Japon : Nouminren alerte sur des amendements menaçant l’autosuffisance alimentaire
Le corps législatif national du Japon (également appelé Diète nationale) délibère actuellement sur la révision de la loi fondamentale sur l’agriculture. Il s’agira de la première révision complète de la loi fondamentale qui régit la politique agricole depuis sa promulgation en 1999.
Ces débats se déroulent dans un contexte de perturbations de l’approvisionnement induites par la crise climatique et les guerres et conflits en cours, ce qui conduit à une situation que les Nations unies ont qualifiée de pire crise de la faim dans le monde.
Les mouvements paysans japonais, tels que le mouvement d’agriculteurs familiaux Nouminren (membre de La Via Campesina), affirment que ces amendements iraient à l’encontre de l’objectif gouvernemental proclamé d’améliorer l’autosuffisance.
Depuis les années 1960, les taux d’autosuffisance alimentaire du Japon n’ont cessé de diminuer. Nouminren souligne que des années de libéralisation progressive et de réformes du marché ont entraîné une dépendance accrue à l’égard des importations agricoles. Par exemple, la production céréalière du Japon est passée de 82 % dans les années 1960 à seulement 29 % en 2022. La production nationale de viande est passée de 91 % à 53 % au cours de la même période. Des tendances similaires peuvent être observées pour d’autres produits agricoles (voir le graphique en japonais à droite).
Environ 90 % des engrais, des aliments pour animaux, des semences végétales et du pétrole nécessaires à la production agricole sont importés. Si ces produits ne peuvent être importés, le taux d’autosuffisance tombe à 10 %, précise Nouminren.
Iels ont souligné que, par le biais d’amendements, des tentatives sont faites pour réduire les objectifs d’autosuffisance. La responsabilité de l’amélioration de l’autosuffisance serait également transférée de l’État aux citoyens. En période de crise alimentaire, les amendements proposés invoqueraient la loi sur l’approvisionnement alimentaire d’urgence (loi sur la réponse aux difficultés d’approvisionnement alimentaire), infligeant des sanctions aux agriculteur·rices pour la conversion des cultures (des fleurs/herbes aux pommes de terre) et imposant “l’allocation et la distribution” des denrées alimentaires aux citoyen·nes. Lors de “phases particulièrement graves”, les producteur·rices pourraient recevoir l’ordre de passer à une production axée sur les calories (pommes de terre, riz), avec des amendes pouvant aller jusqu’à 200 000 yens en cas de non-respect.
La politique menée par l’administration Kishida, prévient Nouminren, s’aligne sur la “création d’un pays préparé pour la guerre”, faisant écho à la “loi alimentaire en temps de guerre”, qui prévoit la production forcée de pommes de terre dans les fermes et l’obligation pour la population d’endurer la faim en mangeant des pommes de terre.
Alors que la loi fondamentale actuelle stipule la nécessité “d’augmenter la production agricole nationale en tant que principe de base et de la combiner de manière appropriée avec les importations et la constitution de stocks”, le Japon a continué à négliger l’augmentation de la production agricole nationale et a poursuivi les importations et la libéralisation.
Les amendements établissent explicitement une clause visant à “assurer la stabilité des importations” et préconisent même d’augmenter les importations en encourageant les investissements et en soutenant les pays sources.
D’autre part, le Japon étant confronté à un déclin démographique, la promotion des exportations de produits agricoles est considérée comme ouvrant des perspectives pour l’agriculture, et un engagement fort en faveur des exportations est déclaré.
Le gouvernement se vante d’avoir “dépassé les 1 000 milliards de yens d’exportations de produits agricoles, forestiers et de la mer”, mais le montant total des importations de produits agricoles, forestiers et de la mer est bien différent, puisqu’il s’élève à 13 000 milliards de yens. En temps de crise, il n’est pas du tout fiable de compter sur les produits agricoles exportés.
Il est urgent de soutenir les jeunes agriculteur·rices à petite échelle – Les fermes robotisées ne sont pas la solution :
Le vieillissement des agriculteur·rices progresse : au Japon, 240 000 agriculteur·rices ont moins de 59 ans (20 %), tandis que celleuxs âgé·es de 75 ans et plus sont au nombre de 420 000. En outre, 70 % des agriculteur·rices n’ont pas de successeur. Alors que le gouvernement déclare qu’au cours des 20 prochaines années, le nombre de travailleur·euses agricoles passera de 1,2 million à 300 000, les mesures visant à assurer la relève ont été négligées.
Les mesures du gouvernement décrites dans la proposition de révision sont les suivantes : 1. Utiliser des robots, des drones et l’intelligence artificielle (IA) dans l'”agriculture robotisée” à la place des agriculteur·rices, et 2. Encourager le public à consommer des insectes, des aliments génétiquement modifiés/édités et de la viande artificielle.
“L’agriculture robotisée sans agriculteur·rices et l’obligation de manger des insectes et de la viande artificielle en plus des trois repas de pommes de terre par jour : de telles méthodes ne peuvent pas surmonter la crise.
Elle ne sert qu’à faire de l’alimentation un outil au service des profits des grandes entreprises.
Renforcement du soutien des prix et de la compensation directe des revenus :
Pour surmonter la crise de l’agriculture et la pénurie d’agriculteur·rices, il est essentiel de réaliser des prix qui correspondent aux coûts de production. Or, le salaire horaire d’un riziculteur·rice moyen n’est que de “10 yens”.
Face au nombre croissant de personnes qui ne peuvent s’offrir qu’un ou deux repas par jour et à la hausse des prix, Nouminren a proposé une série de quatre points : “soutien des prix + transfert des prix + compensation directe des revenus + marchés publics”, exigeant du gouvernement qu’il garantisse des revenus permettant aux personnes de vivre dans les zones rurales.
Toutefois, les amendements proposés refusent catégoriquement de mettre en œuvre le soutien des prix et la compensation des revenus qui impliquent des charges financières couramment observées aux États-Unis et dans l’UE pour couvrir les déficits des agriculteur·rices, et ils ont également reporté la législation sur le transfert des prix qui était censée être examinée.
Nouminren souligne ironiquement que nous nous trouvons actuellement au milieu de la “Décennie de l’agriculture familiale” proclamée par les Nations unies. Conformément à cette période, un changement de politique s’impose pour favoriser la relève, permettre aux exploitations familiales de prospérer et améliorer les taux d’autosuffisance.
Certains partisan·es suggèrent que des détails peuvent être inclus dans le plan de base après la révision de la loi fondamentale, mais Nouminren a averti qu’il sera trop tard une fois que les révisions garantiront l’abandon de l’objectif d’amélioration du taux d’autosuffisance.
Dans un blog analytique détaillé et une pétition publiée sur son site web, Nouminren a demandé l’abolition des amendements proposés par le gouvernement et a appelé à une action commune entre les mouvements sociaux, les partis politiques et les groupes de citoyen·nes, en renforçant la solidarité entre les consommateur·rices et les producteur·rices, afin d’obtenir une loi fondamentale qui contribue réellement à la relance de l’alimentation, de l’agriculture et des zones rurales. Pour renforcer la production alimentaire, ils ont exigé la fin de l’expansion militaire massive et le doublement du budget agricole, extrêmement faible par rapport à d’autres pays.
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