Agriculture Carbone : un pas de plus vers la financiarisation de l’agriculture et la spéculation foncière, selon ECVC

Communiqué de presse de la Coordination Européenne Via Campesina (ECVC), Bruxelles, le 15 décembre

La Coordination Européenne Via Campesina (ECVC) critique fortement le contenu de la communication sur la « Restauration des cycles durables du carbone », publiée officiellement le mercredi 15 décembre. Si elle est mise en œuvre, elle rendra la Commission Européenne responsable d’encore plus de dommages climatiques et sociaux.

Il est maintenant clair que l’initiative « Agriculture Carbone » amplifiera les processus pernicieux qui existent déjà. Elle va à contre-courant des objectifs systémiques annoncés par le Pacte Vert et notamment par sa Stratégie de la Ferme à la Table (F2F). ECVC salue les objectifs de ces deux derniers et reconnait leur potentiel pour résoudre certaines des limites de la PAC, mais les propositions de mise en œuvre sont insuffisantes. Cette initiative porte sur la séquestration du carbone, mais rien n’est mentionné quant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre lié à l’agriculture industrielle. Ainsi, la supercherie du marché du carbone ne parviendra pas à lutter contre le changement climatique et la crise de la biodiversité, ni à soutenir les zones rurales et l’accès à une alimentation saine pour toutes et tous.

En réalité, ce mécanisme ouvre la voie à une financiarisation sans précédent de l’agriculture, où les revenus agricoles seraient dépendants d’un marché spéculatif du carbone, dont on connaît la volatilité depuis 2005 avec le mécanisme du marché européen du carbone. Cette initiative permettrait aux grandes entreprises du secteur de l’énergie ou de l’informatique, entre autres, de poursuivre leurs activités polluantes tout en se présentant comme vertes. Elles pourraient ainsi « compenser » leurs émissions en achetant des crédits carbone liés à des terres censées être cultivées. En pratique, cela accentuera le pouvoir de ces grandes entreprises au détriment des paysans et paysannes.

« Le rôle des politiques publiques européennes est de garantir la production d’une alimentation saine pour nourrir la population européenne, à travers une agriculture respectueuse de l’environnement et créatrice d’emplois. Remplacer ce rôle par un mécanisme de marché spéculatif est tout simplement irresponsable », déclare Morgan Ody, paysanne en Bretagne (France) et membre du comité de coordination d’ECVC.

Andoni Garcia, paysan du Pays Basque et membre du comité de coordination d’ECVC ajoute aussi : « Le risque de spéculation et d’accaparement des terres agricoles est déjà un problème reconnu par les institutions européennes. Le fait que les paiements directs de la PAC entraînent ce risque fait même l’objet d’une enquête du Centre Commun de Recherche de l’UE, et cette année, la Cour des Comptes Européenne publiera un audit sur la fraude et la PAC en matière d’accaparement des terres. Ce phénomène sera amplifié par les mesures annoncées dans l’initiative « Cycles durables du carbone » : l’accès à la terre deviendra de plus en plus difficile, notamment pour les jeunes, et la dépopulation des zones rurales se poursuivra ».

Nous savons déjà que la PAC est trop faible pour garantir la production alimentaire en Europe. Il est regrettable que cet échec soit encore renforcé par l’initiative « Agriculture Carbone ». Elle omet que le rôle que les agriculteurs ont choisi est avant tout de produire des aliments sains pour la société. Toujours rien n’est prévu pour garantir des prix équitables et rémunérateurs pour les agriculteurs, alors que c’est là le véritable moyen de soutenir la transition vers des pratiques positives pour le changement climatique, la biodiversité et l’alimentation.

C’est une véritable déception que cette communication, pourtant tant attendue dans le cadre de la présidence de la Commission par Mme Von Der Leyen, ne contienne aucune preuve de la transition vers la durabilité, la sécurité alimentaire et la souveraineté alimentaire du système agricole européen.