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47ème Plenière du CSA : “Avec la COVID19, l’agroécologie paysanne est plus que jamais une nécessité”

Événement spécial de haut niveau du CSA (Comité pour la sécurité alimentaire mondial) sur la Mise en œuvre de la Décennie des Nations unies pour l’agriculture familiale (UNDFF) pour faire face à la COVID 19 et mettre en place des systèmes alimentaires résistants et durables

10 février 2021. Modérateur : L’adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP) a été une grande réussite qui, sans surprise, a presque coïncidé avec l’adoption de l’UNDFF.

Comment pensez-vous que le UNDFF pourrait être une plateforme pertinente pour aider à la mise en œuvre de l’UNDROP ainsi que des instruments pertinents du CSA, tels que les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts et les recommandations “Connecter les petits exploitants aux marchés” ?
Notre monde est confronté à une grande crise, une crise de civilisation qui se développe depuis des centaines d’années et qui s’est aggravée aujourd’hui avec la pandémie COVID-19.

INTERVENTION LVC

Au cœur de cette crise, il y a quelques entreprises qui possèdent et contrôlent actuellement plus de la moitié de la richesse mondiale. Elles exploitent la nature et l’humanité pour le profit, en toute impunité.

Pendant ce temps, dans de nombreuses régions du monde, les usines licencient les travailleurs, les gouvernements ferment les marchés paysans.

Les travailleurs urbains et ruraux, les migrants, les paysan⋅ne⋅s et les peuples autochtones – dont la majorité n’a pas accès à des soins de santé publics de qualité – comptent parmi les plus vulnérables, tout comme les personnes âgées, les femmes et les enfants.

Avec l’entrée en vigueur des mesures strictes de confinement , les petits producteurs alimentaires ne peuvent plus commercialiser leurs produits, les pêcheurs ne peuvent plus s’aventurer en mer, les éleveurs ne peuvent plus élever leur bétail et les peuples indigènes ne peuvent plus aller dans les forêts. En conséquence, le monde est déjà confronté à une augmentation de la faim et de la pauvreté – peut-être plus grave que celle que nous avons déjà connu au cours des deux dernières décennies.

Permettez-moi donc de poser une question : Pourquoi la Décennie des Nations unies pour l’agriculture familiale a-t-elle été approuvée si les agriculteurs ne sont pas autorisés à vendre leur production sur le marché ? Pourquoi ?

Pour quelle raison l’Assemblée générale des Nations unies a-t-elle approuvé la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales ?

Nous comprenons que la Décennie est en mesure de couvrir la plupart des droits ancrés dans l’UNDROP.
La Décennie et l’UNDROP sont tous les deux des outils importants en temps de crise, guidant les Etats à réaliser leurs obligations de respecter non seulement les droits des paysan⋅ne⋅s et des personnes travaillant dans les zones rurales, mais aussi le droit à l’alimentation des populations urbaines, des pauvres dans les villes et des millions de chômeurs qui n´ont cessé d´augmenter en raison de l’impact de la crise.

Alors que nous organisons ici notre événement parallèle, de nombreuses violations se produisent dans le monde entier. La situation des droits de l’homme s’est aggravée dans de nombreux pays pendant la pandémie.

Pour ne citer que quelques exemples :
1- Des milliers de cas d’expulsions, de criminalisation et d’assassinats de leaders paysans se produisent chaque jour.
Nous sommes confrontés à des conflits fonciers avec des entreprises qui volent les terres des paysan⋅ne⋅s, qui nous tuent pour avoir défendu nos terres, notre eau et nos territoires.

Selon la déclaration des droits des paysan⋅ne⋅s, il s’agit de cas de violation de notre droit à la terre et aux ressources naturelles (énoncé par les articles 5 et 17), ainsi que de notre droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne (article 6).

Ils sont tous également liés aux Piliers 1 et 5 de la Décennie, où nous voulons améliorer l’accès et le contrôle des agriculteurs familiaux sur les ressources naturelles et les biens de production.

C’est pourquoi, à la Via Campesina, nous parlons de l’accaparement des terres et de la nécessité d’une réforme agraire intégrale. C’est ce que recommandent également les VGGT (Directrices sur les régimes fonciers), qui garantissent aux paysan⋅ne⋅s le plein droit à la terre et bien d’autres choses encore.

2- Notre deuxième exemple concerne les femmes, qui ont dû redoubler d’efforts pendant la pandémie. En même temps, elles souffrent encore plus qu’avant de la discrimination, des inégalités, de la violence domestique et des pratiques patriarcales.

Dans la Déclaration, l’article 4 stipule “Aucune discrimination à l’égard des femmes”. C’est ce que vise également la Décennie des Nations unies pour l’agriculture familiale dans le Pilier 3 en promouvant l’égalité des sexes dans l’agriculture familiale et le rôle de leader des femmes rurales.
Là encore, nous parlons également de la mise en œuvre d’un document du CSA approuvé en 2017 : les recommandations du CSA sur l’autonomisation des femmes.

3- Un autre point est la migration croissante des zones rurales en raison du changement climatique et des crises de l’eau, qui touchent particulièrement notre jeunesse. En période de pandémie, les conditions des travailleurs ruraux saisonniers et migrant⋅e⋅s se sont scandaleusement détériorées : absence de contrats, logements indécents, absence de sécurité sociale et nombreuses répressions.

Selon l’UNDROP, les États ont l’obligation générale de respecter, de protéger et de réaliser le droit des paysan⋅ne⋅s et des autres personnes travaillant dans les zones rurales, en garantissant le droit à un environnement de travail sûr et sain, ainsi que le droit au logement et à des systèmes d’eau propre, entre autres.

Ceci est à nouveau lié au Pilier 5 du Plan d’action global, au Pilier 2 qui vise à soutenir les jeunes et le changement générationnel des exploitations agricoles familiales, et au Pilier 6 qui vise à promouvoir des systèmes alimentaires résistants au climat.

4- Dans de nombreux pays du monde entier, les paysan⋅ne⋅s et les petits producteurs alimentaires sont confrontés à des défis croissants pour vendre leurs produits en temps de pandémie, alors que les grandes chaînes de supermarchés continuent à augmenter leurs revenus.

Actuellement, en Inde, des milliers de paysan⋅ne⋅s sont dans la rue depuis plus de 75 jours pour exiger un prix de soutien équitable pour leur récolte. Ils sont inquiets en raison de l’arrivée des grandes entreprises agroalimentaires et des modèles d’agriculture contractuelle qui vont davantage faire baisser leurs revenus et, par conséquent, ils n’auront aucune chance de négocier. Dans de nombreux pays, des manifestations similaires ont lieu, menées par des paysan⋅ne⋅s et des petits producteurs alimentaires.

Dans le cadre de l’UNDROP, les États doivent également garantir aux paysan⋅ne⋅s un revenu et des moyens de subsistance décents en renforçant les marchés locaux, nationaux et régionaux de manière à ce que les paysan⋅ne⋅s aient un accès et une participation pleins et équitables à ces marchés.

L’amélioration de l’accès des petits producteurs alimentaires au marché est l’une des principales priorités de la Décennie des Nations unies pour l’agriculture familiale, à travers son Pilier 5.

Dans le même ordre d’idées, l’un des principaux résultats des recommandations du CSA sur la connexion des petits exploitant⋅e⋅s aux marchés est de promouvoir les marchés locaux et territoriaux.

5- Enfin, permettez-moi de conclure avec un dernier mot sur l’impact du covid-19 sur notre liberté de pensée, d’opinion et d’expression (énoncé à l’article 8 de l’UNDROP). Les discussions politiques, y compris tous les processus du CSA et la plénière du CSA se déroulent maintenant virtuellement, avec des modalités qui créent d’énormes inégalités entre les parties prenantes. Cela porte clairement atteinte au droit de participation et d’information des paysan⋅ne⋅s et des mouvements sociaux.

Je pense que l’un des principaux objectifs que nous voulons atteindre au cours de cette décennie de l’agriculture familiale est de faire entendre la voix des agriculteurs. Laissez-nous donc faire ce que nous faisons de mieux.

Laissez-nous nourrir les peuples, et globaliser l’espoir.

Je vous remercie !


Jessie McInnis, petite agricultrice agroécologique, vice-présidente de la jeunesse du Syndicat national des agriculteurs du Canada et membre du groupe de travail des jeunes pour le mécanisme de la société civile et des peuples autochtones, et membre de La Via Campesina, a parlé de la nécessité de travailler à une réponse coordonnée et multilatérale à la crise des systèmes alimentaires mise à nu par COVID-19, et du rôle de leader que le CSA devrait adopter dans cette réponse.

S’exprimant lors d’un événement parallèle, Tyler Short, des Family Farm Defenders of United States, représentant le groupe de travail des jeunes du mécanisme de la société civile (CSA), a ajouté : “Alors que les gouvernements manquent à leur obligation de faire respecter les droits de l’homme fondamentaux, nous résistons et faisons grandir l’agroécologie depuis la base. Nous émergeons comme des graines plantées, nourries par les dirigeants de notre mouvement social, nos aînés, nos ancêtres”.