Rome : Droit des agriculteurs et utilisation durable des semences

Comité de sécurité alimentaire, Side Event, contribution de La Via Campesina, Guy Kastler

(Rome, le 14 Octobre 2014) – L’existence du système multilatéral d’échange de semences du TIRPAA a fait naître l’idée que nous disposons d’un réservoir durable de ressources phytogénétiques permettant d’assurer la sécurité semencière mondiale pour de longues années et qu’il n’est pas utile de s’en préoccuper. Or, aujourd’hui la survie du système multilatéral est menacé par les brevets tandis que l’industrie se heurte à l’accélération de l’obsolescence de ses innovations.

Le développement des semences paysannes est indispensable à la sécurité alimentaire

Croiser entre elles en un très bref laps de temps toutes les semences de la planète et aujourd’hui en manipuler les gènes, les paysans ne savent pas le faire, la recherche et l’industrie l’ont fait. Cela a généré de nombreuses innovations, mais :

– les semences sélectionnées en station ou au laboratoire ont perdu toute capacité d’adaptation locale. Les gains de rendements des monocultures industrielles dépendent des engrais et des pesticides chimiques qui génèrent de nombreux dommages sanitaires et environnementaux et ne sont plus acceptés socialement ;

– la recherche de la plante élite et des économies d’échelle a provoqué une immense perte de diversité intra et intervariétale : ces plantes ne sont plus capables de s’adapter aux changements, notamment à la brutalité des changements climatiques et aux nouvelles maladies générées par les monocultures et l’accélération des échanges au niveau mondial. L’obsolescence de plus en plus rapide des variétés industrielles qui en résulte fragilise les systèmes agricoles qui en dépendent.

Les semences paysannes, sélectionnées et multipliées à partir de la récolte dans leur condition d’utilisation et par ceux qui les utilisent permettent une adaptation locale continue à chaque terroir sans engrais ni pesticides chimiques. Les échanges des semences entre paysans renouvelle constamment la diversité intravariétale qui garantit la résilience de l’agroécologie paysanne.

Les semences paysannes sont partie intégrante de l’identité des communautés paysannes car elles garantissent leur sécurité alimentaire. Les cultures associées jardinées destinées à la consommation locale sont toujours plus productives par unité de surface que les monocultures industrielles. Celles-ci ne sont plus productives que par unité de main d’œuvre, qui sont remplacées par l’énergie fossile nécessaire à la fabrication des engrais et des pesticides chimiques. 75 % de la nourriture mondiale est produite par l’agroécologie paysanne qui ne mobilise pourtant que 25 % des surfaces agricoles. L’intelligence face au climat ne dépend jamais d’un seul gène breveté, mais de combinaisons génétiques très variables d’une année et d’un lieu à l’autre : seule l’adaptation locale et la diversité intravariétale sont intelligentes face au climat.

Les systèmes semenciers paysans et la sécurité alimentaire de la majorité des habitants de la planète reposent sur la reconnaissance des droits des agriculteurs d’utiliser et d’échanger leurs semences.

La Via Campesina s’interroge sur son soutien au TIRPAA

La Via Campesina est « observateur » au TIRPAA et l’a toujours soutenu. Elle a vu ses articles 5, 6 et 9 comme un formidable levier pour faire respecter les droits des agriculteurs. Mais le TIRPAA n’a jamais aidé à faire appliquer ces droits par les États qui ne les respectent pas. Les paysans donnent leurs semences au système multilatéral et ont longtemps cru pouvoir y puiser ce dont ils ont besoin. Mais les banques de semences du système multilatéral s’éloignent toujours plus des paysans et ne servent qu’à l’industrie.

La Via Campesina a un gros différend avec les obtenteurs de l’UPOV qui exigent des royalties aux paysans qui utilisent leurs semences de ferme, alors qu’eux mêmes n’ont jamais rien payé pour utiliser les semences paysannes à la base de toutes leurs sélection. Mais la garantie que les semences remises au système multilatéral ne peuvent pas en l’état faire l’objet d’un COV, l’a cependant convaincue de continuer à collaborer avec le TIRPAA dans l’espoir de le voir évoluer.

Le TIRPAA alimentera-t-il la biopiraterie des brevets sur les informations génétiques ?

Les progrès des techniques du génie génétique et des technologies de l’information permettent aujourd’hui à l’industrie de déposer des brevets sur les caractères génétiques et phénotypiques déjà présents dans les plantes, y compris celles des systèmes semenciers paysans informels et du système multilatéral. Le TIRPAA veut développer l’information sur les ressources phytogénétiques en construisant une base de donnée mondiale accessible par internet et rapprochant les informations génétiques des informations phénotypique. L’industrie n’aura plus besoin d’avoir accès aux semences physiques déposées dans les banques de semences du systèmes multilatéral. L’information électronique numérisée sur les caractères génétiques et phénotypiques de ces semences lui suffit pour établir facilement les liens qui les unissent afin de les protéger par des brevets. Ce qui veut dire que demain, toutes les semences du système multilatéral sont susceptibles d’être confisquées par des brevets : sans accès facilité, il n’y a plus de système multilatéral et le TIRPAA n’a plus de raison d’être.

Et pour les paysans, cela veut dire que chaque fois que l’un d’entre eux donne ses semences au système multilatéral, accompagnée de ses savoirs sur leurs caractères d’intérêt, il facilite le dépôt d’un brevet sur un de ces caractères. Ce brevet lui interdira de continuer à les cultiver. En effet, « l’accord type de transfert de matériel », signé par tout bénéficiaire de semences venant du système multilatéral, n’interdit que les brevets limitant l’accès pour la recherche et la sélection, mais il n’interdit pas ceux qui limitent l’accès pour la culture agricole et l’utilisation des semences produites à la ferme.

La Via Campesina est bien décidée à s’opposer par tous les moyens à cette transformation du TIRPAA en machine de guerre contre les semences paysannes.

La recherche doit choisir pour qui elle travaille

Le réservoir de croisements possibles à partir du stock de toutes les semences paysannes regroupées dans les collection du système multilatéral s’épuise. Les nouveaux caractères d’adaptation des plantes aux évolutions du climat et des conditions de culture actuelles apparaissent dans les champs des paysans, c’est pourquoi l’accès aux semences paysannes intéresse l’industrie.

Les sélections paysannes locales sont lentes alors que les changements s’accélèrent. La contribution des chercheurs aux programmes de sélection participative peut leur donner plus d’efficacité. Aussi nous accueillons positivement l’intérêt croissant de la recherche pour les systèmes semenciers paysans. Mais lorsqu’un chercheur frappe à la porte d’un paysan nous lui disons ceci :

– si tu viens collecter nos semences et nos savoirs pour les transmettre à l’industrie sous forme numérisée lui permettant de les confisquer avec ses brevets, tu ne rentreras pas dans nos champs,

– mais si tu apportes la garantie formelle que ton travail ne contribuera pas à priver les paysans de leur travail, que toutes les semences que tu recueilleras ne pourront pas servir à déposer des brevets, alors nous partageons volontiers nos savoirs avec les tiens afin que notre collaboration soit encore plus fructueuse.

La Via Campesina sera très attentive à l’utilisation des fonds consacrés à la recherche sur les semences paysannes. Aucune sécurité alimentaire n’est possible si quelques multinationales détiennent la propriété de toutes les semences. Le TIRPAA et la recherche doivent rejeter le brevet et toute forme de droit de propriété intellectuelle qui s’oppose aux droits des agriculteurs.