Règlement Européen sur les semences : La Commission Européenne organise la pollution des champs par les semences brevetées de l’industrie…

Communiqué de Presse

Mardi 7 mai : La Commission Européenne a adopté hier matin une proposition de règlement sur les semences1, qui est désormais entre les mains du Parlement et du Conseil Européens.

La Coordination Européenne Via Campesina (ECVC) dénonce cet incroyable cadeau fait aux brevets et titres de propriété de l’industrie agro-alimentaire, l’agression violente que cette proposition représente contre les droits des agriculteurs et des jardiniers, et le contrôle bureaucratique qui s’y retrouve renforcé, et dont le seul résultat ne peut être que de définitivement tuer la biodiversité.

Le résultat obtenu est donc l’inverse des raisons invoquées par la Commission pour réformer la législation existante, à savoir une nécessité de simplification administrative et de protection de la biodiversité.

« Dans cette proposition, la Commission Européenne laisse la porte grande ouverte à la commercialisation sans restriction de plantes brevetées. Ces dernières vont évidemment se disséminer et venir polluer tous les champs, sans distinction. Le texte de loi est fait de telle façon, que c’est le paysan qui a été pollué qui devra payer une amende à l’industrie, comme s’il lui avait volé des semences. Alors que c’est cette dernière qui devrait porter la charge de la décontamination des champs des paysans… C’est d’autant plus grave que la plupart de ces plantes brevetées sont des OGM cachés. », a dit Andrea Ferrante, membre du Comité de Coordination de l’ECVC.

Pour faciliter encore ce processus d’appropriation du vivant par l’industrie2la liste de tous les producteurs qui resèment une partie de leur récolte (les « semences de fermes ») pourra directement lui être donnée par les états membres, qui en disposeront sous prétexte sanitaire, et pourront ainsi réclamer des taxes aux paysans. Pour la toute première fois, absolument tous les agriculteurs seront contrôlés.

Pourtant, le droit des agriculteurs d’échanger leurs semences ne peut être limité : il représente une première étape incontournable de la Souveraineté Alimentaire, mais aussi la première condition d’existence des agricultures paysannes et biologiques. Ces échanges sont indispensables aux sélections paysannes, qui garantissent le renouvellement constant de la biodiversité cultivée. Et seules ces sélections permettent l’adaptation locale des plantes à l’extrême diversité des terroirs et à la variabilité croissante des climats, sans recours exponentiel aux engrais et aux pesticides chimiques. 

« Il s’agit d’une attaque directe, d’une violence inouïe, contre les droits des agriculteurs et les pratiques qui leur ont permis de nourrir les populations du monde jusqu’ici, et leur permettront de le faire à l’avenir. En nous obligeant à payer des couts d’enregistrement, de contrôle ou des royalties inabordables, on essaie de nous forcer à se tourner vers les semences de l’industrie, avec la dépendance que ces dernières représentent et leur cortège de produits chimiques et phyto-sanitaires. Et ça deviendra tout simplement impossible pour le citoyen qui le souhaite de manger sainement. », a ajouté Guy Kastler, responsable des questions liées aux semences paysannes à l’ECVC.

La Coordination Européenne Via Campesina appelle le Parlement et le Conseil européen à modifier en profondeur cette proposition, pour enfin opposer et entériner les droits des paysans à produire et échanger leurs semences, contre les semences brevetées et l’appropriation du vivant par l’industrie.

Si par malheur ils laissent grande ouverte la porte aux brevets sur les plantes, l’ensemble des semences seront contaminées en quelques années par des gènes brevetés, propriétés d’une poignée de multinationales.

Ce qui rendrait le Parlement et le Conseil, à la suite de la Commission, responsables de l’insécurité alimentaire des citoyens européens dans les années à venir.

Contacts : Andrea Ferrante, Comité de Coordination de ECVC (It, Fr, En, Es) :+393480189221

Bureau ECVC (En, Fr, Es, It, De) : +3222173112

-Annexe 1 (technique) : Première analyse synthétique de la proposition de règlement sur les semences de la Commission Européenne

-Annexe 2 : Position de la Coordination Européenne Via Campesina sur la législation sur la commercialisation des semences 

+++

Annexe « technique » : Première analyse synthétique de la proposition de règlement sur les semences de la Commission Européenne :

1) Ce paquet better regulation est d’abord un immense cadeau à l’industrie 

a – Renforcement du contrôle du marché par les droits de propriété industrielle

Les semences de variétés hétérogènes brevetées pourront désormais avoir accès au marché sur la base de décisions (acte délégué) de la commission européenne. La directive 98/44 interdit le brevetage des variétés. L’Office Européen des Brevets ne refuse un brevet que s’il s’agit d’une variété homogène et stable telle que définie par l’UPOV, mais accorde des brevets sur des variétés hétérogènes. Cette proposition de règlement autorise la commercialisation des semences de ces variétés hétérogènes jusqu’à aujourd’hui interdite. Les semences de variétés paysannes hétérogènes sélectionnées et multipliées dans leurs conditions d’utilisation (le champ de production agricole) n’auront pas accès au marché. Seules les populations synthétiques ou les variétés hétérogènes brevetées de l’industrie pourront bénéficier de cet accès au marché.

Les variétés contenant des caractères ou des gènes brevetés pourront accéder beaucoup plus vite au marché
 sans avoir besoin de passer par les longues multiplications indispensables à l’homogénéisation et à la stabilisation des lignées dans lesquelles ont été introduits ces caractères ou gènes brevetés;

En quelques années, l’ensemble des semences seront contaminées par des gènes brevetées ou contiendront des gènes “natifs” brevetés, propriété d’une poignée de multinationales détentrices des plus gros portefeuilles de brevets;

L’Office Communautaire des Variétés Végétales
 gérera directement le catalogue selon les mêmes procédures que celles permettant d’obtenir un Certificat d’Obtention Végétale (COV), ce qui permet d’inscrire une variété protégée au catalogue sur la base des essais DUS déjà réalisés pour le COV et d’exclure du marché toute variété non protégeable par un COV, sauf les variétés hétérogènes ci-dessus.

Les obtenteurs disposeront de la liste de tous les paysans producteurs de semences de ferme, ce qui leur permettra de les poursuivre pour contrefaçon s’ils ne leur ont pas versé de royalties ou s’ils ont utilisé des semences de ferme d’espèces non dérogatoires;

Un suivi électronique de tous les échanges de semences en Europe, détenu par l’administration au prétexte sanitaire, pourra être mis au service des détenteurs de COV et de brevet qui pourront s’en servir pour poursuivre les agriculteurs qui utilisent des semences de ferme de variétés protégées par un COV, des semences (du domaine public ou leurs propres semences paysannes) contaminées par des gènes brevetés ou contenant des caractères “natifs” brevetés;

Opacité maintenue sur les procédés d’obtention, les brevets et l’origine des ressources génétiques utilisées. Les consommateurs et les paysans, bio ou conventionnels, qui ne veulent pas de plantes génétiquement manipulées par d’autres procédés  que la transgénèse (mutagénèse dirigée, fusion cellulaire…) seront obligés d’en consommer sans le savoir. Les sélectionneurs et les paysans seront menacés de poursuite en contrefaçon de brevet sans pouvoir savoir s’ils utilisent ou non des semences brevetées achetées sur le marché ou contaminées dans les filières ou dans leurs champs par des gènes brevetés. Enfin, l’absence d’obligation d’information sur l’origine des ressources génétiques utilisées légalise de fait la biopiraterie;

b – Les procédures d’accès au marché des semences sont allégées au profit des seuls gros opérateurs. Les auto-contrôles sous contrôle officiel et la multiplication des analyses obligatoires qu’ils entraînent sont une économie pour les gros opérateurs qui commercialisent de gros volumes, mais génèrent une bureaucratie et un coût inabordable pour les petits opérateurs. De plus, ils favorisent la fraude chez les gros opérateurs qui versent des sommes importantes aux organismes certificateurs privés chargés de contrôler leurs auto-contrôles

2) Ce paquet better regulation est une agression directe contre les semences de ferme, paysannes, biologiques, traditionnelles, locales… et les semences destinées à la culture pour l’autoconsommation (jardinage amateur) 

Les semences de ferme, paysannes et amateurs, aujourd’hui hors du champ d’application des directives limité aux seules semences commercialisées “en vue d’une exploitation commerciale”, seront réglementées. 

a – Les paysans producteurs de semences de ferme
 et paysannes devront s’enregistrer sur une liste que les autorités pourront transmettre aux obtenteurs en vertu du règlement 1768/95 : ils seront de ce fait livrés aux poursuites des détenteurs de COV s’ils n’amènent pas eux-mêmes la preuve qu’ils n’ont pas fait de contrefaçon. Ils devront supporter et payer le coût des contrôles sanitaires et de biosécurité (ils ne seront exemptés que des frais connexes d’enregistrement), ce qui les incitera à abandonner leur activité pour se tourner vers les semences commerciales. Ils devront ensuite enregistrer tous leurs échanges de semences et tenir ces enregistrements à disposition de l’administration. Ils seront de ce fait livrés aux contrôles de légalité de ces échanges dont le statut n’est pas clarifié par la proposition de règlement de la Commission : ces paysans ne sont pas opérateurs au titre de l’article 1 PRM qui limite son objet à la production et à la commercialisation de semences destinées au marché. Ils devraient donc pouvoir bénéficier de l’exonération d’application du règlement au titre des “échanges en nature entre non opérateurs professionnels”. Mais ils sont considérés comme des opérateurs professionnels au titre de l’article 3 qui concerne tout matériel de reproduction, qu’il soit ou non destiné au marché. Ils ne pourront donc que :

– soit échanger des semences dans le cadre “d’organisations de conservation de Ressources génétique” agrées par les autorités, sans qu’il soit précisé si la conservation à la ferme est reconnue ou non; 
– soit les commercialiser dans le cadre très restreint et très bureaucratique “des variétés de niche”, sous réserve que la Commission publie les actes délégués nécessaires, ce qui risque de prendre de nombreuses années pour n’aboutir qu’à un règlement bureaucratique tout aussi inapplicable que la dernière directive “conservation”. De plus, ce cadre les obligera à respecter les contraintes bureaucratiques et les autro-contrôles sous contrôle officiel, inabordables pour pour les petits volumes. 
Ils devront aussi tenir à disposition des autorités un registre indiquant les noms de tous les agriculteurs ou autres professionnels avec lesquels ils ont échangé des semences.

b- Les artisans semenciers bénéficieront de quelques nouveautés :
– variétés de conservation. Si les limitations quantitatives et géographiques de commercialisation disparaissent (ce qui est un progrès), ces variétés devront toujours être stables, relativement homogènes et anciennes (commercialisées avant entrée en vigueur du règlement). Les variétés de conservation qui ne peuvent pas être maintenues ni reproduites dans leur région d’origine (la majorité des légumes qui viennent d’autres  continents que l’Europe), ou qui n’ont pas de région d’origine déterminée, devront être enregistrées comme variété standard ou disparaître;

– variétés hétérogènes, sous réserve que la Commission publie les actes délégués nécessaires, sans imposer des mesures bureaucratiques accessibles aux seules semences brevetées;

– les variétés de niches peuvent constituer une réelle ouverture si la bureaucratie, les analyses et les autrocontrôles sous contrôle officiel, inabordables pour les plus petits opérateurs et pour les petits volumes ne viennent pas annuler l’avantage de la non obligation d’enregistrement au catalogue. L’obligation l’obligation d’enregistrer non seulement l’origine de tous leurs achats, mais aussi le nom de chaque acheteur de leurs semences parait totalement irréaliste

c- Les semences biologiques peu homogènes et peu stables seront toujours interdites, sauf évolution favorable de la fenêtre des variétés hétérogènes


Quelles que soient les conclusions de la commission, les citoyens européens doivent maintenant exiger de leurs élus européens et de leurs gouvernement :
– d’ouvrir largement l’enregistrement de variétés hétérogènes à toutes les espèces à condition d’y interdire l’inscription de toute variété contenant des plantes brevetées sous quelle forme que ce soit, 
– ou d’obtenir dans le même temps l’interdiction de tout brevet sur les plantes, les semences, les portions de plantes…-
– de rendre obligatoire lors de l’enregistrement l’information sur les procédés d’obtention et de sélection, sur tout titre de propriété industrielle et sur l’origine des ressources génétiques utilisées;
– de garantir le droit des agriculteurs à la protection des informations à caractère privé, notamment celles concernant le choix de la semence utilisée;
– d’ouvrir la commercialisation sans enregistrement obligatoire d’une part à toute semence non OGM commercialisée en vue d’une exploitation non commerciale (amateur…), d’autre part à toute remise directe de semences non OGM par le producteur (ou avec un intermédiaire au maximum à condition que le nom du producteur et sa région de culture soient indiqués sur chaque lot) au cultivateur final (y compris professionnel), – ou monter le plafond de chiffre d’affaire tout en fermant l’accès aux producteurs de semences brevetées ? –
– de reconnaître la sélection, la conservation et la gestion dynamique in situ à la ferme et les droits des agriculteurs qui en découlent  d’utiliser et d’échanger librement leurs semences de ferme et paysannes, sans obligation d’enregistrement ni contraintes autres que celles concernant les organismes de quarantaine;
– d’adapter les contraintes sanitaires, environnementales et de biosécurité aux semences biologiques; de maintenir un service public d’enregistrement et de contrôle à la portée de tous les petits opérateurs qui en ont besoin.

– de ne pas abandonner à la commission européenne, mais de contrôler eux-mêmes les modalités d’application de ce règlement, en toute transparence vis à vis du public.

2 D’après ETC Group, les 10 premières compagnies semencières controlent aujourd’hui 73 % du marché mondial des semences.