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Mission Humanitaire pour la vie et la paix dans les plaines orientales et l’Orinoquia

Communiqué final

Les organisations sociales et de défense des droits de l’homme ainsi que les organisations confésionnelles, en réponse à l’appel urgent des communautés du sud de Meta et du nord de Guaviare, ont mis en place une mission humanitaire. Pendant dix jours (du 18 au 27 juillet 2020), les membres de la mission ont parcouru la région ; Ils ont rendu visite aux  hameaux de Tercer Milenio, Caño San José, El Silencio, Nueva Colombia, La Cooperativa, Agua Linda (Caserío Santo Domingo) et à l’ETCR (Espace territorial de formation et de réintégration) Georgina Ortiz. Dans la municipalité de La Macarena, ils ont rencontré les communautés de la Losada Guayabero. Dans la municipalité de Mesetas, ils ont écouté les habitants de l’ETCR Mariana Páez et des communautés environnantes, ainsi que de la NAR (nouvelle zone de réintégration) Simón Trinidad. Lors de l’inspection de La Julia, à Uribe, ils ont parlé avec des délégué⋅e⋅s de la NAR — du hameau La Pista et des hameaux voisins. Et dans le nord du Guaviare, ils ont visité les communautés de Puerto Cachicamo et l’ETCR Jaime Pardo Leal situé dans le hameau de Colinas.

Puisque cette mission s’est réalisée en pleine pandémie COVID-19, des protocoles de biosécurité stricts ont été établis avec les communautés. Les mesures définies par le gouvernement national et les suggestions des municipalités et des départements visités ont été appliquées.

Dans cette mission :

1.         Nous avons vu dans les propriétés des paysans et paysannes des cultures vivrières détruites comme le manioc, le plantain, le maïs, la canne à sucre et les arbres fruitiers détruits et déracinés ; des maisons brûlées et désolées ; des réservoirs d’eau détruits, des tuyaux coupés, des provisions dispersées au sol, des ustensiles de cuisine et des matelas détruits. Nous avons vu des restes d’armes utilisées par l’ESMAD (Escouade mobile antiémeute) et de fourreaux d’armes longues de l’armée nationale au même endroit. Nous avons vu des visages pleins d’incertitude et de colère face aux actions de l’État qui s’acharne contre les petits producteurs de coca (éradication forcée), les petits propriétaires terriens et les petites parcelles familiales de subsistance. En même temps, cet État permet la coupe à blanc de milliers d’hectares et l’élevage extensif du bétail qui ont transformé des écosystèmes et détruit la fonctionnalité et la connectivité des forêts.

Nous avons vu la peur sur les visages de la population locale, à cause des menaces des militaires qui, pendant les différentes opérations, criaient « ne vous inquiétez pas de nous, inquiétez-vous de ceux qui viendront après nous. Vive les AUC ! », en leur rappelant les menaces mises à exécution dans le passé.

Nous avons vu d’anciens combattants des FARC se conformer aux conditions établies dans les ETCR, les NAR et les processus de réintégration individuelle dans les communautés visitées. Nous avons constaté que le gouvernement ne s’est pas acquitté de ses responsabilités envers la population dans le processus de réintégration et les communautés environnantes.

Nous avons vu des routes en état pitoyable et des ponts bombardés par l’armée, ce qui limite et ralentit les déplacements dans la région.

2.         Nous avons entendu des témoignages de femmes, d’hommes et d’enfants indignés et blessés que les forces de l’ordre avaient attaqués. Nous avons entendu des mères angoissées en colère à cause des mauvais traitements qu’elles ont subis, ce qui alimente les cycles de violence.

Nous avons entendu des témoignages de femmes abusées sexuellement, menacées de l’être, et de victimes de la surveillance militaire et des services de renseignement qui leur ont même décrit les sous-vêtements qu’elles portaient.

Nous avons entendu des témoignages de journalistes communautaires qui ont fait l’objet de menaces et de stigmatisation et subi des blessures personnelles de la part de membres des forces de l’ordre. Ces journalistes ont documenté des abus, des agressions et l’utilisation aveugle de la force dans l’éradication forcée des cultures de coca. Nous avons entendu parler de la judiciarisation et de l’extinction de droits fonciers comme stratégie de dépossession, d’intimidation et de désarticulation du tissu organisationnel paysan.

Nous avons entendu le témoignage d’un paysan victime d’une mine antipersonnel. La mine a explosé à un endroit où les paysans étaient passés la veille situé à mi-chemin entre deux unités de l’armée à 5 minutes l’une de l’autre. Nous avons entendu l’histoire du meurtre d’un porte-parole de la communauté et de la persécution des dirigeants et dirigeantes du territoire.

Nous avons appris que les militaires sont arrivés en période de pandémie sans mesures de biosécurité, violant ainsi les règles de quarantaine établies par les communautés locales et les autorités nationales elles-mêmes.

Nous avons entendu des témoignages sur la présence de paramilitaires dans la région. Nous avons entendu dire que les dissidents y font des incursions et se sont affrontés aux forces de l’ordre. Nous avons entendu la peur des enfants et des jeunes qui ne veulent pas aller à l’école par crainte des mines antipersonnel et de rencontres avec les troupes de l’armée.

Nous avons entendu dire que de grandes extensions de terres, qui dépassent de loin l’Unité agricole familiale, se trouvent dans des zones ciblées pour des projets miniers et énergétiques. Nous avons entendu dire que la législation sur la protection des parcs a été adoptée longtemps après que les paysans aient « colonisé » la zone et que certaines décisions visent à les en expulser, en oubliant que beaucoup d’entre eux ont protégé et conservé le parc pendant des décennies.

3.         Nous avons appris l’histoire de la colonisation dirigée par l’État dans les années 1970 dans la région, ce qui a attiré des gens de différentes parties du pays pour « civiliser » ces territoires. Nous avons connu des processus de colonisation paysanne forcée en raison de la violence que les paysans ont subie dans leurs régions d’origine. Nous avons trouvé des gens qui ont été poussés vers cette région parce que la pauvreté les obligeait à laisser leurs familles derrière eux pour chercher un morceau de terre ou effeuiller la coca. Beaucoup d’entre eux sont morts et leurs familles n’ont plus jamais entendu parler d’eux. Nous avons entendu des témoignages de gens qui ont dû vivre au milieu de la violence physique, psychologique et symbolique.

Nous avons pris connaissance de la mise en œuvre de projets miniers, énergétiques, touristiques et extractifs dans des zones où des terres ont été expropriées et les droits de communautés sur des propriétés qu’elles occupent de longue date ont été niés.

Nous avons pris conscience de l’incertitude et de l’indignation suscitées par la non-exécution des accords de paix par le gouvernement, notamment le PNIS (Programme national intégral de substitution des cultures illicites) et les PDET (Plans de développement axés sur le territoire). La plupart des paysans couverts par le PNIS ont éradiqué volontairement leurs cultures, mais le gouvernement n’a respecté presque aucun de ses engagements.

4.         Nous avons ressenti l’impuissance, la peur et l’incertitude des communautés à cause de tout ce qu’elles ont vécu, de l’avenir incertain qu’elles entrevoient, de la reproduction générationnelle des cercles de violence, et du travail de toute leur vie qu’on leur vole.

Nous avons ressenti de la honte en voyant comment les militaires piétinent leur honneur en traitant les communautés paysannes comme un ennemi, et en constatant comment l’État de droit se transforme en un État de fait, violent et injuste ; en voyant comment s’estompe la paix que nous avons chérie pendant quelques courtes années. Nous avons ressenti de l’indignation en constatant comment l’État, qui devrait être le garant des droits fondamentaux, les nie de nombreuses façons. Nous avons ressenti l’indignation des communautés parce que les membres de l’État, les forces de l’ordre, le gouverneur du Meta et d’autres les martyrisent.

Nous lançons un appel urgent :

Aux personnes de bonne volonté en Colombie et dans le monde pour agir afin d’éviter une tragédie humaine et environnementale aux conséquences irréparables. 

Aux différentes instances de l’État de se conformer à leur devoir constitutionnel, de garantir la vie de la population et la préservation des écosystèmes clés dans cette urgence climatique que connaît le monde.

À la communauté internationale d’exiger le respect des accords bilatéraux et de forcer ses entreprises à respecter les exigences éthiques en matière de droits de l’homme et de l’environnement.  Nous les invitons également à reconnaître leurs implications positives ou négatives dans la région : consommation de cocaïne, mise en œuvre de projets miniers et énergétiques, entre autres.

Ont signé :

Federación Nacional Sindical Unitaria Agropecuaria – FENSUAGRO 

Sindicato de Trabajadores Agrícolas Independientes del Meta – SINTRAGRIM

Corporación Claretiana Norman Pérez Bello

Comisión Intereclesial de Justicia y Paz

Humanidad Vigente Corporación Jurídica

Fundación por la Defensa de los Derechos Humanos y el Derecho Internacional Humanitario del Oriente y Centro de Colombia – DHOC

Benposta – Nación de muchachos

Comunidades de Fe Teusaquillo Territorio de Paz

Centro de Alternativas al Desarrollo – CEALDES

Asociación Nacional de Zonas de Reserva Campesina

CEPALC: Centro Ecuménico para América Latina de Comunicación

Fundación Enciso de Corazón

Ont appuyé :

Corporación Vínculos

Fondo de Protección

Fundación Paz y Reconciliación

Corporación Ambiental y Turística – CORPOHUMADEA

Pastoral Social Regional Suroriente

USO – Subdirectiva Meta

Corporación Jurídica Yira Castro

Corporación Vida-Paz

Colectivo Sociojurídico Orlando Fals Borda

Movimiento Sueco por la Reconciliación – SweFOR

International Action for Peace – IAP