Déclaration politique de La Via Campesina : 30 ans de luttes collectives, d’espoir et de solidarité

Ce 17 avril, à l’occasion de la Journée internationale des luttes paysannes, nous commémorons les 26 ans du massacre des paysan·nes d’Eldorado dos Carajás au Brésil et nous résistons à la criminalisation, l’oppression et la répression de nos luttes pour la vie. En ce jour, nous lançons également la célébration de 30 ans de construction de luttes collectives, d’espoir et de solidarité au service de l’humanité.

Nous, La Via Campesina, la voix internationale qui rassemble des millions de paysan·nes, de travailleur·euses sans terre, d’autochtones, d’éleveur·euses, de pêcheur·euses, de travailleur·euses agricoles migrant·es, de petits et moyens agriculteur·rices, de femmes rurales et de jeunes – organisé·es au sein de 182 organisations locales et nationales et venant de 81 pays différents d’Afrique, d’Asie et des Amériques – nous refusons de disparaître. Et nous continuons de croître en force. À force de persévérance et d’espoir, nous avons récolté des victoires majeures : la souveraineté alimentaire reconnue et adoptée par certains pays, l’agroécologie reconnue et soutenue par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysan·nes et autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP) adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies. Nous continuons à occuper les espaces multilatéraux importants de la gouvernance alimentaire mondiale pour influencer le débat et contribuer à la réalisation de la souveraineté alimentaire, de l’agroécologie et de la réforme agraire populaire.

Nous sommes attentif·ves au contexte mondial actuel et à la nécessité de renforcer notre lutte. Le conflit géopolitique s’aggrave tandis que l’ordre international libéral dirigé par les États-Unis s’effondre, et que l’offensive impérialiste contre la société civile et la criminalisation des mouvements sociaux continue. Par le biais de la censure et de la surveillance, les grands groupes qui détiennent des médias participent de plus en plus à la violation des systèmes démocratiques et des droits humains. Les multinationales ont récemment uni leurs forces pour s’emparer des espaces multilatéraux de gouvernance alimentaire et de lutte contre les changements climatiques au sein des Nations unies. Nous prêtons attention aux conflits et aux guerres en cours en Afrique, en Amérique, en Asie et en Europe. À l’aggravation de la crise climatique et de la crise sanitaire due au COVID-19. Tous ces facteurs ont intensifié les souffrances. Ainsi, nous assistons à des niveaux records de pauvreté, de faim et d’inégalités dans le monde et à une criminalisation accrue des personnes qui réclament la justice sociale et la dignité. Par ailleurs, des millions de personnes sont contraintes d’abandonner leurs territoires et d’émigrer vers d’autres pays, où certaines sont confrontées à davantage d’injustices.

Nous rejetons le modèle néolibéral qui va à l’encontre de notre vision collective d’harmonie avec la nature, d’unité et de paix. Nous affirmons notre engagement à poursuivre la construction de sociétés démocratiques contre l’impérialisme. Au cours des 30 dernières années, avec nos allié·es, nous avons construit collectivement l’espoir et la solidarité à travers la souveraineté alimentaire en mettant l’humanité, la Terre Mère et la justice sociale au centre. Nous restons inébranlables dans notre solidarité internationale avec toutes celles et tout ceux qui luttent pour la vie, les droits et la dignité.

L’année dernière, en 2021, nous avons célébré un quart de siècle de construction et de promotion de la souveraineté alimentaire. Nous avons également lancé un débat afin de réfléchir de manière critique à nos réalisations et à nos victoires et pour proposer des actions pour l’avenir, notamment en participant au Forum mondial Nyéléni prévu en 2023.

De quoi avons-nous besoin de la part des gouvernements et des institutions pour continuer à nourrir le monde ?

  • Mettre en œuvre une réforme agraire démocratique et étendue qui permette aux peuples d’avoir la souveraineté sur leurs ressources naturelles et sur leur alimentation, tant au niveau de la production que de la distribution.
  • Reconnaître le travail que nous faisons déjà et promouvoir les exemples réussis de notre capacité à nourrir les peuples. Alors que nous produisons et échangeons la majorité des aliments à travers le monde, nos marchés sont largement ignorés dans la politique des gouvernements et des institutions. Le commerce est nécessaire, mais il doit être d’un type différent, qui n’exploite ni les personnes ni la nature, et qui profite aux communautés et non aux entreprises.
  • Développer l’agroécologie paysanne comme solution à la crise climatique, à la perte de fertilité des sols et de biodiversité. En raison des pratiques agricoles industrielles non-durables, nous voyons une opportunité unique pour l’agroécologie tandis que de nombreux pays souhaitent passer à des “méthodes agricoles durables” et réduire l’utilisation d’intrants agricoles toxiques.
  • Mettre en œuvre l’UNDROP en créant une procédure spéciale de l’ONU et en intégrant la déclaration à la FAO, aux autres agences basées à Rome en relation avec les politiques alimentaires et agricoles, ainsi qu’à la Décennie de l’agriculture familiale de l’ONU. Cela permettrait de référencer l’UNDROP dans des politiques visant à remodeler et à transformer nos sociétés.

Comment faire avancer nos luttes à partir de La Via Campesina ?

  • Former et sensibiliser massivement les membres à l’UNDROP afin qu’ils promeuvent activement dans leurs pays les composantes essentielles des politiques publiques en faveur de la souveraineté alimentaire, de l’agroécologie et de la reconnaissance et du respect des droits des paysan·nes.
  • Construire et renforcer la diversité et l’inclusion contre la violence et l’oppression. Embrasser la diversité est la clé pour Construire le mouvement pour changer le monde. Aujourd’hui, dans notre mouvement, les jeunes, les femmes, les personnes issues de la diversité culturelle et les personnes LGBTQIA+ sont majoritaires et occupent des rôles-clés au sein du mouvement.
  • Construire le féminisme paysan et populaire pour définir et façonner les relations de genre dans notre mouvement, et comme outil politique contre toutes les formes de violence.
  • Renforcer le collectif des travailleur·euses agricoles migrant·es et saisonnier·es en tant qu’espace permettant d’accroître la visibilité de leurs problèmes.
  • Faire avancer le travail contre l’impunité des sociétés transnationales (STN) et contribuer au processus de traité contraignant pour réglementer les STN.
  • Pour comprendre le monde complexe et fluide dans lequel nous vivons et adapter nos stratégies, nous :
    • Construisons de nouvelles alliances et renforçons les alliances existantes pour apprendre et partager les expériences à travers l’analyse et la formation collective, et défendre un avenir basé sur la souveraineté alimentaire.
    • Augmentons et renforçons la formation politique et technique. Nous allons promouvoir les méthodes et technologies paysannes populaires qui engagent les femmes et les jeunes dans la défense des moyens de subsistance ruraux. Encore une fois, nous devrions maîtriser de nouveaux moyens de communication au service de l’humanité afin d’atteindre un grand nombre de personnes qui défendent leurs droits et soutiennent la souveraineté alimentaire.