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Brésil: 28 ans d’impunité du massacre d’Eldorado do Carajás

À partir du site Web du MST.


Brésil: 28 ans d’impunité du massacre d’Eldorado do Carajás

Cultiver la mémoire : le Campement Pédagogique des Jeunes et le témoignage d’une survivante montrent comment la violence dans les campagnes se poursuit après presque 30 ans.

Le 17 avril 1996 restera à jamais gravé dans la mémoire des familles du MST comme un jour de deuil et de lutte connu dans le monde entier, en raison du massacre d’Eldorado do Carajás, dans la région sud de l’État du Pará. Il s’agit de l’un des crimes les plus violents de l’État brésilien contre les familles de travailleur·euses du monde rural, qui reste impuni, mais dont se souviennent chaque année divers mouvements et entités sociaux.

Ce jour-là, à Curva do S, dans l’Eldorado do Carajás, une quinzaine de paysan·nessans terre ont bloqué la route PA-150, au km 95, pour réclamer du transport et de la nourriture dans le but de marcher jusqu’à Belém, la capitale de l’État, et d’exiger l’expropriation de la ferme Macaxeira en faveur des 3,5 familles sans terre qui l’occupaient depuis 1995.

Or, environ 155 policiers militaires, avec l’autorisation du gouverneur d’État de l’époque, Almir Gabriel (PSDB), ont attaqué les personnes sans terre pendant la manifestation, entraînant le meurtre de 21 travailleur·euses du monde rural liés au MST, qui participaient à la manifestation. Dix-neuf de ces personnes sont mortes sur place et deux autres sont décédées à l’hôpital.

Depuis, La Via Campesina commémore la date du 17 avril comme Journée internationale des luttes paysannes, en mémoire des martyrs d’Eldorado do Carajás qui ont défendu le droit à la terre et à la vie et qui ont été lâchement assassinés par l’État brésilien. Chaque année, au cours de la semaine du 17 avril, le MST organise également la Journée nationale des luttes pour la réforme agraire, qui a cette année pour devise : « Occuper pour nourir le Brésil ! », et se déroule jusqu’à la fin du mois.

Maria Zelzuita de Araújo. Survivante du massacre d’Eldorado do Carajás. Photo : Secteur de la communication MST/PA

Maria Zelzuita Oliveira de Araújo, 59 ans, a survécu au massacre et vit aujourd’hui dans le campement du 17 avril, dans la municipalité d’Eldorado do Carajás. Elle se souvient des conséquences du crime et raconte comment la vie de sa famille a changé après la conquête de la terre.

« Dans un primier temps, le massacre m’a fait ressentir de la tristesse et de la colère, de l’indignation d’avoir perdu tant de gens. Mais il m’a aussi permis de conquérir ma terre, ma maison, mon travail, d’éléver ma famille. Avant de connaître le MST, je n’avais rien, je vivais comme femme de ménage dans une maison familiale, j’étais également cuisinière dans un restaurant. La rencontre avec le MST, m’a permis d’améliorer ma vie. La mienne et celle des 690 habitants qui vivent ici dans le campement du 17 avril », dit-elle. Découvrez le témoignage complet ci-dessous.

La violence et l’impunité se poursuivent dans les campagnes

Depuis lors, peu de choses ont changé dans le scénario de la violence dans les campagnes brésiliennes. Selon le régistre des conflits de la Commission pastorale de la terre (CPT), au cours du premier semestre 2023, il y a eu 973 affrontements dans les campagnes, la plupart d’entre eux pour la terre (791), soit une augmentation de 8 % par rapport à la même période en 2022.

Toujours selon le rapport, la population qui a le plus souffert de la violence est celle des autochtones (38,2 %), suivie des travailleur·euses du monde rural (19,2 %), des occupants (14,1 %), des quilombolas (12,2 %) et des installés (5,5 %).

Le massacre d’Eldorado do Carajás est toujours impuni après 28, et il reste une plaie ouverte dans le pays et en particulier dans l’État du Pará, qui présente des indicateurs insensés de violence contre les paysan·nes. Un État dans lequel l’agrobusiness continue d’utiliser la violence comme principal instrument de répression de la lutte pour la réforme agraire, a déclaré Jorge Neri, de la direction d’État du MST dans l’État du Pará.

Selon lui, les familles du MST ont beaucoup appris durant le processus de lutte pour la réforme agraire car elles sont souvent confrontées à de la violence et, en particulier, lors du massacre d’Eldorado do Carajás. « Le massacre nous a appris à ne pas sous-estimer la capacité de l’État lorsqu’il s’agit de nous réprimer et de nous agresser, mais aussi à mieux organiser le processus de lutte des bases », explique-t-il.

Le dirigeant signale également que l’installation du 17 avril est marquée par des traumatismes qui, à ce jour, n’ont pas été surmontés à la suite du massacre et souligne la nécessité d’une réparation pour les familles par l’État brésilien. « Nous avons une communauté qui est encore très marquée par la violence et nous devons exiger de l’État brésilien la réparations des torts historiques, psychosociaux et économiques aux survivants du massacre, qui souffrent encore aujourd’hui des conséquences de cet événement malheureux et continuent d’exiger la fin de la violence et de l’impunité dans les campagnes », a déclaré Neri.

Jorge Neri. Photo : Carlinhos Luz

Campement pédagogique pour les jeunes sans terre « Oziel Alves »

L’un des symboles qui rappellent la mémoire des martyrs de l’Eldorado do Carajás et réaffirment l’engagement du MST dans la poursuite de la lutte pour la terre est la tenue du Campement pédagogique des jeunes sans terre « Oziel Alves », installé à Curva do S presque tous les ans, pendant la semaine qui marque la date du massacre.

Lors de sa 18e édition, le camp se déroule cette année du 10 au 17 avril, avec la participation de jeunes des États du Pará, du Maranhão, de Tocantins et de Roraima. Les activités prévues au cours de cette période comprennent des processus internes et organisationnels du MST, fonctionnant comme un espace de formation, de lutte et de mémoire, avec des débats sur la situation agraire et politique et les problèmes de la jeunesse rurale.

Photo : Carlinhos Luz

Neri souligne que le MST s’est efforcé de maintenir vivant l’épisode du massacre dans la mémoire nationale et c’est pourquoi le mouvement organise, depuis 2006, le Campement pédagogique des jeunes, qui apporte chaque année des réflexions sur l’impact de cette violence contre les familles sans terre et réaffirme l’importance de la lutte pour la terre dans la région et dans le pays, pour construire un modèle de société, basé sur le droit à la terre, à la vie et à la production d’aliments sains.

Sans réforme agraire, il n’y a pas de démocratie, et sans démocratie, il est impossible de construire une société capable de répondre aux revendications historiques de la classe ouvrière. Le mois d’avril apporte une autre réflexion importante, qui est l’urgence de reprendre la lutte de masse pour la réforme agraire populaire comme condition d’un projet populaire pour le Brésil, en contraste avec le modèle économique actuel qui exclut de plus en plus une grande partie de la population brésilienne » conclut Neri.

Témoignage : « Le MST donne une vie à des gens qui n’ont rien »

Après 28 ans, découvrez le témoignage complet d’une femme, installée, mère célibataire et survivante du massacre d’Eldorado do Carajás :

« Dans un primier temps, le massacre m’a fait ressentir de la tristesse et de la colère, de l’indignation d’avoir perdu tant de gens.

Mais il m’a aussi permis de conquerir ma terre, ma maison, mon travail, d’élever ma famille seule, avec l’aide de Dieu, en tant que mère célibataire. J’ai élevé ma famille. Aujourd’hui, mes fils, mes filles ont une éducation.

Pour moi, qui vis ici dans l’installation, nous, les installés, avons conquis nos terres, notre maison. Cela a amélioré nos vies.

(…) Avant de rencontrer le MST, je ne savais pas où habiter, où éléver mes enfants, je n’avais rien. Je vivais comme femme de ménage dans la maison d’une famille, j’étais également cuisinière dans un restaurant.

Plus aujourd’hui. Après avoir rencontré le MST, ma vie s’est améliorée, j’ai conquis ma terre, ma maison, mon travail. J’ai ma famille. Moi et les 690 personnes qui vivent ici dans l’installation du 17 avril.

Je me suis rendue au campement le 5 novembre 1995. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré le MST.

Je suis toujours dans le MST, j’y travaille, j’apporte ma contribue. Je suis coordinatrice d’État, je fais tout ce que je peux. Je suis très reconnaissante à Dieu, tout d’abord, puis au MST. Le MST donne une vie à des gens qui n’ont rien. Ce n’est pas facile, c’est une lutte. Un combat qui aboutti à des conquêtes ».


Photo de la bannière web par Carlinhos Luz : Campement Pédagogique des Jeunes Sans Terre
Article par Carlinhos Luz
*Sous la direction de Solange Engelmann


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