L’UPOV doit respecter les droits des agriculteurs
Retour sur la confrontation publique entre l’UPOV et le TIRPAA
Après de nombreuses années de plaidoyer, La Via Campesina et les ONG alliées ont obtenu une première confrontation publique entre le Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture (TIRPAA) et l’ Union pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) sur la question des droits des agriculteurs de conserver, utiliser, échanger et vendre leurs semences de ferme et de participer aux décisions. Cette rencontre a eu lieu le 28 octobre à Genève, en présence d’observateurs de La Via Campesina et d’orateurs d’ONG alliées. Elle a mis en lumière :
– le double langage de l’UPOV qui prétend que rien dans sa convention ne s’oppose aux droits des agriculteurs alors qu’elle oblige ses membres à adopter des lois contraires à ces droits;
– le silence assourdissant des délégués présents des pays qui ont reconnus les droits des agriculteurs en ratifiant le TIRPAA et qui continuent à les nier en appliquant la convention UPOV de 1991.
La Via Campesina a aussi dénoncé les brevets sur les caractères natifs des semences qui menacent les droits des agriculteurs tout autant que la survie de l’UPOV. L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI/WIPO en anglais), qui était invitée, n’a pas daigné participer aux débats, alors même que ce symposium a été accueilli dans ses locaux par son propre secrétaire général qui est aussi secrétaire général de l’UPOV.
Il dépend maintenant de nos mobilisations que ces confrontations se poursuivent pour gagner dans chaque pays et au niveau global des lois d’application effective et sans restriction des droits des agriculteurs.
Le 26 octobre, l’UPOV avait invité La Via Campesina à s’exprimer lors d’un précédent symposium sur les produits de la récolte et le matériel de multiplication, pierre angulaire de la confrontation entre les droits des agriculteurs et les droits des obtenteurs. Cette intervention a constitué une première introduction sur les relations entre les droits des agriculteurs et l’UPOV.
Un équilibre équitable entre les droits des obtenteurs et les droits des agriculteurs
Pour la majorité des agriculteurs, le produit de la récolte est tout autant destiné à nourrir sa famille et sa communauté, à être écoulé sur le marché qu’à être utilisé sur la ferme comme matériel de reproduction ou de multiplication végétative. Les systèmes semenciers informels qui majoritairement utilisent une partie de la récolte comme matériel de reproduction fournissent aujourd’hui plus de 70 % de la nourriture disponible sur la planète en n’utilisant que 25 % des terres cultivées. Ces paysans représentent la moitié de la population mondiale. Ils ne disposent la plupart du temps pas des moyens financiers d’acheter des semences commerciales. Les obliger à renoncer à l’auto-production de leur matériel de reproduction est d’abord une atteinte à la sécurité alimentaire.
De nombreux pays adoptent des lois qui se réfèrent à la convention de l’UPOV pour criminaliser tout échange de semences qui ne sont pas certifiées en conformité avec les standards de distinction, d’homogénéité et de stabilité de l’UPOV, ce qui prive les agriculteurs de tout approvisionnement en semences librement reproductibles. Ils criminalisent ensuite l’auto-production du matériel de reproduction issu des seules semences commerciales disponibles afin de rendre absolu leur monopole non seulement sur le marché mais aussi dans les champs. Si elle ne veut plus être accusée de porter ainsi atteinte à la sécurité alimentaire, l’UPOV doit clairement indiquer qu’elle n’approuve pas ces lois.
La production sur la ferme du matériel de reproduction et de multiplication végétative destiné à être cultivé sur la ferme est le meilleur moyen de l’adapter aux conditions de culture auxquelles il est destiné. Cette adaptation locale est un facteur essentiel de résilience des agrosystèmes face à l’ampleur des changements climatiques, à l’augmentation de leur fréquence et à leur irrégularité. L’autre facteur essentiel de résilience est la diversité intra et inter-variétale du matériel de reproduction utilisé. Les agriculteurs renouvellent régulièrement cette diversité grâce aux systèmes informels d’échanges de semences.
Les variétés commerciales protégées par le système de l’UPOV amènent une adaptation avant tout aux besoins des filières du marché global, qui réclament des produits standardisés, et à la standardisation des conditions de culture par les intrants, par la mécanisation et souvent par l’irrigation. Ces variétés à très large diffusion ne peuvent par contre pas être adaptées à chacun des terroirs et des environnements dans lesquelles elles seront cultivées, ni à chaque changement brutal de conditions climatiques. Seuls les agriculteurs peuvent réaliser cette indispensable adaptation en les reproduisant et en les re- sélectionnant plusieurs années dans leurs propres champs.
Les variétés commerciales du système UPOV ont toutes été sélectionnées en puisant dans les millions de variétés paysannes collectées gratuitement dans tous les champs de la planète et qui constituent la quasi totalité des ressources phytogénétiques des banques de germoplasme. La simple équité voudrait que les paysans puissent eux aussi ré-utiliser librement les semences commerciales qu’ils ont achetées.
Au delà de cette équité élémentaire, l’industrie semencière aura de plus en plus besoin de laisser les paysans utiliser leurs semences de ferme. La biodiversité n’est pas une collection d’objets inanimés conservés au fond d’une cave. C’est la diversité de la vie, en constante évolution, en constant renouvellement. Pour aussi important qu’il soit, le réservoir actuel de ressources phytogénétiques n’est pas inépuisable. De plus, s’il n’est pas régulièrement renouvelé, il disparaît progressivement. La FAO estime à 75 % la perte de biodiversité cultivée qui a accompagné la généralisation des variétés commerciales homogènes et stables. Une telle érosion porte atteinte aux possibilités de leur renouvellement. De plus, la dématérialisation actuelle des ressources génère une perte inestimable de toutes les informations génétiques non numérisables. Les innovations apportées par le génie génétique, qui se résument à quelques centaines de gènes intégrés dans toutes les cultures de la planète, accélèrent encore cette érosion. Ces innovations promettent une adaptation plus importantes aux conditions climatiques extrêmes : elles ne seront jamais adaptées à la variabilité grandissante de ces conditions climatiques ni à la diversité qu’exige leur développement inégal dans chaque terroir.
Les nouveaux complexes génétiques d’adaptation aux évolutions de plus en plus rapides des conditions de culture apparaissent dans les champs des paysans qui les sélectionnent patiemment année après année dans ces conditions de culture. Les centaines de millions de paysans qui reproduisent leurs semences chaque année créent bien plus de diversité nouvelle que quelques milliers de chercheurs disposant de matériel sophistiqué. Ce renouvellement constant de la biodiversité cultivée dans les champs est indispensable, non seulement pour son adaptation dans chaque localité aux conditions de culture changeantes, mais aussi pour réapprovisionner le réservoir de ressources phytogénétiques de l’industrie. Ce n’est qu’en puisant dans ce réservoir réactualisé que l’industrie pourra amener à nouveau les innovations dont ont besoin les agricultures d’aujourd’hui.
Les systèmes semenciers formels et informels ne peuvent plus continuer à vivre en se faisant la guerre. Le système formel est né en puisant toutes ses ressources dans tous les interstices du système informel. Il ne survivra pas si il détruit le terreau dans lequel puisent ses racines, ni en ne se nourrissant que de « bip » informatiques dématérialisés. Sa survie dépend elle aussi du droit des paysans de conserver, d’utiliser, d’échanger et de vendre leurs semences de ferme, tels que définis par le Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture.
Ces droits ne remettent pas en cause les principes fondateurs de l’UPOV qui assurent les droits de l’obtenteur de se réserver un usage exclusif de commercialisation du matériel de reproduction de la variété protégée. Il ne s’agit pas de permettre à l’agriculteur de revendre sans l’autorisation de l’obtenteur des semences revendiquant la dénomination et les caractéristiques d’une variété protégée. Mais dès lors qu’un paysan reproduit des semences de ferme sans sélection conservatrice des caractéristiques de la variété d’un obtenteur, celles-ci évoluent, plus ou moins rapidement suivant les espèces, vers une meilleure adaptation locale et la création de nouvelles caractéristiques. L’exception de sélection est un principe fondateur de l’UPOV et il n’y a pas de raison d’en exclure les sélections paysannes adaptatives ou de le réserver aux seuls croisements dirigés et au génie génétique.
L’UPOV doit évoluer pour accepter cet équilibre équitable entre les droits des obtenteurs et les droits des agriculteurs : il en va de sa propre survie, mais avant tout aussi de la sécurité alimentaire.