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[Publication] “Les champs d’Europe deviennent des zones de non-droit pour les travailleurs étrangers”

La violation des droits des travailleur.se.s migrant.e.s agricoles autour de la Méditerranée: le rôle des intermédiaires du travail

Une nouvelle publication d’ECVC démontre comment des politiques migratoires utilitaristes discriminent et exploitent les travailleur.se.s étranger.e.s en transformant de nombreuses régions agricoles d’Europe en zones de non-droit.

Bruxelles, le 28 novembre 2019 – Le message venant des champs de fraises d’Andalousie était clair : tu te  plains, tu te fais virer, t’es expulsée de l’UE. L’année dernière, après avoir porté plainte pour agression sexuelle et violation du droit du travail contre des employeurs et des contremaîtres, près de 100 femmes marocaines travaillant comme cueilleuses de fraises dans le sud de l’Espagne ont été expulsées et renvoyées dans leur pays natal. Cet incident n’est toutefois que la dernière manifestation – mais peut-être la plus médiatisée – d’une tendance établie dans les filières agricoles européennes : l’exploitation des travailleur.se.s migrant.e.s dans une impunité quasi totale.

Pourtant, à Huelva comme dans plusieurs autres cas, un élément majeur est souvent négligé : le rôle joué par les intermédiaires du travail[1] dans les abus et l’exploitation des travailleur.se.s. Dans le cas des cueilleuses de fraises d’Andalousie, c’est l’UE qui a financé le projet de recrutement de ces femmes (15 000 travailleuses en 2018), en collaborant avec l’agence d’emploi marocaine comme sous-traitant . Pour une migration temporaire exemplaire, l’ordre était de recruter des personnes issues des catégories les plus défavorisées  et vulnérables de la société : les femmes rurales avec enfants, qui ne comprennent que l’arabe.

La publication lancée aujourd’hui par ECVC soutient qu’avec les régimes migratoires européens comme toile de fond[2], de tels dispositifs d’intermédiation aggravent les conditions de travail et de vie des travailleur.se.s agricoles en créant une relation de dépendance vis-à-vis des employeurs et/ou intermédiaires.

« Qui sème l’injustice récolte la misère : abus et exploitation des travailleur.se.s étranger.ère.s dans l’agriculture » est le résultat d’un travail de terrain mené pendant plus de 10 ans au sein d’ECVC, avec le support d’un réseau de chercheurs et chercheuses. En présentant et analysant différents dispositifs d’intermédiation de main d’œuvre au sein de quatre pays méditerranéens (France, Espagne, Italie et Maroc), cette publication révèle le lien problématique entre 1) l’expansion du modèle industriel de l’agriculture dans la région méditerranéenne, 2) les programmes d’intermédiation à leur service et 3) la vulnérabilité et l’exploitation accrues des travailleur.se.s agricoles migrant.e.s.

En conclusion, d’une part, l’étude met en lumière les luttes menées par des travailleur.se.s agricoles dans les territoires et, d autre part,  propose une série de solutions à court et à long termes pour faire face à la violation des droits des travailleur.se.s migrant.e.s dans le secteur agricole, ainsi que des principes de conditionnalité sociale pour les aides accordées au titre de la politique agricole commune de l’UE.

« Intégrée dans un système de concurrence généralisée sur les marchés mondiaux, l’agro-industrie a besoin d’une main-d’œuvre toujours plus flexible et bon marché », explique Nadia Azouagagh du syndicat andalou SOC-SAT. « À cette fin, les dispositifs juridiques de l’UE permettent de contourner la législation nationale du travail, au profit des intermédiaires, presque toujours au détriment des travailleur.se.s, en particulier des migrant.e.s, ce qui entraîne une violation systémique et structurelle de droits fondamentaux tels que le droit à un revenu équitable, le droit à des conditions de travail appropriées, le droit de circuler et l’interdiction de l’esclavage et du travail forcé ».

L’ampleur de cette main-d’œuvre agricole précaire et la dépendance du secteur à son égard sont considérables : En Italie, 55 % du travail saisonnier est effectué par des travailleur.se.s migrant.e.s. En Andalousie, il s’agit de 28,9% de la population agricole active, et cela monte jusqu’à 73,1% dans des villes comme Huelva. Dans certains pays de l’UE, il y a même le désir de mettre les demandeur.se.s d’asile à la disposition des employeurs du secteur agro-alimentaire.

« Partout en Europe, les migrant.e.s sont confrontés à de graves violations des droits humains et du travail dans le secteur agricole. Cette publication est un outil permettant de prendre position contre ce fait et de mobiliser des actions futures.» Selon Federico Pacheco, du Comité de coordination d’ECVC et responsable du groupe de travail d’ECVC sur le travail salarié rural des personnes migrantes, « Pour mettre fin définitivement à cette tendance, il faut d’abord une politique sociale, du travail et d’immigration fondée sur le respect sans restriction des droits des personnes migrantes et des travailleur.se.s agricoles. Et tout ça doit être fait dans le cadre d’une réorientation radicale du système de production et de distribution agro-alimentaire, en s’éloignant de l’économie d’exploitation des ressources et des êtres humains promue par le modèle agro-industriel, au profit de l’agriculture paysanne et de la souveraineté alimentaire ».

Le rapport d’ECVC, « Qui sème l’injustice récolte la misère : abus et exploitation des travailleur.se.s étranger.ère.s dans l’agriculture » est disponible en français et en anglais , et prochainement en espagnol.

Contact

  • Federico Pacheco – Comité de Coordination ECVC : +34 690 6510 46 (FR, ES)
  • Cristina Brovia – GT migrations & travail rural salarié – ECVC : +39 377 684 0085 (FR, IT, EN)
  • Nadia Azouagagh – Sindicato de Obreros del Campo (SOC-SAT)- ECVC : +34 630 25 41 13 (ES, AR)
  • Romain Balandier – La Confédération Paysanne – ECVC : +33 613 3818 28 (FR)

[1] On peut distinguer trois formes principales des dispositifs d’intermédiation de main-d’œuvre : Dispositifs gouvernementaux d’introduction de main-d’œuvre étrangère, dispositifs d’intermédiation privée (e.g. Entreprises de travail temporaire) et dispositifs d’intermédiation informelle (e.g. Caporalato). Ces différentes formes peuvent coexister sur un même territoire et jouer un rôle complémentaire au sein d’un même système de main-d’œuvre.
[2] Les régimes européens de migration créent soit un statut légal captif, soit une absence de statut légal, devenant un levier majeur de la précarité des travailleur.se.s migrant.e.s.

Credit photo : SOC -SAT