Suisse : Mais où se situent les perspectives d’avenir dans l’agriculture ?
Lettre Ouverte de Uniterre à la commission consultative agricole suisse
(Lausanne, le 5 juillet 2016) Le 4 juillet dernier, la commission consultative agricole s’est fendue d’un communiqué pour annoncer qu’elle soutenait à une large majorité la décision du Conseil fédéral de refuser l’initiative « Pour la souveraineté alimentaire. L’agriculture nous concerne toutes et tous » sans contre-projet. Elle s’en explique par la phrase suivante : « L’initiative n’ouvre pas de perspectives d’avenir pour l’agriculture et le secteur agroalimentaire suisses, soulignant également le risque d’isolement de la Suisse à l’échelle internationale, si le texte est accepté ». Dans le même communiqué elle « se félicite par ailleurs de l’amélioration de l’appréciation des revenus agricoles ».
A lire ses lignes nous pourrions nous demander si la « large majorité » de la commission consultative vit bien sur la même planète que les paysannes et paysans suisses… Chaque jour en Suisse, près de 3 fermes mettent la clé sous le paillasson. Le prix du lait a chuté de 80 cts par litre en 2008 à moins de 50 centimes aujourd’hui. Le prix du porc équivaut à celui des années 1960. Quant aux céréales, les paysans se demandent encore s’il vaut la peine d’en cultiver vu le manque de rentabilité… Et pourtant, la commission semble estimer que c’est cette situation qui offre des perspectives d’avenir et que les revenus se sont améliorés.
Nous pourrions faire une analyse détaillée des liens d’intérêt des membres de la commission consultative[1], largement orientés vers les échelons en aval de l’agriculture mais n’y perdons pas de temps.
Posons-nous surtout la question cruciale à laquelle nous espérons une réponse rapide : « quelle est, pour cette commission, une agriculture d’avenir ? ». Personnellement, je n’arrive pas à cerner leur projet à part si ce n’est celui de poursuivre la politique actuelle qui va droit dans le mur tant au plan national qu’international. En Suisse, nous avons perdu 45% de nos fermes depuis les années 90. Le nombre d’emplois agricoles est passé dans la même période de 250’000 à 150’000. Les exploitations ne cessent de s’agrandir sans pour autant permettre aux paysans en place de tirer leur épingle du jeu. Nous avons des problèmes de pesticides, d’antibiotiques et j’en passe. Le marché agroalimentaire est devenu une véritable jungle où seuls les grands distributeurs tirent encore les ficelles. Quand il n’y aura plus de paysans en Suisse, il y aura bien sûr toujours des distributeurs qui ne vendront plus que des denrées alimentaires produites aux quatre coins du globe sans que nous, citoyens, ayons encore notre mot à dire sur les normes de production que nous souhaiterions voire appliquées (OGM, pesticides, antibiotiques, etc.).
En ce qui concerne les porteurs de l’initiative « Pour la souveraineté alimentaire », nous voulons, comme nos collègues paysans et leurs alliés d’autres régions du monde, développer un véritable projet porteur d’avenir qui favorise une agriculture paysanne rémunératrice et une alimentation durable dans nos différentes contrées et qui soient à l’écoute des sociétés qui l’entoure. Uniterre est membre de La Via Campesina, mouvement paysan international représentant près de 300 millions de paysans situés sur tous les continents. Alors en ce qui concerne l’argument de l’isolement avancé par la Commission consultative, on repassera. Nous ne voulons pas fermer les frontières, mais leur redonner un rôle de régulation éthique. Nous sommes favorables au commerce international pour autant que celui-ci ne soit pas basé sur le libre-échange et qu’il reste autant que faire se peut secondaire à la production indigène. Nous promouvons les échanges commerciaux équitables et éthiques sur le plan national comme international. Mais peut-être que cette manière de procéder ne génère pas suffisamment de profit pour certains acteurs de la filière alimentaire ce qui expliquerait leur opposition frontale ?
Pourtant, nous n’envisageons pas la filière alimentaire sans les autres acteurs ; qu’ils soient transformateurs ou commerçants, tous ont bien un rôle à jouer. Nous voulons simplement mettre un terme à un système qui ne profite qu’à certains maillons de la chaîne alimentaire, exploitant les paysans et les travailleurs agricoles d’une part et profitant des consommateurs d’autre part. Une répartition juste de la valeur ajoutée n’est pas du domaine de l’impossible.
Un brin d’esprit d’innovation et d’ouverture est attendu d’une commission qui est censée élaborer des recommandations au Conseil fédéral.
A bon entendeur
V. Hemmeler Maïga