Pologne : Une grande ferme avec 21 vaches

Article paru dans le numéro de Juillet-Août 2016 d’Uniterre

Depuis l’adhésion de la Pologne à l’UE et l’abolition des quotas, le nombre de fermes laitières dans ce pays a diminué ; il y a moins de vaches et plus de lait. Mais toutes les exploitations n’ont pas grandi.

La ferme de la famille Antolak est sise à Ogrodno, un petit village d’une trentaine d’habitants dans la Poméranie occidentale, à 150 km de Stettin. Alina, la fermière, et sa fille Paulina (22 ans) m’accueillent chaleureusement et me présentent fièrement leurs 21 vaches de la race Simmental. Lors de mon arrivée, le troupeau est sur le pâturage près d’un grand râtelier avec du haylage. « Elles peuvent sortir tous les jours, sauf quand il y a de la neige. » Les vaches sont curieuses et confiantes, elles s’approchent. Alina Antolak explique : « En 2005, après avoir perdu notre troupeau Holstein en raison d’une infection avec le virus de la leucémie bovine, nous avons acheté 16 Simmental, des génisses portantes, en Allemagne. Depuis lors, nous ne jurons plus que par cette race. Les Simmental sont robustes et saines. Elles donnent un peu moins de lait, mais leur performance de vie est très élevée. » Du troupeau original, cinq sont toujours en vie, toutes les autres sont des filles. Sur la ferme, la moyenne est de 7 lactations par vache, avec vêlage saisonnier au printemps. La production moyenne par lactation est de 7 750 kilo.

 

La stabulation entravée a été bâtie en 2000. Il faut sortir le fumier à la main deux fois par jour. Il y a une installation à traite directe avec trois éléments trayeurs. Le fourrage est également servi à la main, sans mélange. Après la traite, les vaches reçoivent du haylage composé d’un mélange de trèfles, d ‘ensilage de maïs, des drêches de brasserie, des éléments minéraux, des vitamines et du sel. Le haylage et le maïs sont produits sur la ferme. Une fois par semaine, Roman Antolak va chercher les drêches à la brasserie dans le village voisin avec le tracteur. La ration est complétée avec l’herbe du pâturage.

Ferme Antolak: paiements directs pour la modernisation

L’année passée, les paiements directs de l’Union européenne pour la famille Antolak s’élevaient à 28’000 zlotys, ce qui correspond environ à 7’168 francs suisses. Cet argent est utilisé directement pour financer les acquisitions des dernières années : deux tracteurs, une enrubanneuse de balles à silo, l’installation de traite et le tank à lait. De plus, la famille a pu acheter un peu de terrain. Le couple Antolak a fait ces investissements avec enthousiasme pour offrir une bonne base à leur fille Paulina lors de sa reprise d’ici quelques années. La jeune femme entreprenante a fait des études en élevage à Posen. Récemment, elle a suivi un cours d’insémination. Pour elle, son avenir sur la ferme est tout tracé. « Notre laiterie vient de communiquer par SMS que les prix vont continuer à baisser jusqu’en juin, la suite n’est pas claire. Comme la quantité de lait produite est plus importante en été, les prix ne vont pas remonter rapidement. Mais ça ne me fait pas peur. »

La laiterie leur paye 97 groschen (25 centimes) pour 4,6 % de matière grasse et 3,37 % de protéine. C’est moins que l’année dernière (environ 1 zloty ou 26 centimes), mais dans l’ensemble, la ferme n’a pas encore souffert de la crise laitière sur le marché européen. « Les baisses de prix sont beaucoup plus importantes pour les grandes exploitations. Avec la majoration pour les quantités supplémentaires, ils recevaient jusqu’à 1,30 zloty (33 centimes), c’est beaucoup plus que maintenant. Certains ne reçoivent plus que 1,03 zloty (26 centimes) », explique Alina Antolak. En été, la famille Antolak reçoit aussi une majoration de 10 groschen (2,5 centimes) pour les quantités supplémentaires. « Parfois, nous recevons une prime en fin d’année. La dernière fois, elle était e 3’500 zlotys (896 francs). Pour couvrir nos frais de production, nous aurions besoin de 1,20 zloty (30 centimes) par litre. »

Changement structurel après l’abolition des quotas

En Pologne, l’abolition des quotas en 2015 a eu pour conséquence l’arrêt de la production laitière sur de nombreuses petites fermes (3 à 6 vaches), entre autres, parce que les laiteries ne sont plus prêtes à chercher ces petites quantités. Le commentaire d’Alina Antolak : «  C’est dommage, car ces producteurs perdent un revenu difficile à remplacer en milieu rural. Les grands ont augmenté leur quantité au moyen d’un affourragement plus intensif ou, pour certains, en agrandissant leur cheptel. Maintenant, ils produisent davantage, mais ils reçoivent moins d’argent pour leur lait qu’avant. Ce n’est pas bien, ça fait chuter les prix pour tout le monde. » Lors de l’adhésion de la Pologne à l’UE en 2004, il y avait en moyenne trois vaches par ferme. En 2014, la moyenne était déjà de huit vaches par ferme et en 2015, avec l’abolition des quotas, cette tendance s’est renforcée.

La famille Antolak ne veut pas agrandir sa ferme qui fait déjà partie des fermes moyennes à grandes avec 21 vaches. Selon l’organisation des producteurs de lait polonais PFHBiPM, il y avait 285’700 fermes produisant du lait en 2014, soit l’année de l’abolition des quotas. 212’700 fermes avec moins de dix vaches, 57’100 fermes avec 10 à 29 vaches et seulement 825 fermes avec plus de 100 vaches. Parmi ces grandes exploitations figurent également les (anciennes) fermes étatiques, par exemple la ferme Juchowo en Poméranie occidentale.

Ferme Juchowo en main d’une fondation

La fondation Stanislaw-Karlowski est propriétaire des terres, bâtiments, animaux et machines de la ferme Juchowo et elle les donne en affermage à la GmbH Spółka Rolnicza Juchowo. Avec sa stabulation libre à logettes, la ferme ressemble à de nombreuses exploitations modernes, dont la ferme étatique Galopol près de Poznan. Ce n’est qu’après un examen plus attentif qu’on remarque de nombreuses spécificités sur cette ferme biodynamique de 1600 hectares.

Il y a 250 vaches laitières, 275 génisses et 15 taureaux dans les stabulations claires, conçues pour le bien-être des animaux et pour faciliter le travail. Néanmoins, les frais de personnel ne sont pas moins élevés que sur la ferme de la famille Antolak. Il y a 18 personnes qui soignent les bovins et s’occupent de la traite.

Les 650 animaux sont répartis en trois étables, toutes reliées les unes avec les autres et avec la salle de traite. Monika Liberacka (30), responsable de la production laitière, explique : « Les vaches ne peuvent pas reconnaître plus de 100 autres bovins. La reconnaissance est nécessaire à la bonne entente, pour éviter les blessures. Ainsi, nous n’avons pas de troupeau supérieur à 100 bovins. La majorité des vaches sur Juchowo ont des cornes, autant celles de la race Holstein que celles de la race Brown Swiss qui sont mélangées dans les étables. Afin de réussir la gestion du troupeau dans la stabulation libre malgré les cornes, les vaches ont plus de place : il y a 15 m2 par vache et les couloirs mesurent tous au moins 4,50 m de largeur. Les employé‑e‑s ont une approche très respectueuse des vaches. Par exemple, on préfère les attirer et les conduire au lieu de les pousser.

Toute la production laitière de Juchowo est livrée à la laiterie Gläserne Molkerei en Allemagne, située à 200 km. Le prix payé au producteur est de 54 centimes d’euro (59 centimes) plus la taxe sur la valeur ajoutée. Avec un taux de change de 4,3 zlotys pour 1 euro, c’est un prix très intéressant pour une ferme avec des frais de production polonais. Sebastiaan Huisman, visionnaire néerlandais et directeur de Juchowo, explique que la situation financière de Juchowo n’est quand même pas rose. « Les investissements effectués jusqu’alors se comptent dans les millions et chaque année, nous affectons de grandes sommes à l’amélioration de la qualité du sol. Cela se fait par la culture de légumineuses et l’apport de compost, par l’aménagement d’étangs et la plantation de haies. »

Je demande quels ont été les changements pour Juchowo après l’abolition des quotas. La réponse de Sebastiaan Huisman est courte et concise : « Rien, si ce n’est que les paysans conventionnels achètent moins de génisses chez nous. Actuellement, le prix du lait bio est bon. »

Mixte et bio: c’est plus facile au-delà des frontières

En Pologne, les distances sont grandes et les routes en mauvais état. L’infrastructure est lacunaire, les chemins de transport du lait sont longs et les producteurs n’ont souvent pas d’autre choix que de livrer aux sociétés laitières locales, même si la coopération n’est pas bonne. La famille Nowak, bien qu’elle soit biologique, vend le lait de ses 32 vaches Holstein à une laiterie conventionnelle pour 96 zlotys (25 centimes). Le coût de production est de 1,50 zloty (38 centimes). Depuis que la Gläserne Molkerei a été reprise par Emmi, elle n’a plus donné de nouvelles à la famille Nowak, malgré l’existence d’un avant-contrat. (La croissance d’Emmi par le rachat de laiteries plus petites ne se fait pas seulement en Suisse – comme nous l’avons constaté récemment avec la Napfmilch.)

La laiterie biologique la plus proche se trouve à 300 km. Ainsi, la famille Nowaks opère un financement croisé du lait grâce à la haute valeur ajoutée réalisée avec la vente de céréales et de lentilles vers l’Allemagne. Depuis 2009, la valeur de leurs 160 hectares de terre a quasiment triplé (de 2900 à 7700 francs), puisque les paiements directs sont très intéressants pour les paysans et parce que l’État génère des recettes fiscales importantes en fixant une moyenne de prix élevé pour les terres agricoles. Toutefois, une vente est hors question : « Nous aimons notre métier et nous voulons cultiver nos terres nous-mêmes. »

Et quelles ont été les conséquences de l’abolition des quotas pour la famille Nowak ? Wieslaw Nowak : « Il n’y a pas eu de conséquence directe. Nous n’avons jamais fait de surproduction et nous n’avons pas augmenté notre quantité. Mais il paraît que le volume total de lait augmente, ce qui fait baisser les prix. Je ne sais pas s’il y a effectivement trop de lait ; peut-être que l’embargo sur les exportations à destination de la Russie et l’augmentation de la production ne sont que des excuses pour baisser les prix. »

La Pologne connaît aussi les producteurs de lait turbo et les adeptes de la croissance. On dirait cependant qu’il s’agit d’une petite minorité. La famille Antolak illustre l’importance de trouver un modèle cohérent et adapté à la ferme et aux fermiers, un modèle soutenu avec passion et confiance par tous les membres de la famille. Avec leurs 21 vaches, la situation de la famille Antolak se présente plutôt bien et même la relève est assurée.

Aucune des fermes que j’ai visitées n’a utilisé du soja comme fourrage. Sur la ferme Antolak, ils utilisent le maïs et les drêches de brasserie, la famille Nowak utilise un mélange d’avoine et de lentilles et la grande ferme biodynamique Juchowo mise sur un foin avec 60 % de légumineuses, notamment du trèfle et de la luzerne. Ainsi, chaque ferme a trouvé sa propre solution, sans pour autant utiliser des fourrages importés.

Production laitière en Pologne

Quatrième producteur laitier de l’UE après l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne avec une production de 11’759 milliards de litres de lait en 2005 et 12’959 milliards de litres de lait en 2015, dont environ 25 millions de litres en production biologique.

Moyenne de vaches par ferme en 2004 : 3,8 et en 2014 : 8

Nombre de fermes avec production laitière en 2014 : 285’700, dont 212’700 avec moins de 10 vaches.

Nombre de laiteries : 198

La part de marché des quatre laiteries les plus grandes est de 40 %.

Prix moyen au producteur en 2015 : 27,65 centimes/litre

Paiements directs en agriculture conventionnelle : env. 108 francs/ha

Paiements directs en agriculture biologique : env. 193 francs/ha

Paiements pour le Greening : 73 francs/ha

Texte et photos : Sonja Korspeter