Les paysan(ne)s qui pratiquent une agriculture durable contribuent à refroidir la terre
Document de cadrage sur le réchauffement climatique
Les modes de production et de consommation actuels sont à l’origine d’une destruction massive de l’environnement et du changement climatique, qui met en danger l’écosystème de notre planète et mène la communauté humaine au désastre. Le réchauffement climatique démontre les effets d’un modèle de développement fondé sur la concentration du capital, une forte consommation d’énergies fossiles, la surproduction, le consumérisme et la libéralisation du commerce. Le réchauffement climatique a débuté il y a plusieurs décennies mais la plupart des gouvernements ont refusé de s'attaquer à la racine et aux causes du problème. Ce n’est que récemment, dès lors que les compagnies transnationales ont pu mettre en place des mécanismes financièrement hypers rentables, que des solutions possibles ont fait leur apparition, sous forme de propositions définies et contrôlées par ces grandes entreprises et soutenues par les gouvernements .
Partout dans le monde, les paysans et paysannes s’associent avec d’autres mouvements sociaux, organisations, peuples et communautés pour revendiquer et développer des transformations radicales tant du point de vue social, qu'économique ou politique, ceci afin de renverser la tendance actuelle. Les pays industrialisés et l’industrialisation de l’agriculture sont les plus grandes sources d’émission de gaz à effet de serre. Mais les agriculteurs et les communautés rurales – et plus particulièrement les petits agriculteurs et les communautés rurales des pays en voie de développement – sont les premiers à pâtir du changement climatique. Les changements du climat génèrent des sécheresses inhabituelles, des inondations et des tempêtes, qui s'accompagnent de maladies et nuisibles inconnus détruisant les récoltes, les sols, le bétail, et les fermes. De plus, les espèces végétales et animales continentales ou sous-marine, sont menacées ou disparaissent à une vitesse sans précédent en raison des effets combinés du réchauffement et des modes d’exploitation industriels. La vie est largement mise en danger par la diminution des ressources en eau douce disponibles.
Les conséquences du changement climatiques vont au-delà des impacts directement tangibles. Un temps changeant et imprévisible signifie que les savoir-faire locaux, qui étaient jusqu'alors à la base de pratiques agricoles s'adaptant parfaitement aux spécificités climatiques, vont devenir moins pertinents. Ceci rendra les paysans encore plus vulnérables et dépendants des intrants et des techniques venant de l’extérieur.
Pour s'adapter à ces nouvelles situations imprévisibles, les paysans doivent sélectionner des semences et modifier leurs systèmes de production. Les sécheresses et les inondations provoquent de mauvaises récoltes, augmentant donc le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde. Des études prévoient une chute des rendements agricoles de 3 à 16% d’ici 2080. Dans les régions tropicales, le réchauffement climatique est susceptible de conduire à un déclin important de l’agriculture (jusqu’à 50% au Sénégal et 40% en Inde) et à une accélération de la transformation en déserts des terres cultivables. Dans le même temps, des superficies considérables en Russie et au Canada vont potentiellement devenir des terres arables et ce pour la première fois dans l’histoire de l’humanité. Mais aujourd’hui, on ne sait pas bien encore quelle sera la capacité productive de ces régions. On s’attend à ce que des millions d’agriculteurs soient déplacés de leurs terres. De tels changements sont considérés par l’industrie comme une opportunité économique puisqu’elle y voit un accroissement potentiel des exportations et des importations d’aliments. Mais en réalité, tout ceci ne fera qu’augmenter la faim et la dépendance dans le monde.
La production et l’utilisation d’aliments par les multinationales contribuent sensiblement au réchauffement climatique et à la destruction des communautés rurales. Le transport d’aliments d’un continent à l’autre, la monoculture intensive, la destruction des terres et des forêts, et l’utilisation d’intrants chimiques en agriculture font de l’agriculture une activité énergivore contribuant au changement climatique. En raison des politiques néo-libérales imposées par l’organisation mondiale du commerce, par les accords régionaux et bilatéraux de libre échange, par la banque mondiale et le fond monétaire international, les aliments sont produits en ayant recours à des pesticides et des engrais dont la production consomme du pétrole. Du fait de ces mêmes politiques, les aliments sont transportés tout autour de la terre pour être transformés et consommés.
Via Campesina, en tant que mouvement regroupant des millions de petits paysans et de producteurs au travers le monde, affirme que le moment est venu de modifier radicalement notre façon de produire, de transformer, de commercialiser et de consommer les produits alimentaires et agricoles. Nous croyons que les petites fermes en agriculture durable et la consommation d’aliments locaux peuvent renverser la tendance dévastatrice actuelle et venir en soutien à des millions de familles vivant de l’agriculture. L’agriculture peut aussi contribuer à réduire l’effet de serre par des pratiques qui permettent de stocker du CO2 et qui réduisent considérablement l’utilisation d’énergie sur les fermes.
L’agriculture industrielle contribue largement au réchauffement global et au changement climatique
1/ En transportant des aliments tout autour de la terre
Pendant que des aliments frais et emballés voyagent inutilement autour du monde, l'accès au marchés locaux et nationaux est refusé aux propres producteurs du pays. En Europe et aux Etats-Unis, il est désormais courant de trouver des fruits et légumes, de la viande ou du vin, ayant été produits en Afrique, en Amérique du Sud, ou en Océanie. De même, on trouve du riz asiatique en Amérique ou en Afrique. Le fuel fossile utilisé pour le transport des aliments relâche dans l’atmosphère des tonnes de CO2. L’organisation des paysans suisses UNITERRE a calculé qu’un kilogramme d’asperges importé du Mexique nécessite 5 litres de kérosène pour être transporté par avion jusqu’en Suisse (11’800km). Dans le même temps, pour arriver jusqu’au consommateur un kilo d’asperges produit en Suisse ne consomme que 0,3 litres de pétrole.
2/ En imposant des modes de production industriels (mécanisation, intensification, utilisation de produits chimiques, monoculture…)
L’agriculture « soit disante modernisée » et en particulier les systèmes de monoculture industriels, détruisent les processus naturels d’humification qui ont lieu dans les sols (stockage du CO2 sous forme de matière organique) et les remplacent par des procédés chimiques utilisant des engrais et des pesticides. En raison notamment de l’utilisation d’engrais chimiques, l’agriculture intensive et la monoculture pour l'alimentation animale produisent d’importantes quantités de dioxyde d’azote (NO2). Or, ce gaz arrive troisième au palmarès des gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique. En Europe, 40% de l’énergie consommée sur les fermes est dû à la production des engrais azotés. Par ailleurs, la production industrielle consomme beaucoup plus d’énergie (et relâche dans l’atmosphère beaucoup plus de CO2) pour la transformation des aliments et pour faire fonctionner les énormes tracteurs qui labourent et travaillent la terre.
3/ En détruisant la biodiversité et son potentiels de capture du carbone
Le carbone présent dans l’air est naturellement capturé par les plantes puis stocké dans le bois ou sous forme de matières organiques dans les sols. Certains écosystèmes, comme les forêts primaires, les tourbières, et les prairies stockent plus de carbone que d’autres.
Ce mécanisme du cycle du carbone participe à l’équilibre du climat depuis des millénaires. Les multinationales ont désormais détruit cet équilibre en imposant l’extension généralisée d’une agriculture industrielle (utilisant massivement des pesticides et des fertilisants produits à partir du pétrole), en brûlant des forêts pour créer des plantations en monoculture et en détruisant les tourbières et la biodiversité.
4/ En convertissant les terres et les forêts en zones non agricoles
Les forêts, les prairies et les terres cultivées sont rapidement converties en zones de production agricoles industrielles ou en centres commerciaux, en complexes industriels, en zones de logements, en infrastructures routières ou touristiques. Ces changements provoquent des relâchements massifs de carbone dans l’atmosphère et réduisent la capacité de l’environnement à absorber le carbone relâché dans l’atmosphère.
5/ En convertissant l’agriculture d’un producteur d’énergie à un consommateur d’énergies
Sur le plan énergétique, le rôle premier des plantes et de l’agriculture est de transformer l’énergie solaire en sucres et en cellulose qui peuvent être directement assimilés comme aliments ou transformés en protéines par les animaux. Par ce processus naturel de l’énergie est incorporé dans la chaîne alimentaire. Mais, au cours de ces deux derniers siècles, l’industrialisation de l’agriculture a fait de cette activité une consommatrice d’énergie (engrais, utilisation des tracteurs, produits chimiques issus du pétrole…)
Les fausses solutions
Les agrocarburants (carburants produits à partir des plantes, de l’agriculture et de la forêt) sont souvent présentés comme une des solutions à la crise énergétique actuelle. D’après le protocole de Kyoto, d’ici 2020, 20% de la consommation énergétique globale devrait provenir de sources renouvelables, consommation d’agrocarburants inclue. Or, au-delà même de l’aberration de produire des aliments pour alimenter les voitures alors que de nombreuses personnes meurent de faim, la production industrielle d’agrocarburants va en fait augmenter le réchauffement général du climat au lieu de le réduire. La production d'agrocarburants va relancer les systèmes de plantations coloniaux, avec les formes de travail proches de l'esclavage qui vont avec. Elle va sérieusement accroître l'utilisation de produits chimiques et contribuer à la deforestation ainsi qu'à la destruction de la biodiversité. La production intensive d’agrocarburants n’est donc pas une solution au réchauffement climatique, elle ne permettra pas non plus de résoudre la crise globale du secteur agricole. Ces impacts seront ressentis de manière encore plus vive dans les pays en développement, car les pays industrialisés ne seront pas en mesure de couvrir leur propre besoin en agrocarburants et devront donc en importer de très grande quantité en provenance des pays du Sud.
Commerce de Carbone
D’après le protocole de Kyoto et d’autres accords internationaux, le“commerce de carbone”est présenté comme une solution au réchauffement climatique. C’est en fait une privatisation du carbone, après celle de la terre, de l’air, des semences, de l’eau et des autres ressources. Par ce biais, les gouvernements allouent à de grosses industries polluantes des permis afin qu’elles puissent se vendre entre elles des « droits à polluer ». D’autres programmes encouragent les pays industriels à financer la capture de carbone en réalisant des plantations à large échelle dans les pays du Sud, ceci leur évite d'avoir à réduire leurs propres émissions. Tout ceci permet aux entreprises de réaliser un double profit tout en proclamant hypocritement qu'elles contribuent à la séquestration du carbone. Par ailleurs, en Asie, en Afrique, en Amérique Latine des zones naturelles sont soudainement décrétées comme des puits de carbone et privatisées au nom de soi disant services environnementaux. En conséquence, des communautés indigènes sont expulsées de leurs terres et voient leur droit d'accès à leur propre forêts, champs et rivières réduits.
Plantes et arbres génétiquement modifiés
Les arbres et les plantes génétiquement modifiés sont désormais développés pour la production d’agrocarburants. Les organismes génétiquement modifiés ne résoudront aucune crise environnementale puisqu’ils représentent eux-mêmes un risque pour l’environnement, la santé et la sécurité. De plus, ils renforcent le contrôle des multinationales sur les semences et empêchent les agriculteurs de jouir de leurs droits pour semer, développer, sélectionner, diversifier et échanger leurs propres semences.
Les arbres et les plantes génétiquement modifiés vont servir pour la deuxième génération d’agrocarburants, celle qui utilisera la cellulose comme matière première (à la différence des agrocarburants de la première génération qui sont fabriqués à partir des sucres des plantes). Qu'elle aie recours ou non aux organismes génétiquement modifiés, la seconde génération d’agrocarburants soulève des préoccupations similaires à celle de la première.
De vraies solutions : La souveraineté alimentaire, une piste pour la survie de millions de personnes et la protection de la vie sur terre
Via Campesina pense que des solutions à la crise actuelle doivent émerger des acteurs sociaux qui promeuvent des modes de production, de commerce et de consommation fondés sur la justice, la solidarité, et une vie en société plus saine. Aucune solution technique ne permettra de sortir du désastre environnemental et social actuel. Un kit de véritables solutions devrait faire appel à :
Une agriculture durable à plus petite échelle. Etant donné qu'elle requiert une main d’œuvre importante mais peu d’énergie fossile, une telle agriculture peut en effet contribuer à arrêter et inverser les effets du changement climatique :
* en stockant plus de CO2 dans la matière organique des sols en ayant recours à des pratiques agronomiques durables
* en remplaçant, comme c’est le cas en agriculture biologique, les engrais azotés chimiques par des engrais organiques et/ou en intégrant dans les rotations des plantes fixatrices de l’azote de l’air
* en rendant possible une production, une collecte et une utilisation décentralisée de l'énergie
Une véritable réforme agraire, qui renforce les petites fermes, qui rappelle que la vocation première des sols est de produire des aliments, et qui considère l'alimentation comme un droit des plus basiques ne pouvant être traités comme une marchandise. En produisant localement nos aliments, on peut mettre fin aux transports inutiles et garantir que les produits qui arrivent jusqu'à nos tables sont sains, frais et riches en nutriments.
Un changement de nos modes de production et de consommation. En effet, pendant que des centaines de millions de personnes souffrent de la faim et de privations, une minorité de l'humanité consomme et gaspille futilement. Une distribution juste et équitable des aliments et des biens de première nécessité ainsi qu'une réduction des consommations inutiles devraient être au coeur des nouveaux schémas de développement. De plus, les industriels ne devraient pas avoir le droit d'imposer des déchets ou des achats inutiles comme ils le font en proposant de plus en plus de produits jetables ayant une durée de vie artificiellement courte
La mise en place de systèmes de production d'énergie diversifiés et décentralisés, basés sur des ressources locales et des technologies qui ne détruisent pas l'environnement et ne détournent pas les sols de leur vocation à produire des aliments.
Nous demandons urgemment à ceux qui prennent des décisions au niveau local, national et international d'agir:
Partout dans le monde, nous pratiquons et nous défendons l’agriculture familiale durable et à petite échelle, et nous réclamons la souveraineté alimentaire. La souveraineté alimentaire est le droit des populations à avoir une alimentation saine qui leur soit culturellement adaptée et produite grâce à des méthodes respectueuses de l’écologie et durables. C’est leur droit à définir leur alimentation et leurs systèmes de production. La souveraineté alimentaire met au cœur des systèmes de production et des politiques les aspirations et les besoins de ceux qui produisent, distribuent et consomment les aliments au lieu d’y mettre la demande du marché et des multinationales. Elle donne la priorité aux économies et aux marchés locaux et nationaux. Elle redonne du pouvoir aux paysans et aux familles qui tirent leurs revenus de l’agriculture, de la pêche artisanale, du pastoralisme, de la production, de la distribution et de la consommation d’aliments produits de manière durable, c'est-à-dire en respectant l’environnement, les hommes et les femmes, et l’économie
Pour aller dans ce sens, nous demandons :
1/ Le démantèlement intégral des multinationales de l’agrobusiness : Elles volent la terre aux petits paysans, produisent une alimentation de très mauvaise qualité et provoquent des désastres environnementaux.
2/ Le remplacement de l’agriculture et de l’élevage industriel par une agriculture durable pratiquée sur de petites fermes, ceci grâce à des programmes de réformes agraires adaptés.
3/ La promotion de politiques énergétiques saines et durables. Ceci veut dire consommer moins d'énergie et produire de l'énergie décentralisée au lieu de promouvoir de vastes plantations d'agrocarburants comme c'est actuellement le cas.
4/ La mise en œuvre de politiques agricoles et commerciales au niveau local, national et international qui soutiennent l’agriculture durable et la consommation d’aliments de proximité. Ceci implique l’interdiction des subventions qui favorisent les pratiques de dumping pour les produits alimentaires.