Peut-on concilier le droit des paysans aux semences et les droits de propriété intellectuelle ?
Extrait de l’intervention de Bernard Pinaud à l’atelier semence organisé à Paris le 12 octobre par la commission Agriculture et Alimentation de Coordination Sud
(Paris, le 12 Octobre 2016) La faim est un fléau qui sévit encore aujourd’hui à travers le monde. Près de 800 millions de personnes souffrent de malnutrition. Ce fléau est un scandale ! 70% de ces malnutris sont des paysans ! Plus de 500 millions d’exploitations familiales dans le monde emploient près de 40% de la population active mondiale et fournissent 80% de la production alimentaire mondiale.
Ce sont les paysans qui sont les porteurs de la sécurité alimentaire des populations de leur pays. Sans eux, aucune chance d’atteindre la « Faim zéro » que se donne comme objectif à 2030, la communauté internationale à travers les objectifs de développement durable (ODD). Pour ces paysans, l’accès aux semences est essentiel.
La très grande majorité des paysans des pays en voie de développement dépendent de leur capacité à produire, sélectionner, échanger, vendre les semences traditionnelles.
Les semences paysannes représentent entre 80% et 90% des semences plantées en Afrique et entre 70% et 80% en Asie et en Amérique Latine. C’est pourquoi le droit des paysans aux semences est essentiel pour la réduction de la pauvreté des paysans eux-mêmes et pour la sécurité alimentaire mondiale. Or de nombreux pays du Sud deviennent des marchés convoités par les multinationales semencières.
Au moyen de pratiques commerciales agressives et d’un intense lobbying, des entreprises font pression sur des États pour faire modifier les normes et imposer des lois semencières défavorables aux paysans dans de nombreux pays en voie de développement. Ces multinationales proposent/imposent des semences certifiées/modifiées/améliorées/génétiquement modifiées – couvertes par les droits de propriété intellectuelle. Cette tendance au renforcement des droits de propriété intellectuelle se développe très rapidement et se mondialise.
En particulier depuis 20 ans et les Accords de l’OMC sur les aspects droits de la propriété intellectuelle qui touchent au commerce (les ADPIC). Ces accords exigent des États membres de l’OMC qu’ils mettent en place un régime de propriété intellectuelle sur les semences sous peine de sanctions commerciales.
Ainsi les droits de propriété intellectuelle se sont considérablement renforcés ces dernières années partout dans le monde, à la demande des pays développés et au profit de leurs industriels. Par ailleurs, on a assisté à une concentration sans précédent du marché des multinationales semencières dans les mains de 3 grands conglomérats. En achetant dernièrement Monsanto pour 59 milliards d’Euros, Bayer contrôlera près du tiers du marché mondial des semences et grâce à Monsanto, fournira les herbicides, pesticides et autres fongicides qui vont avec. C’est pourquoi nous pensons Coordination SUD et bien d’autres acteurs de la société civile qu’il faut renforcer les droits des paysans.
C’est pourquoi nous appuyons la démarche initiée par le mouvement paysan international La Via Campesina pour que la communauté internationale adopte une « Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales ». Nous demandons qu’en plus des droits déjà reconnus, soient reconnus de nouveaux droits pour un public spécifique : les paysans, comme :
le droit à la terre
le droit aux semences
le droit à la souveraineté alimentaire
Ce texte est élaboré par un groupe de travail du Conseil des Droits de l’Homme à Genève. Et nous demandons à la France de se prononcer en faveur de l’élaboration de cette Déclaration, ce qu’elle a refusé jusqu’alors. C’est pourquoi aussi, une délégation du CCFD-Terre Solidaire avec 10 organisations partenaires du Sud seront présentes au Tribunal International Monsanto qui se tiendra du 14 au 16 octobre à la Haye.
Ce tribunal donnera un coup de projecteur particulier sur les effets dévastateurs des activités de Monsanto sur l’environnement, les paysans et leur production.
Sans semences paysannes, pas d’agriculture ! Sans agriculture paysanne, pas de sécurité alimentaire au niveau mondial et impossibilité d’envisager la Faim Zéro à 2030 !
Ensemble, il nous faut défendre les droits des paysans !
Bernard Pinaud est délégué général du CCFD-Terre Solidaire et administrateur de Coordination SUD, la coordination des ONG françaises d’urgence, de développement et de volontariat internationale, chargé du lien entre le Conseil d’administration de Coordination SUD et de sa commission Agriculture et Alimentation