Thèmes principaux de la transition du Secrétariat international de La Via Campesina
Le 30 novembre, le Secrétariat opérationnel international (SOI) de La Via Campesina a officiellement déménagé à Bagnolet, en France, pour être accueilli par la Confédération Paysanne au nom de la Région Européenne (ECVC). Ce déménagement s’inscrit dans la tradition du mouvement global de changer l’emplacement son Secrétariat toutes les quelques années. Fondée en 1993, La Via Campesina – le mouvement international des paysan·nes qui compte aujourd’hui 182 organisations membres dans 81 pays – a eu son SOI à Bruxelles, Belgique (1993-1996), Tegucigalpa, Honduras (1996-2005), Jakarta, Indonésie (2005-2013) et Harare, Zimbabwe (2013 – 2021).
Avec ce déménagement en Europe, le mouvement mondial a donc accompli le premier cercle complet de sa rotation, apportant une riche histoire de mobilisations, de luttes et de victoires paysannes. Au cours de ces trois décennies, La Via Campesina a travaillé avec des alliés et des syndicats dans le monde entier pour construire une vision collective, un plan et une plateforme pour apporter la souveraineté alimentaire à tous les territoires. L’insistance du mouvement sur la réforme agraire, la paix sociale et le féminisme paysan comme condition préalable essentielle pour atteindre cet objectif trouve aujourd’hui un écho dans toutes les sociétés progressistes. Le passage à la région européenne permet au mouvement de porter cette riche histoire et ces expériences jusqu’aux institutions de gouvernance mondiale basées sur ce continent.
Morgan Ody, une maraîchère de Bretagne, en France, a été nommée Coordinatrice générale de La Via Campesina, poste précédemment occupé par Elizabeth Mpofu du ZIMSOFF au Zimbabwe (2013-2021). Morgan est également une leader dynamique de la Confédération Paysanne, l’organisation membre de La Via Campesina en France. Elle est également membre du comité international de coordination de LVC (représentant l’Europe), et une leader clé de la Coordination Européenne Via Campesina (la branche régionale de LVC en Europe).
Le Secrétariat opérationnel international (SOI) en Europe continuera à prendre son mandat du Comité de coordination international (CCI) de La Via Campesina. Le CCI est un collectif de 22 dirigeant·es paysan·nes et indigènes élus d’Asie, d’Afrique, d’Europe et du continent américain et reçoit son mandat de la Conférence internationale que La Via Campesina organise tous les quatre ans.
MESSAGES DE LA CÉRÉMONIE DE TRANSITION
Plusieurs membres de la Coordination européenne de La Via Campesina, dont la Confédération Paysanne, ont participé à cette cérémonie qui a vu la participation “virtuelle” d’Asie, d’Afrique et d’Amérique.
Après un accueil chaleureux de Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération Paysanne, plusieurs leaders paysan·nes ont également prononcé des discours pour marquer ce moment historique. Paul Nicholson, membre fondateur de La Via Campesina, a témoigné des premières années du mouvement et de ses premiers pas à Mons et à Bruxelles. Il a expliqué les éléments constitutifs qui ont permis de créer un mouvement mondial. Il a souligné l’importance de la solidarité entre les paysans et les petits producteurs d’aliments dans toutes les régions du monde, qui caractérise La Via Campesina.
Rafael Alegria, également ancien Coordinateur général et comptant parmis les leaders fondateurs de LVC, a rappelé aux participant·es les grandes mobilisations qui ont défini LVC pendant ses huit années au Honduras (1996-2005). Il a raconté les marches de Seattle (1999) et de Cancun (2003) qui ont exposé les effets dévastateurs de l’économie de marché.
« À cette époque, La Via Campesina a transcendé ce qui était une lutte purement syndicale pour devenir un mouvement plus large et diversifié de luttes rurales avec des revendications politiques et des alternatives viables. Ces mobilisations ont beaucoup aidé à élargir et à renforcer un vaste mouvement mondial de paysans, de femmes, de jeunes, de petits agriculteurs, dans la lutte pour la biodiversité, la réforme agraire, la souveraineté alimentaire et l’agriculture paysanne agroécologique. »
Henry Saragih (SPI, Jakarta) coordinateur général de 2004 à 2013 a rappelé le succès des négociations et des mobilisations qui ont conduit à l’adoption en 2018 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysan·nes et des autres personnes travaillant dans les zones rurales.
“C’est à cette époque qu’une “Charte des droits des paysans”, d’abord élaborée par Serikat Petani Indonesia (SPI) puis adoptée par la région Asie du Sud-Est, a été présentée à une conférence de La Via Campesina. A partir de là, le processus de présentation à l’ONU et les négociations ont commencé, jusqu’à l’adoption historique de l’UNDROP en 2018″ a ajouté Henry, qui a également rappelé les grandes mobilisations menées par LVC contre l’OMC à Hong Kong.
Elizabeth Mpofu, Coordinatrice générale de 2013 à aujourd’hui, a parlé de la période du le secrétariat à Harare. Elle a rappelé les étapes cruciales de la construction des secrétariats régionaux de La Via Campesina sur chaque continent. Elle a également souligné comment la dernière décennie a mis les femmes paysannes sous les projecteurs.
“En tant que mouvement, nous avons réalisé beaucoup de choses. Permettez-moi de souligner la centralité des femmes paysannes au sein de LVC. En 2013, LVC a désigné pour la première fois une femme comme Coordinatrice générale. Sans trop exagérer l’impact de cette décision symbolique, je crois que les conditions de nombreuses femmes, en particulier concernant la participation à la prise de décision, ont été changées pour le mieux, que ce soit dans les organisations, les communautés ou leurs familles. Les femmes et les jeunes de LVC ont gagné en force et continuent de façonner leurs luttes, leur participation et leur représentation au sein du mouvement.”
Elizabeth a également mis en garde contre les défis croissants auxquels sont confrontées les sociétés rurales. La pandémie de COVID-19, l’inégalité vaccinale, l’inégalité économique, l’aggravation des crises climatiques ont été mentionnés dans son discours. Elle a également souligné la consolidation croissante entre l’agrobusiness et les grandes entreprises technologiques. “Ils poussent une forme de numérisation qui marginalise davantage les communautés paysannes”, a déclaré Elizabeth tout en appelant à une réponse organisée à ces défis.
Hortense Kinkodila Tombo – l’une des membres actuelles de l’ICC pour l’Afrique – a souligné que l’IOS quittait sa région pour l’Europe, au cœur des intérêts impériaux, coloniaux et de l’agrobusiness, et qu’il allait poursuivre et étendre le travail sur l’une des principales luttes mondiales de notre époque : l’exode rural et la migration. Cette lutte est fortement imbriquée avec une des revendications majeures du mouvement paysan, à savoir la réforme agraire et l’accès à la terre.
« Si aujourd’hui nous n’avons pas de terres pour cultiver pour les jeunes, c’est pour cela que nous assistons à des migrations, envers les pays du nord, vers d’autres pays, surtout en Europe, c’est parce qu’ils n’ont rien à faire, ils cherchent des conditions de vie meilleures, et ils terminent leur course dans les océans. »
Moayyard, coordinateur de la région arabe et nord-africaine de La Via Campesina (ArNA), a exprimé des préoccupations similaires, s’exprimant depuis le bureau du Comité de l’Union des travailleurs agricoles (UAWC) en Palestine assiégée. Il a souligné les déplacements forcés dus aux guerres et aux conflits internes et l’impact d’une guerre impériale géopolitique sur les familles paysannes.
“La plupart des gouvernements de la région travaillent avec des institutions comme la Banque mondiale pour promouvoir un programme néolibéral qui ne sert que les intérêts des élites. LVC, dont le secrétariat se trouve désormais en Europe, peut porter notre voix directement aux portes des gouvernements riches et puissants et des institutions mondiales”, a-t-il ajouté.
Pramesh Pokharel, le jeune membre asiatique du CCI, a désigné le capitalisme corporatif internationalisé et institutionnalisé comme un défi important auquel les paysan·nes sont confronté·es. Il a rappelé comment les politiques de libre-échange poussées par l’OMC et autres ont eu un impact sur les communautés paysannes en Asie.
“La plupart de ces institutions internationales ont leur siège en Europe. LVC doit saisir cette occasion pour défendre nos droits tels qu’ils ont été élaborés dans le cadre de l’UNDROP et appeler à un système commercial fondé sur la solidarité, la coopération et les marchés locaux. Je pense également que les agriculteur·ices européen·nes ont un rôle important à jouer contre les mythes et les fausses solutions de l’agriculture industrielle, du monopole des entreprises, de la Climate Smart Agriculture et des semences OGM.”
Morgan Ody, la nouvelle coordinatrice générale a prononcé un discours puissant en accueillant le nouveau secrétariat. Elle a parlé des luttes locales et mondiales de La Via Campesina, des nombreux visages que prennent le néolibéralisme, l’impérialisme et le patriarcat pour écraser les paysans qui nourrissent encore 70% de la population mondiale.
” Nous le voyons partout: le capitalisme, comme système économique fondé sur l’exploitation et la concentration du capital, le capitalisme fondé sur la marchandisation du monde et l’accaparement de toujours plus de richesses, le capitalisme est un système de destruction de la paysannerie “, a-t-elle déclaré tout en citant des exemples en France de la façon dont le technocapitalisme marginalise les paysans européens. “Mais nous résistons! Dans chacune des luttes de nos organisations se rejoignent ces deux dimensions : la défense de notre survie en tant que travailleurs et la défense du bien commun. Au niveau international, de la même façon, nous nous sommes réunis au sein de La Via Campesina avec, au fond, cette unique objectif : défendre le fait de continuer à produire de façon autonome et décentralisée de la nourriture, pour que tous les humains sur terre aient accès à une vie digne” [Télécharger le discours complet de Morgan Ody]
La cérémonie s’est terminée dans la joie et sur une note festive, avec les paysan·nes présent·es qui ont dansé sur un concert en direct du chanteur et groupe français bien connu HK et Les Saltimbanques. HK a chanté un hymne original intitulé “Paysannes, Paysans” suivi de son célèbre tube de la manifestation “On lâche rien”.
Finalement, les délégations présentes en France ont également mené un rassemblement de protestation, en solidarité avec les paysan·ne indiens, devant de l’ambassade d’Inde à Paris. Les agriculteur·ices indien·nes, dans la rue depuis plus d’un an, ont réussi à forcer leur gouvernement à abroger trois lois controversées qui menaçaient de corporatiser l’agriculture indienne. C’est un exemple de la façon dont la résistance organisée des gens peut entraîner des changements substantiels, même face à l’adversité. Uniterre, membre de La Via Campesina en Suisse, a également organisé le même jour une manifestation devant le siège de l’OMC à Genève, pour faire écho à la demande de longue date de La Via Campesina de maintenir l’agriculture en dehors des négociations de libre-échange.
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