Réexamen de la politique commerciale et réforme de la PAC : inconsistances et incohérences
Position d’ECVC
(Brussels, 18 août 2021) La Commission européenne a récemment publié une communication « Réexamen de la politique commerciale – Une politique commerciale ouverte, durable et ferme », dans laquelle elle affirme que l’Europe a besoin d’une nouvelle stratégie en matière de politique commerciale afin de « soutenir la réalisation de ses objectifs de politique intérieure et extérieure et de favoriser une plus grande durabilité ».
Les institutions ont dégagé trois objectifs clés et six axes de travail principaux (énoncés plus bas) qu’elles prévoient de traiter en priorité dans la réforme de la politique commerciale européenne. Dans le cadre du premier objectif « Soutenir la reprise et la transformation en profondeur de l’économie de l’UE conformément aux objectifs qu’elle s’est fixés concernant le numérique et la protection de l’environnement », et gardant à l’esprit l’importance de l’agriculture dans la stratégie « De la ferme à la table » et la stratégie en faveur de la biodiversité, bases des objectifs écologiques définis dans le Pacte vert, il semble essentiel d’examiner de plus près les liens entre la politique agricole commune (PAC) et les règlements commerciaux de l’UE, afin d’évaluer la cohérence et la compatibilité des deux.
L’un des domaines de travail identifiés par la Commission est la réforme des règles et des pratiques de l’OMC afin qu’elles soient actualisées et améliorées pour refléter les réalités commerciales d’aujourd’hui et soutenir la reprise et le développement économiques, ainsi que la durabilité environnementale et sociale. Pour la Coordination Européenne Via Campesina (ECVC), cette mise à jour est également très importante, en particulier dans le contexte d’une pandémie qui a mis en évidence les risques et les limites d’un système alimentaire mondialisé, à la fois en Europe mais aussi dans les pays tiers actuellement dépendants d’un système alimentaire basé sur l’’import-export.
Il est important de noter que, pour ECVC, l’alimentation n’est pas une marchandise ou un outil économique permettant de faire du profit. Au contraire, il s’agit d’un droit fondamental qui doit être traité comme tel. La souveraineté alimentaire, autrement dit la capacité politique de légiférer sur l’agriculture et l’alimentation, assurant ainsi aux peuples le pouvoir d’être autonomes et d’avoir accès à des aliments produits localement, sains, frais et culturellement appropriés, n’est pas quelque chose qui devrait être mis en vente. Pour atteindre les objectifs et les priorités de la PAC, il est nécessaire de se conformer à l’une des plus importantes revendications de La Via Campesina : exclure l’alimentation et l’agriculture des accords de libre-échange.
Actuellement, il existe une incohérence entre les objectifs de la PAC et des systèmes alimentaires basés sur un modèle d’exportation-importation, du fait de l’intégration de l’alimentation et de l’agriculture dans l’OMC et dans les ALE. Afin de « renforcer la position des agriculteur·rice·s dans les chaînes de valeur », et de « promouvoir l’emploi, la croissance, l’inclusion sociale et le développement local dans les zones rurales », il est nécessaire de réguler les marchés, les rémunérations et de prendre des mesures pour relocaliser et contrôler la production et raccourcir les circuits alimentaires. Encourager les producteurs à expédier des denrées alimentaires à l’autre bout du monde ne nous rapproche certainement pas de la mise en œuvre de ces mesures, ; ce n’est certainement pas un exemple de « gestion durable des ressources » ou de « changements dans les pratiques agricoles pour atténuer les GES » (Gaz à effet de serre) compte tenu de l’impact environnemental du stockage et du transport associés. Néanmoins, dans ses déclarations sur la nécessité d’utiliser le potentiel des marchés locaux, la position du Commissaire à l’agriculture montre à ECVC une opportunité et une ouverture au changement. Dans le processus d’approbation des plans stratégiques nationaux de la PAC, la Commission s’est engagée à donner la préférence aux circuits courts et aux alternatives au commerce à longue distance, car il s’agit également d’un objectif climatique. La distance de la ferme à la table, qui est actuellement d’environ 150 km, doit être réduite.
Les ALE sont un obstacle pour de nouvelles politiques publiques visant à améliorer les systèmes alimentaires en termes de qualité, de sécurité alimentaire, de durabilité environnementale, d’inclusion sociale et du développement rural. Alors que les États membres sont invités à faire cela précisément et à apporter des changements réels et sérieux dans le cadre de leurs plans stratégiques nationaux de la PAC. La priorité, lorsqu’il s’agit de décider comment nous produisons nos aliments, devrait être de fournir à la population une alimentation saine, suffisante, sûre, durable et souveraine. Le profit ne peut plus passer en premier lieu ; et avec la politique des accords de libre-échange, les institutions européennes doivent donner le ton pour encourager les États membres à mettre en œuvre une politique nationale suffisante dans le cadre de la PAC et au-delà.
De même, dans sa communication sur la révision de sa politique commerciale, la Commission s’est engagée à continuer à soutenir « le secteur agricole et agroalimentaire de l’UE, composé principalement de PME, en mettant l’accent sur la promotion de la durabilité et de la qualité des produits, pour en faire un porte-drapeau du système alimentaire durable de l’UE ». Cependant, cet engagement n’a pas été étendu aux mesures approuvées par le Conseil et le Parlement dans le cadre de la réforme de la PAC. Si l’on considère le régime des petits agriculteurs, le soutien a été limité à un plafond de 1250 € de paiements redistributifs non obligatoires, tandis que le plafonnement et la dégressivité pour les grands bénéficiaires de la PAC n’ont pas été rendus obligatoires pour les États membres. Il est irréaliste de penser que les petits et moyens agriculteurs peuvent planifier ou adapter leurs pratiques, ou même continuer à exercer leur métier, si la PAC ne parvient pas à leur assurer une part équitable des subventions et des aides. Selon la PAC, bon nombre de petites et moyennes exploitations que la Commission promet de soutenir dans le cadre de la politique commerciale sont considérées comme trop petites pour bénéficier d’un soutien. En outre, alors que la PAC souligne l’importance de soutenir la résilience et la position des agriculteur·rice·s, par exemple par le biais du « développement rural et des infrastructures », ou encore de « systèmes de conseil efficaces et de la formation continue » et de solutions pour lutter contre « l’accès difficile au crédit », la Déclaration sur la Politique Commerciale insiste sur la façon dont la révolution numérique va changer la nature du commerce, « soutenue par la protection de la propriété intellectuelle (PI) ». Il est particulièrement dangereux de penser que le commerce peut évoluer et devenir plus durable sur le plan environnemental et soutenir les agriculteurs grâce à l’innovation favorisée par la protection de la propriété intellectuelle alors que cette même « protection » empêche l’accès des agriculteurs aux semences ou, plus largement, l’accès aux vaccins dans les pays du Sud.
En outre, la Commission affirme que, grâce à son ouverture, à son engagement mondial et à sa coopération, l’UE travaille avec ses partenaires pour garantir le respect des valeurs universelles – les normes fondamentales du travail et la protection sociale conformément au pilier européen des droits sociaux, l’égalité des sexes, la lutte contre le changement climatique et la perte de biodiversité. Par exemple, l’une des principales actions et domaines de travail mise en évidence dans la Politique Commerciale révisée consiste à veiller à ce que « les importations soient conformes aux réglementations et normes européennes pertinentes ». Malheureusement, et encore une fois de manière incohérente, l’interdiction d’importer des produits contenant des pesticides non autorisés en Europe (article 188 bis) n’a pas été adoptée lors des récentes négociations sur la réforme de la PAC. Le Conseil a refusé de soumettre les importations à la réglementation européenne sur les pesticides, tournant le dos aux citoyens européens sur une question aussi cruciale que la sécurité alimentaire.
Si l’UE continue à « renforcer les relations avec les pays d’Europe et d’ailleurs et à approfondir l’engagement avec les États africains », comme le souligne la Déclaration de Politique Commerciale, mais qu’elle ne parvient pas à approuver et à mettre en œuvre des mesures dans d’autres politiques telles que la PAC, le Pacte vert et la stratégie « De la ferme à la table », et vice versa, alors il y aura incohérence entre ces piliers de la politique de l’UE ; et d’autres acteurs, tels que les acteurs industriels et les investisseurs privés, continueront à fixer les normes et à utiliser leur pouvoir pour faire du profit pour quelques-uns, au détriment du progrès pour le plus grand nombre.
S’il existe de nombreuses incohérences entre la PAC et la révision de la politique commerciale, une conclusion peut être tirée de ces deux documents. Il n’y a pas assez d’ambition pour changer la situation actuelle. Il n’y a pas de vision cohérente sur les politiques de l’UE, ni d’engagement de mettre en place des mesures plus fortes en conformité avec le Pacte vert et la stratégie « De la ferme à la table », ni d’engagement réel pour un changement de paradigme tellement nécessaire pour la transition vers une agriculture durable.
Les institutions doivent écouter la voix des communautés et des organisations paysannes dans les zones rurales pour prendre des décisions politiques holistiques qui changent l’orientation de la politique commerciale vers un développement durable et local, soutenu par une PAC cohérente et consistante au niveau de l’UE et des plans stratégiques nationaux ambitieux au niveau des États membres. L’avenir des petits et moyens producteurs européens, et donc la santé et le bien-être de tous les citoyens qu’ils nourrissent, en dépendent.
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