Droits des agriculteurs contre privatisation des semences

(Bali, le 3 octobre 2016) Du 27 au 30 septembre s’est tenue à Bali en Indonésie la troisième Consultation mondiale sur les droits des agriculteurs convoquée sous l’égide du Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture. Pour la première fois, les représentants du mouvement mondial La Via Campesina qui représente plus de 200 millions de petits paysans du monde et de la Plateforme mondiale pour la souveraineté alimentaire (IPC), mouvement auto-organisé des producteurs de nourritures, cultivateurs, éleveurs, pêcheurs et peuples indigènes, ont été formellement invités à participer aux débats. Alors que lors des consultations précédentes, seuls quelques paysans choisis par les organisateurs étaient invités, ce furent cette fois-ci les délégués choisis par les organisations paysannes elles-mêmes qui purent s’exprimer. Cette invitation marque une évolution du Traité vers des pratiques plus démocratiques se rapprochant de celle de l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) qu’il serait souhaitable d’institutionnaliser.

Le jour de l’ouverture de cette Consultation, la plus grande banque mondiale de semences de maïs et de blé partie contractante au Traité, le CIMMYT, annonçait avoir signé un accord de partenariat avec le deuxième semencier mondial, Dupont-Pionner, pour développer la nouvelle technique OGM « CRISPR-Cas9 ». Cette technique lui permettra de breveter les gènes des 175000 variétés paysannes de ces deux espèces alimentaires majeures qu’elle détient1. La concomitance de ces deux événements est pour le moins troublante : quel droit reste-il aux paysans si leurs propres semences peuvent se retrouver brevetées contre leur gré ?

Adopté en 2001, le Traité gère un système multilatéral d’échange de ressources génétiques des plantes alimentaires entre des États qui respectent par ailleurs les obligations de partage des avantages définies par la Convention sur le Diversité Biologique. Il a mis en place pour cela un Fonds de Partage des Avantages qui devrait être alimenté par les entreprises qui tirent des bénéfices de l’exploitation des ressources du système multilatéral. Mais depuis la signature du Traité, aucune entreprise semencière n’a rien versé.

Le système multilatéral d’échange s’applique à plus de 7 millions d’échantillons de semences collectés dans les champs des paysans du monde au cours de la deuxième moitié du siècle dernier et conservés dans les banques de gènes nationales ou des centres de recherche agricole internationaux. Ces semences paysannes constituent la principale ressource utilisée par les entreprises semencières pour sélectionner les nouvelles variétés et les nouveaux OGM qu’elles commercialisent. Ces semences industrielles approvisionnent aujourd’hui le tiers de la production de nourriture mondiale. Les deux autres tiers sont approvisionnés par les systèmes semenciers paysans locaux, héritiers de plusieurs millénaires de sélections paysannes. Ces systèmes semenciers paysans sont dits « informels » parce qu’ils ne sont pas pris en compte par la plupart des législations semencières formelles qui ne reconnaissent que les semences industrielles. Les droits des paysans de conserver, d’utiliser, d’échanger et de vendre leurs semences de ferme sont pourtant une condition essentielle de la sécurité alimentaire mondiale tout autant que du renouvellement de la diversité des ressources phytogénétiques de l’industrie.

Avec l’accélération des changements climatiques et de la circulation des agresseurs biologiques des cultures résultant de la globalisation des marchés agricoles, l’accès aux semences venant d’autres régions ou pays, et donc aux ressources phytogénétiques gérées par le Traité, est de plus en plus souvent indispensable à la sélection de nouvelles plantes capables de s’adapter à ces évolutions brutales. L’industrie y cherche de nouveaux gènes brevetables tandis que les paysans y puisent de quoi renouveler la diversité de leurs semences locales. Les droits des agriculteurs d’utiliser, d’échanger et de vendre ces semences, explicitement reconnus par le Traité et par les 131 États qui l’ont ratifié, sont malheureusement violés par les lois semencières et de propriété industrielle (brevets et Droits d’Obtention Végétale). Les paysans qui font vivre ces système semenciers informels à la base de l’alimentation des populations les plus pauvres sont de plus en plus souvent criminalisés et poursuivis devant les tribunaux sous la pression des accords de libre échange imposés par les pays les plus riches.

Plus de 15 ans après son adoption, le Traité n’a pas avancé dans sa mission d’application des droits des paysans inscrite à son article 9. C’est pour tenter de remédier à cet échec que le gouvernement de l’Indonésie, dont plus de la moitié de la population est paysanne, a décidé d’organiser, avec l’appui du gouvernement norvégien, la Consultation globale sur les droits des agriculteurs de Bali. Près de 100 représentants d’organisations paysannes et de la société civile, d’ONG, de l’industrie semencière, de la recherche agricole et des États membres du Traité de toutes les régions du monde ont ainsi pu échanger leurs expériences et leurs points de vue pendant trois jours.

Comme on pouvait s’y attendre, aucun accord n’a pu être obtenu pour condamner :

– les nouvelles techniques de production d’OGM,

– l’accès libre aux informations génétiques dématérialisées sous forme électronique contenues dans les semences détenues par les collections du Traité et aux connaissances associées qui permettent à l’industrie de breveter leurs caractères génétiques,

– l’extension de la protection de ces brevets aux semences natives locales qui contiennent des informations génétiques semblables.

Cette privatisation des ressources phytogénétiques du système multilatéral d’échange du Traité annonce pourtant sa disparition : à quoi bon échanger des semences si on ne peut pas les utiliser parce qu’elles sont brevetées ? Les représentants de l’industrie ont aussi refusé de condamner les méga-fusions qui sont en train de remettre le contrôle de près des deux tiers des marchés mondiaux des semences et des pesticides entre les mains de trois entreprises internationales. Ces nouveaux monstres contrôleront aussi les millions d’informations remontant des champs de leurs clients. Grâce dans leurs puissants moteurs de recherche informatiques capables de traiter ces informations, elles veulent devenir le seul prescripteur de l’agriculture robotisée dite « de précision ». En se substituant ainsi aux savoirs paysans qu’elles transforment en simples exécutants, ces multinationales visent à contrôler l’ensemble de la chaîne alimentaire. Les organisations paysannes et de la société civile ont tout de même obtenu que ces deux menaces soient abordées dans le rapport qui sera remis à la prochaine réunion de l’Organe Directeur du Traité par les organisateurs de la Consultation.

Les participants de la Consultation se sont mis d’accord sur une recommandation formelle demandant au Traité de mettre en place un mécanisme permanent chargé de la promotion des droits des agriculteurs, de leur application par les lois nationales et du soutien aux systèmes semenciers paysans locaux. Ce mécanisme devrait reposer sur une participation effective, à la prise de décision sur toutes les questions relatives aux ressources phytogénétiques, des organisations d’agriculteurs qui conservent et renouvellent dans leurs champs la diversité de ces ressources.

Avant la prochaine réunion de son Organe Directeur qui doit se tenir en octobre 2017, les membres de La Via Campesina se mobiliseront dans chaque pays pour convaincre les gouvernements de soutenir ces évolutions indispensables du Traité, d’interdire les brevets sur les semences et de faire évoluer les Droits d’Obtention végétale afin de reconnaître le caractère inaliénable des droits collectifs des paysans de conserver, d’utiliser, d’échanger et de vendre leurs semences de ferme. Il en va de la sécurité et de la souveraineté alimentaires de tous les peuples de la planète. Malgré ses promesses mirifiques, l’industrie semencière révèle en effet chaque jours les échecs de ses nouvelles plantes génétiquement manipulées : pertes de rendements imprévues, augmentation exponentielle des doses de pesticides indispensables à leur culture, augmentation des coûts des semences et des intrants de moins en moins efficaces, multiplication des résistances des pathogènes, invasion des cultures par les mauvaises herbes devenues résistantes aux herbicides, destruction de l’humus des sols et libération du carbone qui va ainsi réchauffer la planète, accidents sanitaires, contamination des récoltes non OGM, suicides de paysans poussés à la faillite…

Pour s’opposer à cette catastrophe sanitaire, environnementale et humaine, La Via Campesina œuvre partout dans le monde au développement de l’agroécologie paysanne basée sur les systèmes semenciers paysans locaux, seule à même de nourrir durablement les populations sans détruire la planète.