France, Christian Roqueirol, paysan activiste contre le groupe Bolloré
Article paru dans Politis, le 10 février 2017
par Malika Butzbach
Membre de la Confédération paysanne, Christian Roqueirol est accusé de dégradations par le conglomérat français. En attendant son procès, il cherche à médiatiser le fond de l’affaire : l’accaparement des terres dans des pays d’Afrique et d’Asie.
Le 20 octobre 2016, Christian Roqueirol, paysan et éleveur de moutons, est convoqué à la gendarmerie de Saint-Jean-du-Bruel, dans l’Aveyron. La cause ? Un plainte du groupe Bolloré.
« Le 6 juin, nous étions 150 à manifester devant la tour Bolloré [à la Défense], pour protester contre l’accaparement des terres en Afrique par Socfin, une filiale du groupe. J’ai descendu, symboliquement, un drapeau du mât et les vigiles se sont rués sur moi. Dans le mouvement de foule, le mât a bougé et c’est pour ça que Bolloré porte plainte contre moi pour dégradation. »
Porter le débat par tous les moyens
La plainte est ridicule au regard du problème de fond, mais le paysan reconnaît son implication, espérant qu’un procès mette en lumière le phénomène d’accaparement des terres par les entreprises françaises. « Profitons-en ! Ça fait longtemps qu’on essaye de sortir cette histoire de l’ombre ! », s’exclame-t-il. « C’est une vraie stratégie, explique le porte-parole de la Confédération paysanne, Laurent Pinatel. Pour Christian, lorsque la problématique vaut le coup, il faut utiliser tous les vecteurs médiatique, y compris la Justice, pour porter le débat. Ce n’est pas la première fois qu’il agit de la sorte : lors du démontage du McDonald’s de Millau en 1999, il n’avait rien déclaré à la police mais a expliqué longuement au tribunal les raisons de son geste. »
L’éleveur de moutons est présents sur de nombreux fronts. Lui-même se décrit comme « paysan activiste ». Ou activiste paysan. Qu’importe le sens, les actions comptent plus que les mots. « Il ne s’agit pas d’aller aux manifestations pour aller au manifestations et brasser de l’air, souligne-t-il. Il y a un vrai fil conducteur : l’agriculture paysanne et, plus largement, les conditions de vie à la campagne. » Les autres syndicalistes le reconnaissent, si Christian est toujours partant pour faire des actions, il réfléchit aux pourquoi et comment de ces actions.
Militant de longue date
Son engagement a commencé lorsque, en 1975, il arrive sur le plateau du Larzac, à l’occasion d’un tour de France à vélo des objecteurs de conscience. Il n’en est jamais reparti. Avant cela, le coup d’État de Pinochet au Chili avait déjà été un déclic, et c’est au sein des comités de soutien que l’adolescent se politise. Même si, fils d’ouvrier SNCF, il reconnaît avoir toujours été sensible aux injustices sociales. « Mon engagement vient surtout de mon envie de changer le monde. Je sais ce n’est pas très original, mais c’est vrai. » Il rigole avant de redevenir sérieux : « J’essaye que mes actions aillent dans ce sens. »
Et des actions, il en a fait ! Il cite pêle-mêle les organismes génétiquement modifiés (OGM), la répartition de la PAC ou, plus récemment, la ferme des milles vaches. Ancien secrétaire général de la Confédération paysanne, il devient suppléant au bureau de la Via Campesina, une organisation agricole internationale dans laquelle il représente, toujours actuellement, la branche européenne des syndicats paysans. Dans ce cadre, il se sensibilise aux problématiques agricoles au niveau mondial et répond positivement lorsque ReAct lui demande du soutien dans son combat contre l’accaparement des terres par les grandes entreprises européennes, dont Socfin.
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Contre l’intimidation de Vincent Bolloré
La firme multinationale luxembourgeoise Socfin exploite plus de 181 000 hectares de plantations tropicales via un ensemble de filiales. Au Cambodge, c’est de l’hévéa que récolte Socfin KCD. Au Cameroun, Socapalm cultive des palmiers à huile. Idem pour SAC en Sierra Leone… Entre 2010 et 2014, la firme agro-industrielle a augmenté de 29 % l’étendue de ses plantations. Le groupe français, lui, tente de se dédouaner en rappelant qu’il n’est qu’actionnaire du groupe. « Mais 38,75 % des parts, ce n’est pas rien, tempête Christian Roqueirol. Bolloré veut juste préserver sa belle image… »
Et pour y arriver, l’industriel a sa tactique. Lorsqu’il s’agit de médias installés, il coupe ses subventions ou publicités tandis que pour les plus petits, il les poursuit en justice, comptant sur la lenteur du système judiciaire et le coût qu’un procès représente. Une tactique d’intimidation qu’il a déjà testée, notamment en portant plainte contre le journal en ligne Bastamag. De son côté, Christian Roqueirol attend : « Je ne sais même pas s’il va y avoir une suite, c’est la décision du procureur. Du coup, j’attends tranquillement », plaisante-t-il.