Accord de libre-échange entre la Suisse et l’Union Européenne
Communiqué de presse
Accord de libre-échange entre la Suisse et l’Union Européenne dans le secteur agro-alimentaire : Uniterre s’y oppose avec l’appui de la Coordination paysanne européenne.
L’Office fédéral de l’agriculture a envoyé aux différents milieux intéressés un document de six pages présentant le projet d’accord de libre-échange. Malgré les conséquences importantes pour le secteur, le rapport salue une telle initiative. Que ce soit pour les accords multilatéraux négociés au sein de l’OMC et pour des accords de libre-échange bilatéraux, la logique prônée reste la même : baisse des prix à la production, mise en concurrence des agricultures, compétition et efficience à tous les échelons.
Cet accord souhaite supprimer toutes les entraves au commerce. Il s’agit ici non seulement de s’attaquer aux barrières tarifaires, mais aussi aux barrières non tarifaires (prescriptions sur les produits, procédés de productions, évaluation de la conformité et homologation). Il est pourtant du droit des populations de choisir le type d’alimentation et ses méthodes de production.
Ce rapport amène rapidement aux conclusions auxquelles nous nous attendions. Une évolution drastique des structures est prévue, faisant passer le nombre d’exploitations de plus de 60'000 à 30'000. Les conséquences sur le revenu et les structures seront pires que celles attendues par un éventuel accord OMC. Le revenu net sectoriel perdrait 300 millions de plus que le scénario OMC et 5’000 exploitations supplémentaires. Les mesures d’accompagnement envisagées et plusieurs fois citées dans le rapport ne sont pas explicitées. Les auteurs du rapport ne sont pour autant pas en mesure de dire si, malgré cet électrochoc pour l’agriculture, les familles paysannes qui surpasseraient cette réforme s’en porteraient mieux : « On ne saurait encore déterminer, dans quelle mesure il serait possible de récupérer des parts de marché perdues en raison du tourisme alimentaire et de gagner de nouveaux débouchés ».
L’exportation de produits ne rime pas automatiquement avec l’obtention d’un meilleur prix pour le producteur, surtout si la vente finale n’est pas en main des agriculteurs et/ou de leurs organisations. Jusqu’à aujourd’hui, la fuite en avant vers la libéralisation des marchés n’a apporté aucun avantage palpable. Selon le rapport, et ce n’est pas une surprise, le marché européen serait essentiellement favorable à des produits suisses à haute valeur ajoutée. Ce qui restreint largement le cercle des bénéficiaires. Sans compter que dans la plupart des cas, la valeur ajoutée est largement captée par les échelons en aval de la production et qu’elle ne bénéficie donc pas directement aux familles paysannes.
Nous pouvons citer deux exemples actuels. L’augmentation des exportations de Gruyère qui n’a pas permis de stabiliser et encore moins d’augmenter le prix payé au producteur. Et tout récemment, l’autorisation pour l’entreprise Elsa d’augmenter son quota de lait destiné à l’exportation. L’entreprise a imposé un prix du lait sans possibilité pour l’organisation des producteurs de le négocier. Sans compter qu’Elsa a reçu parallèlement des subventions à l’exportation. Si même dans le secteur laitier, une amélioration de la situation des familles paysannes ne peut être assurée, la réflexion ne vaut même pas la peine d’être menée pour les céréales, qui ne résisteront pas à la concurrence des produits européens.
La volonté affirmée de produire plus, ceci pour augmenter ses parts de marché dans l’Union européenne, sans tenir compte des coûts de production des produits, va à l’encontre du droit à la souveraineté alimentaire. Celle-ci demande « des prix agricoles liés aux coûts de production. Ce qui est possible à condition que les Etats ou les Unions aient le droit de taxer les importations à trop bas prix, s’engagent pour une production paysanne durable et maîtrisent la production sur le marché intérieur pour éviter des excédents structurels. ».
De manière générale, nous n’arrivons pas à comprendre comment il est possible de justifier économiquement la mise en concurrence, avec nos voisins européens, d’un seul secteur de l’économie. Même en intégrant tous les acteurs de la filière agro-alimentaire, ce procédé reste complètement artificiel. Il s’agit en effet d’adapter les coûts suisses aux conditions européennes ce qui engendrera inévitablement une réduction des revenus des agriculteurs, mais également des employé-e-s travaillant à chaque échelon de la chaîne alimentaire. Nous ne pouvons accepter des politiques publiques qui soient basées sur la sous-enchère. Le rapport affirme que « compte tenu de l’efficience accrue qu’entraîne le libre-échange, on pourrait s’attendre à une impulsion supplémentaire pour la croissance. Cela renforcera la place économique et industrielle suisse ». Pour l’instant, le libre-échange a largement péjoré les conditions sociales profitant essentiellement aux transnationales cherchant à se fournir en produits dans les régions où les critères sociaux et environnementaux sont moins élevés qu’en Suisse. Le tissu industriel fond comme le nombre d’exploitations agricoles. Le rapport précise que la filière agro-alimentaire suisse emploie 10% des personnes actives. Les conséquences d’une détérioration des conditions sociales, tant dans l’agriculture que dans les secteurs en amont et en aval où la pression concurrentielle sera renforcée, sont donc loin d’être négligeables.
Par ailleurs, le rapport fait un mélange des genres dangereux entre prix rémunérateurs et rémunération pour des prestations d’intérêt général. Les paiements directs n’ont pas comme but de compenser la baisse des prix, mais de rémunérer des prestations particulières fournies par l’agriculture. Le discours tenu en filigrane du rapport est périlleux. Il ouvre la porte à la dénonciation, puis la suppression par l’OMC, des paiements directs sous prétexte de distorsion des règles du marché.
De plus il est surprenant de lire dans le rapport que la mise en compétitivité croissante des exploitations agricoles soit la garantie que les familles paysannes puissent continuer à assurer les différentes prestations qui leurs sont assignées par l’article constitutionnel suisse sur l’agriculture.
Les autorités suisses et européennes doivent repenser leurs politiques agricole et commerciale pour répondre à l’attente de leurs citoyens pour une alimentation de qualité, produite d’abord localement et dans des conditions durables par des paysans nombreux. La souveraineté alimentaire, c’est à dire le droit des peuples et de leurs Etats à définir eux-mêmes leur alimentation et ses modes de production, sans dumping envers les pays tiers doit être à la base des nouvelles politiques agricoles.
Uniterre rejette donc un accord de libre-échange basé sur la suppression de toute entrave au commerce et à la mise en compétition des familles paysannes et des employé-e-s à tous les échelons de la chaîne. Des échanges oui, mais sur la base du droit à la souveraineté alimentaire. La souveraineté alimentaire ne signifie pas le refus des échanges, mais la définition de politiques et pratiques commerciales qui respectent les droits des populations à avoir une production saine, sûre et écologiquement durable.
La réponse d’Uniterre à cette consultation a été appuyée par la Coordination Paysanne Européenne. Cette dernière s’est également tout récemment prononcée, avec la National Family Farm Coalition (USA), pour dénoncer une initiative du parlement européen de créer une zone de libre-échange entre l’Union Européenne et les Etats-Unis.
Pour Uniterre :
Pierre André Tombez, Président
Valentina Hemmeler, secrétaire syndicale
Av. du Grammont 9, 1007 Lausanne
Tél : 021 601 74 67 Fax : 021 617 51 75
info@uniterre.ch / www.uniterre.ch
Pour la CPE :
Heike Schiebeck, membre du Bureau Exécutif
Gérard Choplin, coordinateur
rue de la Sablonnière 18 – 1000 Bruxelles
Tel : + 32 2 217 31 12 Fax :+ 32 2 218 45 09
e-mail : cpe@cpefarmers.org
web : www.cpefarmers.org
Lausanne, le 1er juin 2006