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Colombie : peu de progrès quant à l’implémentation de l’Accord de paix

Il y a trois ans, Ivan Duque est arrivé à la présidence de la République en tant que candidat d’un parti qui promettait de « réduire en miette » l’Accord de paix. Les sentences de la Cour Constitutionnelle, la pression de la communauté internationale et la mobilisation citoyenne ont empêché que le président et le parti du gouvernement démontent l’Accord. Pourtant, le mandat de Duque a retardé le processus d’implémentation et a mené le pays à une grave crise sécuritaire.

Un récent rapport du Contrôleur général de la République prévient qu’au cours d’aucune des années de mise en œuvre, l’ensemble des allocations prévues dans le cadre fiscal à moyen terme n’ont été exécutées. À ce rythme (une moyenne de 5,6 milliards de dollars par an), la mise en œuvre de l’accord final prendra 26 ans.

En ce qui concerne le Point 1 de l’Accord, la Réforme rurale intégrale, le contrôleur souligne que le Fond de Terres, l’instrument principal pour aborder les politiques d’accès à la terre, ne compte pas avec les ressources pour l’achat ou allocation des terres, ce qui – ayant lien avec la non-implémentation du Plan de Formalisation Massive de la Propriété Rurale et la non-création de la juridiction agraire – ne permet pas d’avoir beaucoup d’espoir quant au pilier d’accès à la terre et la résolution pacifique des conflits agraires1.

Jusqu’au premier semestre de 2021, seulement 9 034 hectares ont été remises aux paysan·nes sans terres, c’est-à-dire que, pendant presque 5 ans d’implémentation, il y a eu seulement 0,3% de progrès par rapport à la cible d’attribution des terres prévue par l’Accord. L’Agence Nationale des Terres rapporte la formalisation de 2 065 215 hectares, ce qui représente le 29,5% de la cible. Il est important de souligner que la moyenne d’hectares régularisés par chaque formalisation de domaines privés est de 1,4 ha, ce qui montre qu’il s’agit de petits domaines agricoles.

Concernant les Plans nationaux de Réforme rurale intégrale, il y a eu des progrès quant à la mise en place du Plan national de la Promotion de l’économie solidaire et coopérative rurale et du Plan progressif de protection sociale et de garantie des Droits des travailleuses et travailleurs ruraux2. Il manque encore des plans concernant l’éducation, la santé, l’alimentation, l’eau potable et l’assainissement basique, l’assistance technique, la formalisation et le zonage environnemental.

Entre 2017 et 2020, l’assignation de ressources au Programme national intégral de substitution des cultures à usage illicite – le PNIS – présente une diminution du 81%. Les bénéficiaires du PNIS sont toujours à la traîne à tous les niveaux, notamment en ce qui concerne la phase des projets productifs : moins de 1% des familles (726) qui avaient signé des accords de substitution volontaire ont été satisfaites.

En août a eu lieu un avancement très important en ce qui concerne la participation politique des victimes : un loi a été promulguée qui met en place 16 sièges de la paix au Congrès. L’Accord prévoit la création de 16 Circonscriptions transitoires spéciales pour la paix ayant pour objectif de garantir une représentation plus grande des populations habitant les zones spécialement touchées par le conflit armé. Les circonscriptions auront une validité de deux périodes électorales (2022-2026 et 2026-2030) et celles et ceux qui pourront s’y inscrire en tant que candidat·es sont les victimes du conflit armé. Quatre ans après des démarches ayant échoué au Congrès à cause de l’opposition des partis du gouvernement et d’extrême droite, cette disposition de l’Accord est aujourd’hui une réalité.

L’une des principales préoccupations est le manque de garanties de sécurité pour les communautés rurales, les leaders sociaux et les ex-combattants. Selon Indepaz3, entre la signature de l’accord de paix et le 24 août 2021, un total de 1 227 leaders sociaux et 284 personnes en cours de réincorporation ont été assassiné·es. Jusqu’à présent, rien qu’en 2021, 112 leaders sociaux et 35 personnes en cours de réincorporation ont été assassiné·es.

Entre le 20 et le 24 août, Ecomún, la coopérative des ex-combattants, a monté un Refuge humanitaire comme action de mobilisation citoyenne des ex-combattants et des communautés des départements du Cauca, de la Vallée du Cauca et de Nariño, qui rejette la violence contre les personnes en processus de réincorporation.

À ce sujet, le secrétaire de la coopérative a signalé que : « Nous avons comptons entre les trois départements du sud-ouest une concentration de 40% des assassinats de personnes en processus de réincorporation des FARC-EP. En plus, nous sommes témoins d’une situation de violence grave contre les collectivités regroupées dans des coopératives ou associations, quelques-unes ayant dû se déplacer laissant derrière elles des projets de réincorporation productifs et des activités économiques collectives. Ce sujet est déjà urgent, chaque jour on compte personne assassinée, menacée, déplacée (…) C’est une mesure désespérée et urgente parce que nous avons épuisé déjà toutes les instances institutionnelles4. »

De même, les organisations de la société civile ont dénoncé le manque de garanties pour rester dans les territoires. L’une des situations les plus complexes est celle du Putumayo, où les intérêts des compagnies pétrolières, les routes du trafic de drogue et la forte militarisation liée aux intérêts commerciaux provoquent de graves conflits. Des cas comme celui d’AMERISUR, une entreprise qui – soutenue par les forces de sécurité puis par des groupes paramilitaires – a étendu sa présence territoriale au prix du déplacement et de l’intimidation des communautés paysannes et indigènes, ont été signalés.

Les communautés rurales de Colombie continuent de subir les horreurs de la guerre et l’abandon de la part d’un État qui refuse de mettre en œuvre l’accord de paix de bonne foi. Le gouvernement doit mettre en œuvre l’accord d’une manière conforme à son objectif et, en priorité, fournir des garanties de sécurité aux communautés, aux ex-combattants et aux leaders sociaux.

1Contraloría General de la república (2021), Cinquième rapport sur la mise en œuvre des ressources et la réalisation des objectifs de la composante “paix” du plan d’investissement pluriannuel.

2Lesquelles s’ajoutent aux 9 plans déjà approuvés, soit : le Plan National de Connectivité Rurale, le Plan National pour la Promotion de la Commercialisation de la Production de l’ECFC, le Plan National d’Irrigation et Drainage pour l’ECFC, le Plan National de Construction et Amélioration du Logement Social Rural (en processus de mise à jour), Plan pour Soutenir et Consolider la Génération de Revenus de l’ECFC, le Plan National pour la Promotion de l’Économie Solidaire et la Coopérative Rurale, le Plan Progressif de Protection Sociale de garantie des Droits Humains des Travailleuses et Travailleurs Ruraux.

3 Instituto de estudios para el desarrollo y la paz – INDEPAZ. Voir: http://www.indepaz.org.co

4Juan Camilo Londoño, secrétaire de Ecomún. “Nos siguen matando”: Ecomun. Voir: https://www.contagioradio.com/nos-siguen-matando-ecomun/