La vie rurale est vitale – Ne la laissons pas aux mains des multinationales

Déclaration de pré-conférence de la société civile sur le développement rural

 
I. La redécouverte du développement rural : Bonne ou mauvaise nouvelle ?
1. Les organisations de la société civile demandent depuis des décennies que le développement rural reçoive plus d’attention dans les politiques de développement aux niveaux national et international.
2. Normalement, les organisations de la société civile et les mouvements sociaux devraient se féliciter de ce regain d’intérêt pour le développement rural.
3. Cependant, après une analyse précise des documents de travail de cette conférence, nous nous inquiétons de savoir où cet intérêt renouvelé va nous mener.
4. Nous craignons que l’agenda actuel du développement rural soit dominé par les intérêts commerciaux privés.
5. Nous appelons à une renouvellement profond de la réflexion sur le développement rural, qui mette les populations au centre des préoccupations. II.La vision dominante ne sera d’aucune aide pour combattre la faim et faire progresser le développement rural
 
Révolution verte – l’ancienne et la nouvelle
6. Nous sommes convaincus que la nouvelle Révolution Verte qui est brandie comme la solution à tous les problèmes du développement africain est la recette la plus sûre du désastre. Tout d’abord, il est faux que la première révolution verte qui était basée sur des coûts de production élevés, des technologies pointues et des risques élevés, et qui pour toutes ces raisons favorisait les plus riches, a oublié l’Afrique. Au contraire, c’est un fait historique que la première révolution verte a échoué en Afrique et cela bien que 200 millions de dollars ait été investis chaque année pour elle depuis plus de vingt ans. Nous sommes donc convaincus que la proposition de seconde révolution verte qui défend la même approche est condamnée au même échec. La recherche agricole en Afrique a été laissée entre les mains du secteur privé et de ses priorités de profits et de droits de propriété intellectuels. Cela va à l’encontre des intérêts des petits paysans. Les OGM, qui sont au centre de ces programmes de recherche, n’ont apporté aucun bénéfice aux petits paysans dans le monde. Ils sont une menace pour la biodiversité, l’environnement et la santé et pour toutes ces raisons ne devraient pas être soutenus mais interdits.

 
Réforme agraire et accès aux ressources
7. Les agences de développement internationales traitent la terre exclusivement comme un facteur économique dans la défense plus large du néo-libéralisme, qui inclut le libre-échange, la privatisation des terres et la formalisation des inégalités. Au contraire, pour nous la terre constitue un territoire qui inclut également les semences, l’eau, les forêts, les océans, les minéraux et la faune. Nous demandons donc une approche des politiques foncières basée sur les droits et liant la terre au droit à une alimentation appropriée ainsi qu’une réforme agraire authentique basée sur la souveraineté alimentaire. Les réformes agraires orientées par le marché ont échoué à apporter des réformes favorables aux plus pauvres. Les marchés de la terre et les marchés de location foncière ne peuvent profiter qu’aux riches et criminaliser les luttes pour la terre. Cette approche a, dans sa forme extrême, menée à l’assassinat des populations luttant pour la terre.

 
Le commerce et les marchés
8. Nous sommes convaincus que le marché mondial n’est pas la solution pour nourrir les populations. Au contraire, les systèmes de production locaux et les marchés locaux jouent un rôle essentiel dans le développement rural et peuvent répondre à la majorité des besoins des communautés locales.
9. Les pays doivent protéger leurs marchés agricoles. La protection, la régulation et l’intervention publique sont nécessaires pour assurer la souveraineté alimentaire des communautés. En encourageant la concentration accrue des marchés, les accords de libre-échange tels que les APE conduisent à la ruine des paysanneries dans le monde entier. Les APE dans leur forme actuelle sont pires que les accords de l’OMC. Les négociations doivent être stoppées immédiatement. Ces politiques commerciales internationales marginalisent les petits paysans dans le monde entier et doivent donc être abandonnées. De plus, toutes les subventions qui mènent à un dumping doivent être abandonnées. Cependant, nous reconnaissons le besoin légitime de soutien pour les productions agricoles domestiques.

 
Les agro-carburants et le réchauffement climatique

10. Nous croyons fermement que les agro-carburants ne sont pas la solution au réchauffement climatique et à la crise environnementale mondiale. L’agriculture écologique durable, cependant, peut permettre de réduire la consommation énergétique et promouvoir l’utilisation d’énergies renouvelables. L’utilisation des ressources agraires doit donner la priorité à la production d’alimentation sur la production d’énergie. Il serait criminel de mettre en danger l’accès des populations aux ressources naturelles au nom des agro-carburants. La cause principale du réchauffement climatique est le modèle de production et de consommation non-soutenable des pays industrialisés.

 
L’aide au développement rural

  11. Considérant qu’une mauvaise aide au développement peut faire plus de mal que de bien, nous demandons que la priorité soit donnée à une aide positive, définie par les populations et leurs gouvernements, sans conditions macro-économiques imposées par la Banque Mondiale et le FMI. L’aide doit respecter et promouvoir les droits humains et donner la priorité au soutien des communautés paysannes, aux populations pastoralistes et aux pêcheurs artisanaux. Une telle aide nécessite un suivi et une évaluation par les organisations de la société civile et les organisations internationales telles que la FAO et le FIDA. Plus de ressources doivent être allouées à cela. Cela nous amène à dire que pour que la Plateforme Mondiale des Bailleurs de Fonds fonctionne de manière démocratique et participative, il faudrait qu’elle rendre dans le cadre du système des Nations Unies. Les transferts financiers de l’Union Européenne et des autres donateurs ne devraient pas être utilisés pour corrompre les politiques nationales.

 
III.      Notre vision du développement rural

12. Une vision globale du développement rural est nécessaire. Les politiques de développement rural doivent être socialement et environnementalement durables. Nous avons besoin de systèmes de production qui préservent les sols, qui respectent les quantités d’eau disponibles et qui promeuvent les variétés locales de semences. Le développement rural devrait encourager la création d’emplois non-agricoles en soutenant la transformation locale des produits agricoles. Un développement rural réussi doit également intégrer les services sociaux fondamentaux tels que l’éducation, les services sanitaires, la santé et les infrastructures. Soutenir une économie rurale dynamique représente le moyen le plus efficace d’avancer vers le développement de l’économie des pays pauvres.

13. Nous soulignons également le besoin de reconnaître et d’encourager le rôle multifonctionnel de l’agriculture dans les pays du Sud. L’UE, qui se fait le chantre de la multifonctionnalité pour défendre les subventions à l’agriculture européenne, n’applique pas ces mêmes principes vis-à-vis de l’agriculture africaine. Cette anomalie doit être corrigée et la Plateforme Mondiale des Bailleurs de Fonds devrait clairement reconnaître  cette multifonctionnalité comme le pivot de l’agriculture africaine et ne pas répéter l’argument sans issue de la productivité. Il est temps de reconnaître que les zones rurales en Afrique sont les dépositaires de la culture africaine. L’agriculture africaine et les systèmes de production alimentaire sont intrinsèquement liés aux processus culturels. Il est donc indispensable que l’UE de même que les gouvernements africains reconnaissent, respectent et protègent la nature culturelle des zones rurales dans leurs plans de développement.

 14. Notre vision est fondée sur la dignité humaine des personnes qui habitent dans les zones rurales. Elle est basée sur la reconnaissance de leur droit à une alimentation appropriée, qui inclut la capacité à accéder aux ressources productives avec dignité. Les gouvernements doivent respecter, protéger et garantir le droit à une alimentation appropriée pour toutes les personnes vivant sur leurs territoires et utiliser le maximum des ressources disponibles à cette fin. Ils doivent également fournir une alimentation aux personnes qui ne sont pas capables de gagner leur vie à partir de leurs propres ressources ou travail, en donnant la priorité à des achats locaux ou régionaux. Les politiques nationales et internationales ont été négligées dans de nombreux pays par leurs propres gouvernements. Les gouvernements doivent fournir un soutien positif aux populations rurales,  qui dans de nombreux pays ont été négligées. Ils doivent  respecter et protéger l’accès des populations aux ressources productives, particulièrement pour les populations les plus vulnérables. Ils doivent assurer un suivi sur l’impact de leur action. Ils doivent également garantir l’accès à des solutions légales ou extra-légales efficaces. Les populations ne devraient en aucun cas être expulsées de leurs terres de façon forcée au profit d’entreprises minières, de grandes plantations, de barrages, de zones protégées, de zones industrielles, ect.

15. Pour rendre effectif le droit à l’alimentation, les Etats doivent reconnaître que pour la majorité des populations rurales, l’accès aux ressources productives est la condition clé qui permet de gagner un revenu décent. Sécuriser leur droit à produire devrait être la priorité des gouvernements dans leur action pour appliquer l droit à l’alimentation. Le droit à l’alimentation requiert que l’Etat, en concertation avec les mouvements sociaux, ait le droit de réguler les politiques commerciales, les politiques d’investissement, les normes alimentaires, ect. Sans la souveraineté des communautés sur l’alimentation, les semences, les patûres et la pêche, les paysans, les pasteurs et les pêcheurs artisanaux ne peuvent être protéger convenablement. Les Etats ne devraient pas privatiser or vendre les terres, l’eau, la biodiversité, les ressources génétiques et les connaissances traditionnelles. La souveraineté alimentaire implique que les populations des zones rurales aient leur mot à dire sur la mise en place de toutes les politiques de développement rural. Les organisations de ruraux tels que les organisations représentants les femmes, les paysans et les paysannes, les pêcheurs, les populations pastoralistes et indigènes et les jeunes doivent être les acteurs clés et doivent être impliqués dans toutes les politiques de développement rural. Leur droit à  s’organiser doit être protégé et activement promu.

16. Le développement rural doit être fondé sur la production d’alimentation locale et artisanale et sur ceux qui produisent cette alimentation. Les politiques agricoles nationales doivent soutenir pleinement l’agriculture paysanne et assurer que les producteurs, en particulier les femmes, ont un accès sûr aux ressources productives et à des crédits de production contrôlés et gérés par la communauté. Les gouvernements doivent investir dans le développement de chaînes de commercialisation durables contrôlées par les paysans eux-mêmes. Ils doivent investir dans des systèmes de crédit et d’épargne qui favorisent la cohésion sociale. Ils doivent soutenir une recherche agricole basée sur les savoirs locaux et qui utilise des méthodes participatives et dont les résultats soient disponibles et accessibles aux producteurs locaux.

 
IV.      Les politiques ne doivent pas être définies par les bailleurs de fonds

17. Il est toujours surprenant de voir que les bailleurs de fonds se rencontrent pour harmoniser leurs politiques de développement rural au nom du respect des agendas des bénéficiaires, mais que des positions sont adoptées sans aucun dialogue réel avec les populations rurales, en particulier sans que les organisations paysannes, de pêcheurs et de pasteurs et les syndicats dans les zones rurales aient été consultés. Nous ne voyons pas que le NEPAD ou le processus qui a mené à l’adoption du Programme Global de Développement pour l’Agriculture Africaine soit fondé sur aucun processus de consultation des populations rurales. Ils ne sont pas développés de manière participative. L’affirmation par les gouvernements africains et les bailleurs de fonds qu’ils ont mis en place des processus participatifs est tout simplement fausse.   

18. Un nouvel agenda pour le développement rural est nécessaire. Mais cet agenda devrait être différent : il ne devrait pas être basé sur les simplifications néo-libérales, mais prendre en compte la complexité des zones rurales de façon à soutenir un développement rural vivant et durable. Ce nouvel agenda doit être suffisamment complexe pour accommoder les valeurs et les principes de la biodiversité. Nous sommes profondément convaincus que seule une stratégie de développement rural durable permettant le renforcement des populations rurales peut répondre aux défis du réchauffement climatiques. L’agriculture industrialisées au contraire et ses conséquences catastrophiques pour la biodiversité, de l’eau et des populations ne sera d’aucun aide face à ces défis.