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Canada : “Lettre au sujet du budget 2022 – Dignité économique pour les fermières et les fermiers!”

Lettre envoyée par l’Union Nationale des Fermiers – un des membres de La Via Campesina au Canada – au ministre canadien des Finances Freeland avant le budget fédéral 2022 et publiée sur leur site www.nfu.ca le 16 mars 2022

Cher Ministre Freeland,

OBJET : Budget 2022 – Dignité économique pour les fermières et les fermiers

L’Union nationale des fermiers (UNF) est une organisation agricole nationale à adhésion directe et volontaire composée de milliers de fermiers d’à travers le Canada et qui produisent une grande variété de produits alimentaires, y compris des grains, des animaux, des fruits et des légumes. Notre mandat est concentré sur la dignité économique pour les fermières et fermiers. Depuis plus de cinquante ans, nous avons revendiqué pour améliorer le sort des fermières et des fermiers dans l’atteinte de leurs objectifs économiques et sociaux : la réduction des coûts et autres mesures conçues de sorte à augmenter les avantages économiques de l’agriculture; des législations et autres formes d’actions gouvernementales pour le bienfait des fermiers; et, un niveau de vie communautaire plus élevé en agriculture. C’est dans ce contexte que nous soumettons nos commentaires et recommandations pour le budget fédéral canadien pour 2022.

Besoins d’instruments pour bâtir notre futur
Les Canadiens et les Canadiennes font face à une convergence de crises : le chaos climatique, la pandémie qui persiste, le mécontentement exprimé dans les rues d’Ottawa et aux passages frontaliers et, présentement, une guerre en Ukraine. Nous devons faire face à l’avenir avec courage et avec les bons outils pour bâtir un avenir qui soit inclusif, juste et écologiquement durable. En tant que Ministre des Finances, vous avez l’opportunité d’utiliser la puissance fiscale afin de promouvoir la stabilité, l’espoir et la résilience dont les Canadiennes et les Canadiens ont besoin pour avoir confiance dans notre futur et qui vont aider notre pays à devenir une lueur de paix en ce monde turbulent et incertain.

La dignité économique : un combat
Ce sont les fermières et les fermiers qui fournissent les aliments et la fibre qui soutiennent les gens au jour le jour. Les fermiers et fermières du Canada, grâce à leurs connaissances, à leurs compétences, à leur gestion et à leur travail, produisent des milliards de dollars de valeur à chaque année. Et pourtant, les fermières et les fermiers continuent à se débattre pour obtenir une dignité économique. La plupart des revenus que reçoivent les fermiers ne fait qu’un arrêt très bref dans leurs comptes bancaires avant d’avoir à payer les factures. Lorsque les conditions reliées aux changements climatiques détruisent les rendements et font entrave aux récoltes, les fermiers subissent des coûts d’autant plus élevés et de plus faibles revenus. Le revenu net agricole en 2019 fut seulement sept pourcent du revenu total. Le nombre de fermiers et fermières continue de diminuer alors que la dimension moyenne des fermes augmente et que les prix des terres agricoles augmentent également. Les familles fermières dépendent de plus en plus sur des revenus non agricoles. La prochaine génération de fermiers est incapable de se permettre d’acheter des terres, alors que plus de 90 pourcent des fermes n’ont aucun plan de relève. À mesure que les fermiers se retirent ou quittent l’agriculture et leurs communautés rurales pour des moyens de subsistence plus fiables, la terre est de plus en plus contrôlée par les compagnies d’investissement dans les terres agricoles et les propriétaires terriens non résidents. Le tissu de la vie rurale s’est effrité et s’est déchiré à mesure que la richesse est extraite par les entreprises multinationales et les gouvernements refilent les coûts aux petites communautés qui ont une capacité en constante diminution. Nos problèmes économiques, sociaux et environnementaux sont à la fois sérieux et urgents.

Solidarité et cohésion sociale ou plus d’inégalité et de conflit ?
Le Canada est notre foyer – là où nous gagnons notre pain et où nous vivons. En tant que personnes interdépendantes, nous dépendons les uns des autres et de nos terres pour créer une bonne vie à l’intérieur des limites fixées par la nature. Quand il y a de gros différentiels (déséquilibres) de pouvoir, l’opportunité se présente pour certains de voir les autres comme étant des ressources à être utilisées pour leur propre intérêt. Notre économie est l’expression concrète de comment ces relations se déroulent. Les gouvernements peuvent choisir de faire pencher la balance vers la solidarité et la cohésion sociales, ou bien vers une plus grande inégalité et plus de conflits.

Le Budget 2022 peut faire une différence en supportant la dignité économique des fermiers et fermières du Canada.

Infrastructure pour la prospérité rurale
Une infrastructure adéquate va appuyer la prospérité des Canadiennes et des Canadiens en habilitant plus de fermiers à desservir le marché intérieur canadien et ainsi retenir une plus grande proportion du dollar des consommateurs au sein de nos économies nationales, régionales et locales. La production agricole diversifiée nécessaire pour un système alimentaire plus résilient peut seulement se produire si l’infrastructure de soutien existe. Les budgets fédéraux antérieurs ont financé, de préférence, la croissance orientée sur l’exportation, ce qui a résulté à la fois à mettre l’accent sur la production de matières premières pour exportation, en plus de centraliser et de concentrer la transformation alimentaire canadienne, créant ainsi des déserts d’infrastructure dans le reste du pays.

Le Budget 2022 peut appuyer la construction, la réfection et la réouverture d’abattoirs agréés par les provinces. À un moment où les consommateurs cherchent de plus en plus à appuyer les producteurs locaux, et que les éleveurs de bétail adoptent des systèmes de pâturage respectueux du climat, le manque de capacité suffisante d’abattoirs locaux et régionaux a créé un embouteillage qui fait obstacle à la croissance de systèmes alimentaires régionaux dynamiques à travers le Canada.

Votre budget peut également cibler une compensation pour la perte de marchés soumis à la gestion de l’offre, à cause de l’ACEUM, de manières qui promeuvent la transformation, la commercialisation directe et des systèmes alternatifs de production à l’échelle de la ferme pour le lait, la volaille et les œufs au sein d’un système de gestion de l’offre. Ceci pourrait inclure des initiatives comme la production artisanale du fromage, la volaille élevée au pâturage, la distribution automatique du lait, la livraison locale pour permettre l’utilisation de récipients en verre réutilisables.

Et le Budget 2022 peut appuyer le développement de coopératives afin de permettre aux producteurs de mettre en commun leurs ressources et leur main-d’œuvre afin de bâtir et d’opérer l’infrastructure régionale d’entreposage, de distribution et de mise en marché.

Confiance du public grâce à une réglementation publique
Des années de budgets d’austérité ont gravement affaibli la capacité scientifique indépendante au sein d’AAC, d’Environnement Canada, de Santé Canada et de l’ACIA. Pourtant, le besoin d’une surveillance réglementaire a augmenté. Il y a un besoin urgent d’augmenter la capacité pour une réglementation efficace dans l’intérêt public afin de promouvoir une plus grande confiance du public dans l’agriculture canadienne et protéger les intérêts des fermiers canadiens, ainsi que les consommateurs. Une infrastructure réglementaire plus robuste, efficace et transparente va soutenir la confiance dans les produits et les systèmes de production du Canada, en plus de sauvegarder l’intérêt du public face à des compagnies privées de plus en plus larges et puissantes qui cherchent à réduire les coûts en évitant la réglementation publique.

Le Budget 2022 peut renforcer la capacité des organismes de réglementation en embauchant, formant et soutenant le développement professionnel continu de la prochaine génération de personnel scientifique et technique, et en fournissant du soutien administratif organisationnel. Les installations doivent être entretenues et mises à jour; de nouvelles installations doivent être construites et équipées de sorte à permettre aux régulateurs d’effectuer un examen scientifique indépendant des nouveaux produits, pour réévaluer les produits existants et effectuer un tour d’horizon des enjeux émergeants et de les aborder d’une manière proactive.

Sélection végétale publique pour la résilience et la sécurité alimentaire
Afin de s’assurer que la sélection végétale publique va continuer à produire de la semence de haute qualité adaptée aux conditions de croissance canadiennes pour produire des récoltes qui sont prisées par nos clients canadiens et internationaux, le Budget 2022 devrait rebâtir la capacité de sélection végétale publique. Ceci va assurer que les sélectionneurs publics canadiens travaillent sur toute la variété de récoltes nécessaires pour un système agricole diversifié qui possède la résilience requise pour l’adaptation et l’atténuation climatique, ainsi que les récoltes alimentaires pour soutenir la sécurité alimentaire en appuyant la production canadienne de la variété de fruits et de légumes nécessaires pour une régime sain.

Éliminer les obstacles pour les nouveaux fermiers
Le Budget 2022 doit également contrer les obstacles qui confrontent les nouveaux fermiers, y compris les femmes, les PANDC et les nouveaux Canadiens, qui veulent établir des carrières fructueuses en agriculture. L’accès à la terre est un enjeu crucial pour ces fermiers et fermières. La propriété est souvent hors de portée à cause des coûts élevés et du montant de dette nécessaire pour en faire l’achat. Le Budget 2022 peut fournir des fonds aux organisations de sorte à explorer des formes alternatives de régimes fonciers qui fournissent un accès à long terme et qui soutient l’intendance environnementale et le renforcement des communautés. Des modèles fructueux peuvent informer de nouvelles politiques afin de renverser le cercle vicieux de concentration de la propriété de terres agricoles et la détérioration conséquente des communautés rurales et l’érosion de la qualité de vie rurale.

Équilibrer le pouvoir dans le marché
Les crises mondiales interreliées du climat, de la pandémie et de la guerre ont mené à des perturbations de la chaine d’approvisionnement avec des impacts en amont et en aval sur les moyens de subsistence des fermiers. Cependant, suite à des décennies de fusions et d’acquisitions menées par la mondialisation, dans plusieurs secteurs critiques l’agriculture est dominée par quelques corporations multinationales puissantes qui ont un si vaste pouvoir dans le marché qu’elles peuvent dicter des prix ayant des résultats punitifs pour les fermiers et les consommateurs. Le Budget 2022 peut rémédier ce déséquilibre de pouvoir en introduisant des mesures fiscales et réglementaires pour empêcher le mercantilisme (profits à outrance). À titre d’exemple, l’UNF a suggéré la mise en œuvre un plafond de revenu sur les usines de transformation du bœuf inspectées par le fédéral, calqué sur le Revenu admissible maximal qui réglemente les taux de fret du grain dans l’intérêt du public, puisque les deux industries sont caractérisées par des dynamiques de quasi-monopole et par des expéditeurs/fournisseurs captifs.

Travailler ensemble pour aborder les changements climatiques
Tel que déclaré par la Cour suprème du Canada, le changement climatique est : « une menace existentielle à la vie humaine au Canada et autour du monde. » Les fermiers canadiens arrivent à la limite de ce qu’ils peuvent faire en tant qu’individus à propos de la crise climatique. L’UNF propose que le gouvernement fédéral devrait établir une institution publique distincte modelée sur l’ancienne ARAP respectée et très admirée. Elle aurait la capacité de coordonner les efforts pour réduire les émissions agricoles, de contribuer à atteindre les cibles de réduction des émissions dans l’ensemble de l’économie canadienne, de développer et mettre en œuvre de manière urgente des mesures d’adaptation nécessaires. Le Budget 2022 pourrait jeter les bases d’une nouvelle Administration de la résilience des fermes canadiennes afin de promouvoir la prospérité du Canada, par l’entremise de la réduction des émissions, et qui soutient la production alimentaire durable et l’habilitation des fermiers.

Équité à l’épreuve du temps
En terminant, alors que les crises mondiales se multiplient et s’intensifient, il est clair que nous ne pouvons plus nous permettre un système alimentaire et agricole conçu de sorte à maximiser la capacité des plus puissants à extraire de la valeur par des approches « juste à temps » et « sans gaspillage », tout en laissant les fermiers, les travailleurs, les consommateurs et nos communautés à absorber la croissance des coûts et des fardeaux. Le Budget 2022 est le temps parfait pour commencer à bâtir un cadre politique qui assure la dignité et la résilience économiques dont les Canadiens et Canadiennes ont besoin pour naviguer avec confiance notre avenir interdépendant.

Bien à vous,

[signé]
Katie Ward, présidente
Union Nationale des Fermiers

CC-Hon. Marie-Claude Bibeau, ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire; Hon. Ed Fast – porte-parole du CP en matière de finances; Daniel Blaikie – porte-parole du NPD en matière de finances; Gabriel Ste-Marie – porte-parole du BQ en matière de finances; Alistair MacGregor, porte-parole du NPD en matière d’agriculture; John Barlow – porte-parole du CP en matière d’agriculture; Yves Perron Bloc – porte-parole du BQ en matière d’agriculture; Elizabeth May – Parti vert