Les paysans prennent d’assaut la capitale de l’Inde et réclament la libération de leur dette et un meilleur prix pour leurs produits
Plusieurs milliers de paysannes et paysans de toute l’Inde ont organisé une grande manifestation à New Delhi, les 20 et 21 novembre derniers en vue d’attirer l’attention sur la situation de détresse agricole aigüe frappant le monde rural et de rechercher une intervention immédiate de la part du Gouvernement de l’Union.
Les deux organisations paysannes – Karnataka Rajya Raitha Sangha et South Indian Coordination Committee of Farmers Movements – appartenant également au mouvement international La Via Campesina, ont rejoint la manifestation en grand nombre.
Depuis longtemps, en Inde, les mouvements paysans et les organisations de la société civile ont signalé le grave problème de la dette de plus en plus importante pour de nombreux ménages ruraux.
Au cours de ces trois dernières décennies, une augmentation marquée et constante des coûts de production, des revenus agricoles quasi-stagnants et la hausse des dépenses des ménages, aggravée par l’effondrement des services sociaux publics et leur privatisation, ont entraîné que près de 60% de ces ménages sont piégés dans un cycle de dettes. Depuis 2012, la crise n’a fait qu’empirer à cause de sècheresses consécutives et des pluies hors saison qui ont engendré des pertes sévères dans les cultures ainsi qu’une chute des prix agricoles.
Pour une série de 25 cultures, le Gouvernement de l’Inde offre un prix minimum garanti aux paysans de l’ensemble du pays. Cependant, depuis plusieurs années maintenant, comme le soulignent les mouvements sociaux, ce prix de soutien est légèrement au-dessus du coût de production.
En 2014, lors de sa campagne pour les élections générales, Narendra Modi, actuellement Premier Ministre, avait promis publiquement de fournir des produits agricoles à un taux plus élevé qui devait être au moins une fois et demie le coût de production. Or, cela est aujourd’hui loin de la réalité. Pire encore, les paysans sont à l’heure actuelle forcés de vendre leurs produits à des niveaux même en-dessous du prix minimum garanti.
La Révolution verte, et l’ouverture de l’agriculture indienne aux marchés libres mondiaux en découlant, ont exposé les paysans du pays à une concurrence injuste et inéquitable sur la scène mondiale. Les politiques agricoles sont plus orientées vers l’exportation de produits que vers la promotion de la production et de la distribution locales, ne favorisent que l’agrobusiness tout en marginalisant les paysans et les petits producteurs agricoles. Malgré cela, des institutions internationales comme l’OMC continuent à faire pression sur le Gouvernement indien pour qu’il réduise encore plus les prix de soutien et pour abaisser les droits à l’importation!
Cela a eu des conséquences dévastatrices. Depuis 1995, au moins 300.000 paysans indiens ont été poussés au suicide pour être incapables de rembourser leur dette et ne pas supporter le harcèlement de leurs créanciers. D’après les données gouvernementales, environ 2 000 paysans sont contraints de quitter l’agriculture chaque jour et émigrent vers les villes pour chercher du travail dans les usines ou les chantiers de construction.
La résurgence des mouvements paysans en Inde
Le mécontentement, rampant depuis longtemps dans les campagnes, vient maintenant frapper aux portes de la capitale nationale.
Plus de 180 organisations de paysans de toute l’Inde se sont regroupés sous la bannière du Comité All India Kisan Sangharsh Coordination Committee (AIKSCC) pour veiller à ce que les paysans résistent de manière unie contre l’apathie du Gouvernement et ses politiques néfastes.
L’Inde a une riche histoire concernant les grandes mobilisations de paysans – comme celles menées par Mahendra Singh Tikait du syndicat Bhartiya Kisan Union (BKU) et par le Professeur Nanjundaswamy du Karnataka Rajya Raitha Sangha (KRRS), entre autres.
La crise actuelle de l’Inde rurale a mené à une résurgence de ces luttes. De nombreuses organisations, dans presque toutes les régions de l’Inde, sont solidaires pour agir ensemble et se battre jusqu’à ce que leurs revendications soient satisfaites.
S’adressant à un rassemblement de plusieurs milliers de paysannes et paysans, Chamarasa Patil, un paysan et dirigeant du KRRS, s’est écrié :
“Nous savons que la police est à nos côtés. Nous savons que la police est armée. Nous savons que leurs fusils ont des balles toujours prêtes pour transpercer la chair de paysans innocents. Mais vous devez savoir que si les 750 millions de paysannes et paysans de ce pays décident de descendre dans les rues, vos balles ne suffiront pas et vos gouvernements disparaitront en un tourne main. Ne menez pas à bout notre patience”.
Mr. Patil se référait aux incidents récents relatifs aux atrocités commises par l’Etat à Mandsaur, Madhya Pradesh, contre des paysans qui protestaient, occasionnant plusieurs morts par balles.
Pendant deux jours, des femmes et des hommes se sont rassemblés sur le lieu de la mobilisation et ont mené une simulation de débats de style parlementaire au cours desquels ils ont collectivement fait part de leurs demandes sous la forme d’un projet de loi, qu’ils voudraient que le Gouvernement de l’Union traite lors de la prochaine session d’hiver du Parlement indien.
Au cours de ces mobilisations, les paysans qui protestaient ont également faxé une invitation au Premier Ministre en l’invitant à venir dans la rue pour écouter leurs demandes et préoccupations. N’ayant obtenu aucune réponse du Cabinet du Premier Ministre, les organisations ont maintenant prévu d’organiser la prochaine étape d’agitation au Gujarat, Etat d’origine du Premier Ministre où de élections doivent avoir lieu prochainement.
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Image de couverture par Gopalakrishnan Manicandan
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