Commémorant 30 ans de luttes : Partage et réflexion sur nos actions pour la souveraineté alimentaire en Afrique du Sud et de l’Est.

Morogoro, 19 mai 2022.

“Dans le monde d’aujourd’hui où les multinationales tentent de plus en plus d’éloigner les paysan·nes de leurs systèmes alimentaires, les poussant à dépendre de programmes non durables comme la révolution verte, la commercialisation de l’agriculture et la privatisation de la vie elle-même, il est temps de réfléchir à la façon dont la souveraineté alimentaire est une réponse, une solution et une alternative aux tendances actuelles. Notre lutte pour la souveraineté alimentaire est l’avenir de notre génération et celui de nos petits-enfants”, a déclaré Elizabeth Mpofu, alors secrétaire générale de La Via Campesina, lors de la Journée mondiale de la souveraineté alimentaire 2021 organisée par La Via Campesina Afrique du Sud et de l’Est (LVC SEAf).

Se joignant au monde pour commémorer les 25 ans de la souveraineté alimentaire, LVC SEAf a organisé une réunion virtuelle le 14 octobre 2021 où les membres de LVC de la région d’Afrique du Sud et de l’Est et au-delà ont partagé leurs expériences pour mettre en place et envisager collectivement le concept de souveraineté alimentaire.

Expériences en Afrique du Sud et de l’Est avec la campagne de souveraineté alimentaire. Le cas de MVIWATA et de COPACO-PRP

Les expériences de la région ont été présentées par la République Démocratique du Congo à travers du COPACO-PRP, représenté par Melanie Lasom, et par la Tanzanie à travers de MVIWATA, représenté par Stephen Ruvuga. Partageant l’expérience de MVIWATA en Tanzanie, Stephen Ruvuga a déclaré qu’en Tanzanie, comme dans la plupart des pays africains, le système agricole émane du système colonial et est perpétué par les systèmes néolibéraux. “Nous consommons ce que nous ne produisons pas et produisons ce que nous ne consommons pas. C’est le contexte dans lequel nous nous mobilisons et c’est pourquoi la campagne pour la souveraineté alimentaire essaie de remettre en cause cette situation. Nous sommes restés des producteurs de matières premières pour le marché européen. Être un producteur de matières premières a conduit à l’expulsion des paysan·nes sur leurs terres et à la criminalisation de leurs pratiques agricoles traditionnelles en général.

Ruvuga a ajouté que la collaboration actuelle entre les politiciens, les technocrates, les multinationales et les chercheurs va à l’encontre de la dignité des paysan·nes. “Ils ne voient dans les paysan·nes que des clients pour les engrais chimiques, les cultures génétiquement modifiées et les pesticides industriels. Notre travail en tant que MVIWATA a donné des résultats en stoppant les essais d’OGM, mais nous sommes également conscients que nous sommes encore loin de gagner ce combat”.

La lutte pour la terre menée par les paysan·nes de la Tanzanie est toujours d’actualité et se poursuit là où persistent les récits selon lesquels, pour que l’agriculture progresse, il faut privilégier les modèles agro-industriels et l’agriculture à grande échelle au nom des agro-investisseurs. Tout cela au détriment des paysan·nes.

Pour nous, la souveraineté alimentaire est la voie à suivre. L’unité et la solidarité paysannes sont plus importantes que jamais. Et enfin, nous devons faire très attention aux alliances que nous construisons dans le cadre de nos luttes.

La camarade Melanie Lasom (COPACO-PRP) a partagé qu’en RDC, le récit dominant est la sécurité alimentaire. En outre, des millions de familles vivent dans des zones de conflit. Avec l’apparition fréquente d’Ebola et l’émergence du COVID-19, les paysan·nes de tout le pays ont été encore plus fragilisés. La présence de groupes armés, de forces armées, la malnutrition, les expulsions de terres, les épidémie, les prix élevés des intrants industriels, le problème des pertes post-récolte, le mauvais accès aux marchés en raison du mauvais état des routes, sont autant de crises qui affectent et appauvrissent les paysan·nes.

Interrogée sur ce que le COPACO-PRP fait pour atteindre la souveraineté alimentaire, Melanie a déclaré que le COPACO fait un certain nombre d’interventions, y compris la tenue de dialogues politiques avec les décideurs·euses, des campagnes médiatiques contre l’utilisation d’engrais chimiques et de pesticides tout en promouvant des pratiques agro-écologiques. Les campagnes de sensibilisation sur l’agriculture familiale, les semences gérées par les paysan·nes et les banques de semences, ainsi que le plaidoyer pour des marchés territoriaux pour les paysan·nes dans les zones rurales sont les domaines d’intervention de COPACO-PRP. La lutte contre les mécanismes de financement fondés sur l’exploitation et les nombreuses rencontres pour échanger des connaissances et des pratiques entre agriculteur·trices font partie des interventions de la campagne pour la souveraineté alimentaire.

Expériences d’autres régions de La Via Campesina et de nos réseaux. Le cas de La Via Campesina Asie du Sud et de l’Alliance pour la Souveraineté Alimentaire en Afrique (AFSA).

Les expériences de La Via Campesina en Asie du Sud ont été partagées par Kannaiyan Subramaniam, secrétaire général du Comité de coordination de l’Inde (SICCFM), qui a commencé par souligner que son pays a l’un des plus grands programmes alimentaires au monde. Il a toutefois ajouté que l’Inde est aussi l’un de ceux qui ont le plus appauvri les agriculteur·trices avec de tels programmes.

“Les accords de libre-échange (ALE) et les accords commerciaux bilatéraux se développent rapidement dans le monde. Ce sont les instruments mêmes du pouvoir des multinationales qui contrôlent le système alimentaire, la criminalisation et l’appauvrissement des paysan·nes. Nous avons des agences agricoles dans le monde entier avec des millions d’obligations et de directives, mais elles n’ont rien à voir avec l’éradication de la faim et de la malnutrition. Nous devons savoir que les mandats des agences de l’ONU ne peuvent être appliqués par la force par les États membres. Ce n’est pas le cas des directives de l’OMC, qui sont toutes appliquées sans exception”, a déclaré le camarade Kannaiyan.

Il a ajouté que la souveraineté alimentaire devrait être une lutte collective de tous les paysan·nes du monde. “Nous devons organiser la lutte contre l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et ce n’est pas seulement une lutte symbolique, c’est une lutte dont nous ne pouvons pas nous passer. La lutte doit se poursuivre de la base au niveau mondial”, a déclaré le camarade Kannaiyan.

Se référant aux déclarations du camarade Kannaiyan, Elizabeth Mpofu a décrit la situation à laquelle les paysan·nes sont confrontés comme celle d’une guerre, qui doit les trouver uni.es pour soutenir une lutte collective. La campagne pour la souveraineté alimentaire est vitale car elle contribue à faire prendre conscience de ce principe fondamental qui nous permet de déterminer comment, quand et quoi produire pour notre alimentation. Mpofu a ajouté que la lutte politique pour la reconnaissance des systèmes de production traditionnels est un noble devoir de la paysannerie. D’autre part, elle a ajouté que pour les agriculteurs, la sécurité alimentaire ne suffit pas à répondre aux besoins de la population, car elle ne garantit pas une alimentation durable ni le développement des communautés paysannes au niveau local. « La souveraineté alimentaire répond à ces défis et nous voulons toujours nous battre pour elle. La souveraineté alimentaire est liée à ce que les paysan·nes font au quotidien, à leurs savoirs traditionnels, à leurs pratiques et à la préservation de l’environnement”.

D’un autre côté, Million Belay Ali, représentant l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA), a commencé par souligner qu’il existe de nombreux récits mensongers vantant l’augmentation de la production, les rendements élevés et la résistance aux ravageurs provenant des bailleurs de fonds, des chercheurs et des responsables gouvernementaux. “Nos luttes sont donc vraiment énormes et vastes”, a déclaré M. Belay. “D’une part, l’AFSA se bat contre ces récits et d’autre part, l’AFSA propose des solutions. L’AFSA lutte contre la corporatisation de l’agriculture, et les solutions qu’elle propose sont basées sur des systèmes de semences gérés par les agriculteur·trices. Il a ajouté que dans le contexte de la production alimentaire, ils proposent l’agroécologie, car celle-ci est transformatrice dans tous les domaines, qu’ils soient sociaux, environnementaux ou économiques.

Il a ajouté que l’AFSA a 4 groupes de travail. Il s’agit du groupe de travail sur le changement climatique et l’agroécologie, du groupe de travail sur les systèmes de semences résilients et l’agroécologie, du groupe de travail sur la terre et l’agroécologie et du groupe de travail sur les citoyens et l’agroécologie. Le camarade Belay a déclaré que l’AFSA travaille depuis peu sur les marchés territoriaux. “Les marchés territoriaux sont ancrés dans le paysage et la culture des gens. Il y a beaucoup de signes positifs. Nous faisons également campagne pour la suppression du financement de l’Alliance pour la révolution verte en Afrique (AGRA), qui a échoué, qui n’est pas responsable et qui est contrôlée par les entreprises”, a déclaré le camarade Belay.

Le débat s’est terminé par la intervention de Stephen Ruvuga sur la question de savoir comment la dette extérieure a affecté les paysan·nes et leurs mouvements en général. Il a noté qu’il est très regrettable que l’Afrique regorge de dirigeants fantoches. Dans les Pandora Papers, il est parfaitement clair que les dirigeants africains ont détourné des fonds publics qui auraient pu aider à relever les défis auxquels sont confrontés les agriculteur·trices. Le camarade Ruvuga a enfin déclaré que la souveraineté alimentaire souffrira certainement, tout comme les systèmes économiques des pays africains, mais que malgré cette souffrance, cette lutte ne doit pas être abandonnée car elle est la seule issue aux systèmes actuels d’exploitation dans l’agriculture et dans tous les autres secteurs.