Paysans mozambicains contre les accaparements de terres africaines
Maputo – Avec sa côte qui scintille sur plus de 1500 miles au bord de l’Océan Indien, ses réserves capables de rivaliser avec le Serengeti et ses ressources naturelles abondantes – et situées, pour la plupart, sur des terres cultivées par de modestes communautés paysannes, le Mozambique est actuellement sous les feux de la rampe. Il est en effet en passe de devenir l’un des hubs d’investissement les plus prisés, et l’une des destinations les plus en vogue d’Afrique. Les investisseurs n’ont pas tardé à placer leurs pions dans ce pays qui connaît depuis vingt ans une relative stabilité après une guerre civile qui, dans le sillage de l’indépendance, avait duré seize ans.
Techniquement, l’État mozambicain à court de liquidités possède tout le territoire compris entre ses frontières et offre à des entreprises comme à des gouvernements étrangers, des baux renouvelables jusqu’à 99 ans pour que ces derniers y mènent des projets industriels pharaoniques dans l’agrobusiness ou l’extraction. ProSavana en est un exemple.
Il s’agit d’un projet de développement nippo-brésilien conduit avec la bénédiction du gouvernement mozambicain. ProSavana dispose de terres réservées sur le Corridor de Nacala – qui couvre trois provinces et touche 19 districts – pour des monocultures destinées à l’exportation, telles que le soja.
ProSavana, à l’instar d’autres concessions sur des terres en vue d’y extraire du charbon et du gaz, s’accompagne de grandes promesses de croissance économique marquées par la création massive d’emplois et d’exportation massives. Mais en réalité, de tels investissements privent trop souvent de leurs moyens de subsistance celles et ceux qui dépendent de l’agriculture, de la pêche ou du pastoralisme à petite échelle – soit plus de 70% de la population du Mozambique. D’aucuns pointent du doigt ces projets comme autant d’accaparements de terres, imbriqués dans de grands projets néo-coloniaux au Mozambique et dans toute l’Afrique.
« L’idée d’une création massive d’emplois est illusoire », indique Vicente Adriano, chercheur permanent auprès de l’UNAC (Union Nationale des Paysans du Mozambique). Et d’ajouter : « Le résultat final est que ces projets instaurent une dépendance au sein d’une classe qui a été – et continue d’être – historiquement négligée par les politiques et les plans de développement du gouvernement. » En tant que mouvement social, les membres de l’UNAC se targuent d’être une bande de révolutionnaires. « La mobilisation par la résistance crée des formes alternatives de souveraineté politique », avance M. Adriano.
C’est dans cet esprit que l’UNAC a emmené à Maputo ses principaux responsables ainsi que des paysans et paysannes vulnérables venus de chacune des dix provinces du Mozambique. C’était le 1er et le 2 octobre 2014, à l’occasion de sa troisième conférence annuelle sur la terre, une initiative 100 % paysanne. Cette conférence constitue le rendez-vous phare d’une série de rencontres à l’échelle régionale, au cours desquelles les délégués ont partagé leurs préoccupations et débattu de stratégies transversales pour lutter contre l’accaparement des terres et des ressources.
« Nos terres sont occupées sans que notre avis ait été recueilli », témoigne ainsi Helena Terra, paysanne venue du centre du pays – une région caractérisée par une production maraîchère et céréalière à petite échelle, désormais menacée par des cultures extensives d’eucalyptus qui appartiennent à des étrangers et par l’exploitation de charbon dans des zones habitées. Mme Terra explique ainsi que l’eau, autrefois potable dans son village, était à présent polluée par l’activité industrielle et impropre à la consommation. Et l’eau n’est pas sa seule source d’inquiétude : en 2015, de nouveaux projets autour du charbon cherchent à déplacer au moins une centaine de familles. Mais avec l’aide de l’UNAC, Mme Terra prend des dispositions juridiques pour tenter de recouvrer ces terres.
« Unis en tant que paysans, nous devons résoudre ces problèmes nous-mêmes, sans attendre que cela vienne d’ailleurs », indique le président de l’UNAC, Augusto Mafigo. Les pratiques des organisations paysannes – de l’agro-écologie à la souveraineté alimentaire en passant par la réforme agraire – sont fondées sur l’éducation populaire et les apprentissages mutuels entre les membres, comme avec d’autres mouvements africains ou internationaux. La conférence de la semaine dernière a ainsi donné une tribune à l’ambassadeur du Vénézuela, venu représenter un pays qui œuvre depuis longtemps pour réorienter radicalement son système alimentaire et le mettre au service de la majorité, pauvre, de la population. L’intervention du Zimbabwe Small Holder Organic Forum (ZIMSOFF), Forum des Petits Producteurs Biologiques venu du Zimbabwé voisin et avec lequel l’UNAC travaille en lien étroit dans le cadre de La Via Campesina, sur les méthodes de reproduction des semences paysannes et de transformation agraire, a été l’un des autres exemples.
A ce jour, La Via Campesina est le plus grand mouvement agricole transnational au monde, avec des organisations membres dans 73 pays représentant plus de 250 millions de paysans, qui lutte pour le contrôle et l’accès aux terres et aux ressources. « La Via Campesina est en lien avec ce que les gens veulent, contrairement aux politiques qui sont appliquées dans nos campagnes », explique Renaldo Chingore, très impliqué à la fois dans l’UNAC et La Via Campesina à l’échelle de la région Afrique. Il y a dix ans, l’UNAC est devenue le premier membre africain de La Via Campesina. Elle y joue aujourd’hui un rôle prépondérant dans le soutien à sa croissance à l’échelle régionale et mondiale, à une époque où l’Afrique est une priorité en termes de rayonnement et d’expansion. Les menaces qui pèsent actuellement sur ce continent sont en effet très lourdes, en grande partie en raison des accaparements des terres et des ressources. Contre ces politiques et ces énormes aberrations, des paysans de toute l’Afrique s’érigent avec détermination pour conserver, presque littéralement, les racines de leurs ancêtres. L’expérience de l’UNAC au Mozambique pourrait bien justement leur apporter une stratégie pour ce faire.
(http://www.huffingtonpost.com/salena-tramel/mozambican-peasants-vs-th_b_5943776.html)