Déclaration d’ouverture de la Contre-Mobilisation pour la transformation des systèmes alimentaires colonisés par les multinationales
Face à la pandémie actuelle de la Covid-19, face au chaos climatique, face à l’augmentation de la faim et de toutes les formes de malnutrition, face à la destruction écologique et aux multiples crises humanitaires, nous[1], mouvements sociaux, organisations de peuples autochtones, organisations non gouvernementales et chercheurs, affirmons notre engagement en faveur de la souveraineté alimentaire et rejetons la colonisation actuelle des systèmes alimentaires et de la gouvernance alimentaire par les multinationales sous la façade du Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires (UNFSS).
Les systèmes alimentaires industriels et le contrôle croissant des chaînes alimentaires par les entreprises sont les responsables des menaces existentielles auxquelles sont confrontés nos populations et notre planète, notamment la crise climatique, la déforestation, la perte de la biodiversité, la dégradation des sols, la pollution de l’eau et d’innombrables violations des droits humains. La prise de contrôle par les entreprises a produit un système alimentaire qui abandonne plus d’un milliard de personnes à la faim, à la sous-alimentation et à la précarité économique[2]. En outre, les produits agro-industriels ultra-transformés engendrent la malnutrition, y compris le surpoids et l’obésité, qui sont des conditions contribuant à de graves infections de la COVID 19 et à des décès. Une action politique urgente, tant au niveau local comme au niveau international, est nécessaire pour faire face à l’inégalité croissante, à l’injustice structurelle, à la violence fondée sur le genre ou encore aux déplacements; le statu quo est tout simplement impossible à maintenir pour la majorité de la population mondiale.
La seule voie juste et durable consiste à mettre un point d’arrêt et à transformer immédiatement les systèmes alimentaires mondialisés dirigés par les entreprises. La première étape consiste à reconnaître pleinement, à mettre en œuvre et à faire respecter le droit humain à une alimentation adéquate. Bien que fondamental, le droit à une alimentation adéquate est indissociable d’autres droits humains fondamentaux, tels que le droit à la santé, au logement, à des conditions de travail sûres, à un salaire décent, à la protection sociale, à un environnement propre, et les droits civils et politiques, y compris la négociation collective et la participation politique, qui devraient collectivement être au cœur de tout processus de système alimentaire. Sur la base de cette orientation critique, la politique alimentaire publique et la gouvernance doivent répondre aux moyens de subsistance et aux intérêts des personnes les plus vulnérables ainsi que ceux des générations futures, en protégeant et en soutenant les paysans, les peuples autochtones, les communautés de pêcheurs, les éleveurs, les travailleurs, les sans-terre, les habitants des forêts, les consommateurs et les précaire urbains, et en respectant les limites de notre planète. Ce sont ces groupes qui méritent le plus d’être au centre des décisions, d’être assis de manière prioritaire à la tables de la gouvernance et de l’élaboration des politiques. Nous rejetons les processus creux de système alimentaires qui ignorent nos droits humains, et qui ne parviennent pas à tenir compte à leur juste valeur, de manière explicite et significative de ces acteurs majeurs des systèmes alimentaires.
Le Sommet UNFSS 2021, lancé par le Secrétariat général de l’ONU peu après avoir signé un accord global avec le Forum économique mondial (WEF), ne répond pas à ces exigences fondamentales. Fondé par 1000 des plus grandes entreprises du monde, le WEF et ses affiliés ont dès le départ contrôlé la conception, la structure, les processus, la gouvernance et le contenu du Sommet : La présidente de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) est l’Envoyée spécial du sommet ; le “groupe scientifique” est composé d’acteurs parrainés par des entreprises qui légitiment des systèmes de connaissances et de technologies propriétaires contrôlés et détenus par les entreprises ; et les “solutions qui changent la donne” censées émerger des pistes d’action du Sommet FSS ne servent qu’à renforcer encore le contrôle des entreprises sur tous les aspects de nos systèmes alimentaires et à imposer de nouvelles règles qui bénéficient en premier lieu aux intérêts et augmentent les profits d’une poignée de multinationales.
Les grandes entreprises multinationales – y compris celles qui dominent la communication sociale et spéculent sur les marchés de produits prédictifs – infiltrent de plus en plus les espaces multilatéraux des Nations Unies pour coopter le récit de la durabilité et le détourner vers des approches centrées sur la poursuite de l’industrialisation par le biais des technologies numériques et des biotechnologies, aggravant encore l’extraction des richesses et l’exploitation de la main-d’œuvre dans les communautés rurales ainsi que la concentration du pouvoir des entreprises. Nous rejetons les fausses solutions qui continueront à opprimer et à exploiter les personnes, les communautés et les territoires.
Au lieu de se fonder sur les droits humains, l’UNFSS se prétend un forum multipartite dans lequel les participants, qu’il s’agisse de gouvernements, d’individus, d’agences ou de représentants d’organisations, reçoivent un billet d’entrée symbolique pour assister à cet événement. Mais les parties prenantes ne sont pas nécessairement des détenteuses de droits – les droits et la souveraineté des personnes et des communautés ne doivent pas être confondus avec les intérêts commerciaux du secteur privé. Alors que 70 à 80% de l’alimentation mondiale est produite par des petits exploitants qui ont une voix collective puissante, ce processus multipartite individualisé donne un pouvoir démesuré à une poignée de puissants qui contrôlent les marchés alimentaires, agricoles et financiers. L’absence de garanties adéquates en matière de conflits d’intérêts dans les processus du Sommet a permis à des coalitions dirigées par des entreprises de se positionner comme agents de mise en œuvre de politiques publiques financées par des ressources publiques, mais sans qu’il y ait pour autant des mécanismes de reddition de comptes, de mandat ni de normes de transparence comme celles auquelles sont soumises les institutions publiques. Nous n’accepterons pas un tel processus multipartite, en particulier dans le domaine de l’agroécologie, car les politiques visant à renforcer l’agroécologie sont une obligation en matière de droits humains pour les États et les agences de l’ONU en raison du rôle crucial de l’agroécologie dans la réalisation du droit à une alimentation adéquate et d’autres droits humains [3].
Ce Sommet UNFSS diffère des précédents sommets mondiaux de l’alimentation des Nations unies en ce sens qu’il ne s’agira pas d’un événement multilatéral dans lequel des accords négociés fournissent des orientations claires pour les processus décisionnels et à des mécanismes de responsabilisation définissant les responsabilités des États. L’accaparement par les entreprises, le multipartenariat et l’absence de fondement en matière de droits humains menacent les plus hautes instances des Nations unies, notamment l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA), le principal et le plus inclusif organe multilatéral en matière de gouvernance alimentaire, seul à disposer de l’autorité et de la légitimité nécessaire pour diriger un pareil processus. Nous trouvons inacceptable le fait que le Sommet UNFSS, en tant que processus non normatif, doté d’une structure de gouvernance illégitime, tente de déléguer ses résultats et son suivi au CSA, qui est un système intergouvernemental; le Sommet UNFSS n’a pas cette légitimité ou cette autorité et une pareille approche viole le mandat du CSA et son statut réformé. Nous condamnons cette tentative de saper le CSA et demandons que la vision et les processus inclusifs du CSA soient reconnus et renforcés. Nous exhortons nos gouvernements à défendre le multilatéralisme, l’élaboration de politiques fondées sur les droits et des règles participatives – comme l’ont établi les États membres de la FAO concernant les règles de participation des organisations de la société civile et des mouvements sociaux – ainsi que la responsabilité et la reddition de comptes vis-à-vis des politiques.
La lutte pour des systèmes alimentaires justes et durables ne peut être dissociée des réalités des peuples dont les droits, les connaissances et les moyens de subsistance n’ont pas été reconnus ni respectés. Nous disposons d’ores et déjà de solutions viables pour résoudre les problèmes systémiques de nos systèmes alimentaires.
Comme nous l’avons demandé dans notre document de « Réponse autonome des peuples au Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires »[4], la transformation des systèmes alimentaires doit être écologique et sociale. Depuis 1996, les mouvements sociaux et la société civile ont construit un mouvement et des processus de gouvernance communautaires autour de la vision de la souveraineté alimentaire, basée sur les petits producteurs alimentaires, les travailleurs, les pratiques agroécologiques et les mouvements urbains. En ce 25eanniversaire de la souveraineté alimentaire, nous réaffirmons notre unité et notre engagement à faire pression pour des stratégies radicalement transformatrices qui reconnaissent les besoins des peuples, accordent la dignité, respectent la nature, placent les personnes avant les profits, et résistent à la mainmise des entreprises et qui permettent de collectivement construire un système alimentaire équitable et décent pour tous.
Pour de plus amples informations, consultez le site web de la Contre-Mobilisation des peuples pour la transformation des systèmes alimentaires
[1] La « Réponse autonome des peuples au Sommet des Nations unies sur les systèmes alimentaires » est un processus depuis la base et composé de centaines d’organisations internationales, régionales, nationales et locales, représentant tous les milieux : paysans et petits exploitants agricoles, femmes et jeunes, peuples autochtones, éleveurs et sans terre, travailleurs agricoles et de l’industrie alimentaire, pêcheurs, consommateurs, personnes souffrant d’insécurité alimentaire en milieu urbain et ONG de nombreux secteurs de la société. Vous trouverez de plus amples informations sur le site : Foodsystems4people.org
[2] http://www.fao.org/publications/sofa/fr/
[3] http://www.srfood.org/images/stories/pdf/officialreports/20110308_a-hrc-16-49_agroecology_en.pdf ; https://undocs.org/en/A/RES/73/165 (art.2, 15 et 16).
[4] Voir : https://www.foodsystems4people.org/about-2/
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