L’armée colombienne, une autre menace pour les communautés #FauxPositifs
L’assassinat de civils par l’armée dans le but de les présenter comme des victimes au combat constitue un crime qui, en Colombie, est familièrement connu sous le nom de « faux positifs », une pratique courante au sein de l’armée depuis 1994 qui a atteint son apogée au cours de la décennie des années 2000, avec un bilan de 5 763 personnes assassinées au cours de cette période. Cette pratique semble persister dans la période actuelle postérieure à la signature de l’accord de paix et faire partie du modus operandi de la force publique.
La JEP (Juridiction spéciale pour la paix), l’organe chargé de juger tous les crimes commis dans le contexte du conflit armé en Colombie, étudie actuellement sept cas d’importance, dont le Cas 03 : Décès présentés illégalement comme morts au combat, « faux positifs ». Dans cette étude de cas, des membres des forces armées qui ont participé à ces crimes ont volontairement donné leur version et expliqué que des officiers de haut rang les ont incités à commettre ce type de crimes, en leur offrant des repos, des félicitations et même des hamburgers ou des plats de riz chinois.[1] Déjà en 2012, le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale avait estimé qu’il y avait des raisons suffisantes de croire que ce type d’acte faisait partie d’une politique d’État.
En 2019, un scandale a éclaté concernant les directives internes de l’armée qui reprennent ce type mesures incitatives en plus d’exiger l’intensification des attaques meurtrières sans « exiger la perfection » au moment de leur exécution, ce qui réduit la protection des civils innocents. De même, on a appris que les généraux avaient ordonné de « faire ce qu’il faut » pour améliorer les résultats, même si cela impliquait de s’allier avec des groupes criminels[2].
Dimar Torres. Photo : Colprensa
Les communautés des zones rurales du pays dénoncent depuis quelques mois des cas de paysans assassinés par les militaires, ce qui fait penser que la force publique applique toujours ce type de politique. Un des premiers cas signalés est celui de Dimar Torres, un ancien combattant dont le corps sans vie a été retrouvé par un groupe de paysans partis à sa recherche après avoir entendu des coups de feu dans la nuit du 22 avril 2019. Le corps de Dimar avait des impacts de balles et des signes de torture et de castration. De plus, un groupe de militaires présent sur le site creusait un trou dans le sol. En octobre 2019, les tribunaux ont condamné un caporal de l’armée pour le meurtre de Dimar. On a appris que le caporal avait agi sur les ordres d’un général et que deux soldats l’aidaient à faire disparaître le corps.
Le jeune Salvador Jaime Duran a connu un sort semblable. Il est mort criblé de balles. Des membres de la communauté ont retrouvé son corps sans vie en juin 2020. Les paysans et paysannes qui ont trouvé le corps ont détenu six militaires en tant qu’assassins présumés du jeune homme. Un brigadier de l’armée a soutenu que la mort de Salvador s’était produite lors d’un échange de tirs lorsque d’une attaque contre les troupes. Cependant, dans une déclaration ultérieure, le brigadier a fait référence à des photographies d’un guérillero de l’ELN et affirmé qu’il s’agissait du paysan assassiné.
Dans une déclaration, l’ELN a répondu que Salvador Jaime n’était pas intégré dans leurs rangs. Ce démenti a suscité une profonde indignation nationale, car l’incident constitue une nouvelle preuve que les militaires continuent les exécutions extrajudiciaires et font passer les victimes pour des guérilleros.
Il est courant que les forces publiques justifient ces meurtres en affirmant que les victimes étaient des membres de groupes armés illégaux ou des criminels. Cela s’est également produit avec Joel Villamizar, un autochtone U’wa que l’armée a tué à la fin du mois de mai. Les commandants de l’armée ont justifié ce meurtre en affirmant que Joel était membre de l’équipe de sécurité d’un chef de groupes armés organisés.
Ce type de pratique correspond aux déclarations aux médias du représentant militaire auprès de la Commission de la vérité. Celui-ci a rejeté la catégorie des « faux positifs » et entend les présenter comme de simples actes isolés. Il semble que les membres des institutions encouragent la négation des crimes d’État en Colombie.
La permanence des « faux positifs » ne constitue pas le seul problème de la force publique en matière de droits de l’homme. Dans les opérations d’éradication forcée, les militaires brûlent les maisons et les cultures vivrières en plus d’attaquer et de tuer les paysans non armés. Ils menacent également les communautés du retour de groupes paramilitaires tels que les AUC[3]. Il y a des cas de violence sexuelle, comme le viol collectif d’une jeune fille Emberá par sept soldats. Aucune de ces situations ne représente un cas isolé. C’est le général Zapateiro lui-même qui rapporte que depuis 2016, il y a eu 118 cas d’agression sexuelle par des membres de l’armée.
Ronald Rojas, le délégué du parti des FARC à la Commission de suivi, d’impulsion et de vérification de l’accord de paix (CSIVI), déclare même qu’il possède des preuves que lors d’un entretien avec des soldats professionnels du bataillon Magdalena de Pitalito, ceux-ci ont déclaré qu’il n’y avait aucune différence entre un ancien membre des FARC travaillant actuellement dans le parti politique et les soi-disant guérilleros dissidents ou les membres des groupes armés organisés résiduels[4].
L’accord final ne contient aucun point sur la réforme du secteur de la sécurité, bien que la communauté internationale reconnaisse la nécessité de telles réformes dans les situations d’après-conflit. Les dénonciations constantes de violations des droits de l’homme et de manquements au droit international humanitaire par les militaires mettent sur la table la discussion sur la réforme des forces armées en Colombie.
[1] El Espectador (14 avril 2020) Las tres fases de los « falsos positivos » del Batallón La Popa. [Les trois phases des « faux positifs » du bataillon La Popa] https://www.elespectador.com/noticias/judicial/las-tres-fases-de-los-falsos-positivos-del-batallon-la-popa-articulo-914601/
[2] The New York Times (18 mai 2019) Las órdenes de letalidad del Ejército colombiano ponen en riesgo a los civiles, según oficiales. [Les ordres de létalité de l’Armée colombienne mettent en danger les civils, selon des officiers] https://www.nytimes.com/es/2019/05/18/espanol/america-latina/colombia-ejercito-falsos-positivos.html
[3] Misión Humanitaria por la vida y la paz en los llanos orientales y la Orinoquía. [Mission humanitaire pour la vie et la paix dans les plaines orientales et l’Orinoquía] Communiqué final.
[4] El Espectador (1er juin 2020) La propuesta que FARC le hizo a la JEP para detener los asesinatos de excombatientes. [La FARC a présenté une proposition à la JEP pour qu’elle cesse les assassinats d’anciens combattants] https://www.elespectador.com/colombia2020/justicia/jep/las-propuestas-que-farc-le-hizo-a-la-jep-para-detener-los-asesinatos-de-excombatientes/
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