perfectionner nos techniques agro-écologiques et de former nos jeunes ».
Juliana Mundwa, une paysanne du Zimbabwe, membre de ZIMSOFF, partage cet avis. Pour elle, cette réunion a montré que les paysans doivent se lever pour se défendre. « Nous continuerons à collecter, conserver et échanger nos semences ancestrales ».
Cette réunion a rassemblé près de 60 paysans et paysannes de différents pays africains, membres de la Via Campesina, ainsi que des alliés internationaux et des experts des semences.