OMC – Le retour en force
Pourquoi la 9ème Ministérielle de l’OMC et le paquet de Bali menacent-ils les peuples et la planète?
Après de nombreuses négociations qui ont fini au point mort, beaucoup de personnes ont pensé que l’OMC (WTO en anglais) était passée à la trappe, qu’elle n’était plus qu’un mort vivant. En décembre 2011, Pascal Lamy, son Directeur Général, l’ex-chef négociateur de l’Union Européenne, sans complaisance, a été forcé de concéder que l’OMC était dans une impasse, alors qu’il avait qualifié la ministérielle de 2011 de « simple époussetage ». Ce n’est donc pas une surprise, on n’attend pas grand-chose de la prochaine 9ème Ministérielle à Bali (Indonésie). Cependant, comme l’expliquera cet article, ce n’est pas le moment de baisser la garde. La prochaine Ministérielle à Bali sera différente des précédents ennuyeuses rencontres Ministérielles. Elle porte en son sein un réel danger et une menace non seulement d’un retour de l’OMC, mais aussi d’une expansion de son influence et du lancement de nouvelles négociations dans de nouveaux domaines.
Le paquet de Bali se présente comme une concession aux pays en développement, proposant de satisfaire leurs demandes de sécurité alimentaire et leurs inquiétudes sur les tarifs agricoles, tout en s’intéressant à l’éternelle question, des traitements spécifiques et différents pour les Pays les moins développés. A l’intérieur de ce paquet, se trouve caché un véritable poison, une « nouvelle » question déjà rejetée, qui maintenant, non seulement menace l’ouverture drastique des marchés en réduisant les barrières douanières mais porte aussi avec lui la menace de l’expansion de l’OMC, dans des domaines non commerciaux. Le paquet de Bali, s’il est accepté, provoquera davantage d’obligations pour les pays pauvres et donnera un nouvel élan aux négociations commerciales qui sont aujourd’hui au point mort ; il renouvellera et développera l’OMC et, avec un effet domino, augmentera de nouveaux domaines pour des négociations dans l’Accord de libre-échange (FTA en anglais, ALE en français) comme cela s’est passé pour le Pacte de partenariat Trans-pacifique (TPP en anglais). En fin de compte, l’OMC reste la base pour tous les ALE et reste aussi la seule organisation multilatérale ayant le pouvoir de forcer les états souverains à la servilité par son tout-puissant Mécanisme de résolution des différents.
Qui plus est, plusieurs facteurs – le nouveau panorama politique avec ses nouveaux acteurs, la réalité économique nouvelle et le nouvel effort pour faire avancer les négociations – se sont rassemblés pour non seulement un retour possible de l’OMC mais aussi avec le paquet de Bali, un retour en force et un élargissement du libre-échange dans son ensemble.
La menace véritable du Paquet de Bali
Actuellement, encore plus que le contenu du paquet, la menace du “paquet de Bali” est le fait qu’il ressuscite les négociations et qu’il ouvre la porte, non seulement aux reprises de négociations mais aussi à l’essor de l’OMC, elle-même. La Facilitation du Commerce était la « nouvelle question » qui a déjà été rejetée, il y a longtemps, par les pays en développement ; cependant elle est à nouveau sur la table comme sujet principal du paquet de Bali. Un accord sur cette question ouvre la porte aux autres « nouvelles questions », elles aussi rejetées il y a des années, ce qui élargit la mainmise de l’OMC et qui fait revivre les négociations de libre-échange, elles-mêmes, les sortant de leur impasse actuelle.
Qui veut la renaissance des Négociations ?
Les négociations du cycle de Doha à l’OMC sont dans une impasse depuis des longues années. A présent, à Bali, ils vont essayer d’arriver à un accord sur certains éléments du cycle de Doha et d’avancer sur de nouvelles négociations dans d’autres domaines. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles ils veulent faire revivre les négociations, mais le facteur principal est :
– Premièrement, l’OMC est toujours la seule organisation du commerce qui possède le pouvoir exceptionnel de, légalement, faire obéir et pénaliser les pays et, dans certains cas, de faire changer les lois nationales afin d’exécuter les règles de l’OMC sur le libre-échange.
– Deuxièmement, le système capitaliste est basé sur une expansion continue ; sans cela, il y a baisse de profits. Donc, pour qu’il y ait augmentation du taux de profit, la poursuite de l’expansion et de croissance est nécessaire– d’où le besoin d’élargir le système de commerce multilatéral à de nouveaux domaines. Des entreprises multinationales ont besoin de cette expansion et de cette croissance pour que leur taux de profits continue de s’accroître. Et dans la réalité, ce sont ces multilatérales géantes qui contrôlent la plupart du commercemondial, et qui tirent profit de l’OMC et de son expansion dans les nouveaux domaines du libre-échange. L’économie verte est un exemple manifeste du capitalisme qui cherche de nouveaux domaines.
– Troisièmement, les pays développés, qui ont été sévèrement touchés par la crise financière de 2008, n’ont pas encore récupéré complètement. Ils voient leur économie stagner et leur croissance ralentir. Afin de sortir de la crise, ils ont besoin d’accèder aux marchés des pays en développement, surtout de ceux des pays émergeants dont leur l’économie est encore en croissance.
– Quatrièmement, certains pays en développement, commencent eux-mêmes, à sentir le ralentissement. Les monnaies d’économies importantes d’Asie, comme l’Inde ou l’Indonésie, ont un taux de dévaluation alarmant, ces pays commencent à sentir les effets de la crise.
– Aussi, selon l’analyse des protagonistes de l’OMC et du système de Libre-échange, il faut se rendre compte que le commerce global se passe non seulement entre les pays mais plus encore entre les multinationales. Et dans plusieurs cas, les pays bougent dans le sens des multinationales.
Des jours difficiles pour le Cycle du Développement de Doha
Un cycle correspond à un cycle de négociations visant des accords pour de nombreux sujets. Le Cycle de l’Uruguay, par exemple, qui a duré de 1986 à 1994, a créé l’OMC et a décidé des 60 accords actuellement en place dans l’OMC, incluant entre autres les Accords sur l’Agriculture.
Bien que née officiellement le 1ère janvier 1995, l’OMC n’est passée sous les projecteurs de l’actualité qu’en 1999, en raison des mobilisations massives dans les rues de Seattle. Le mouvement altermondialiste s’est rassemblé dans un brillant coup de force et de coordination et s’est solidarisé avec le mécontentement des pays en développement, ce qui a produit la première défaite d’une Ministérielle de l’OMC. En 2001, dans le cadre étriqué de Doha, la capitale du Qatar, dans une atmosphère ouatée par la guerre globale contre le terrorisme, l’OMC a pondu les propositions du Cycle de Développement de Doha qui, depuis essaye, avec une extrême difficulté, de se réaliser.
Le cycle de Développement de Doha, connu aussi comme l’Agenda de Développement de Doha, est actuellement la question centrale dans les négociations au sein de l’OMC. Son objectif global est de réduire les barrières douanières restantes dans le monde, afin de faciliter les flux d’échanges commerciaux. Ces négociations incluent toute une gamme de questions, de l’agriculture aux services et aux traitements spécifiques et différents. Ce cycle était surnommée le cycle du Développement, car il s’agissait, soi-disant, d’apporter du « développement » aux pays les moins développés et aux pays en développement.
Bien qu’il y avait des petites évolutions et avancées, le cycle du Développement de Doha, dans son ensemble, est resté bloqué. Le fait que ce cycle était trop ambitieux dans les domaines de grande dissension comme l’agriculture et les services, et qu’il insistait pour un élargissement de l’influence de l’OMC dans des « questions nouvelles », par exemple, la facilitation des flux d’échange, les privatisations, les investissements et la compétitivité est un des raisons du blocage. Par ailleurs, les négociations se sont autobloquées de part la règle du “ou bien tout est accepté ou bien tout est refusé”. L’effondrement de la Ministérielle de 2003 à Cancun a pointé l’évidente difficulté des négociations. Les Pays les moins développés ont pris la porte pendant les négociations, rejetant les « questions nouvelles » et disant que leurs demandes pour les traitements spécifiques et différents et pour le développement n’étaient toujours pas été traitées. Cancun était aussi témoin du rassemblement des pays développés dans les groupements agricoles comme le G-20, mené par le Brésil et le G-33, mené par l’Indonésie. L’échec de Cancun était aussi dû à l’immense pression publique survenue après l’immolation du paysan coréen Lee Kyung Hae, qui est mort sur la clôture entourant la Ministérielle de Cancun, en portant une pancarte qui disait : « L’OMC tue des paysans ».
L’OMC s’est débrouillé pour retrouver son chemin avec la Déclaration Ministérielle à Hong Kong en 2005, mais quasiment sans aucune légitimité, pendant que les forces de sécurité gazaient et matraquaient des centaines de manifestants entourant le lieu, et que la Présidence Ministérielle cognait avec son marteau pour accentuer son accord à la déclaration, malgré les protestations de plusieurs pays en développement. Après Hong Kong, il y eut plusieurs autres tentatives de progression, bloquées en 2008, jusqu’à-ce qu’enfin, en 2011, dix ans après le lancement du cycle du Développement de Doha, le Directeur Général de l’OMC, Pascal Lamy, reconnaisse, ce que tout le monde savait déjà, que les négociations de l’OMC étaient dans une impasse.
La véritable raison de l’impasse du Cycle de Doha
A l’époque, en 1995, l’OMC a été créé avec la soi-disant promesse d’amener de la discipline dans le secteur agricole. Les Accords sur l’Agriculture (AoA en anglais) étaient révolutionnaires parce que, pour la première fois, il y avait des accords multilatéraux couvrant le secteur dans son ensemble et la promesse aux pays en développement que ces accords mettraient fin aux subventions, qui faussent les échanges avec l’agriculture des états-unis et de l’Union Européenne. Toutefois, grâce aux diverses failles dans l’Accord agricole, les é-U et l’UE arrivaient à augmenter, au lieu de diminuer, leurs subventions, continuant le « dumping » des denrées agricoles bon marché, détruisant les emplois des petits paysans dans les pays en développement. La Série de Développement de Doha était un essai pour élargir les négociations de l’OMC, provoquant l’illusion que ces subventions allaient être disciplinées et permettre l’accès aux marchés des pays en développement, par exemple concernant le marché du coton. La Déclaration de Hong Kong affirmait que 2013 allait être la date limite pour mettre fin aux subventions d’exportation et qu’il allait y avoir un accès au libre-échange hors taxes, sans quota pour les producteurs de coton. Et puis, encore plus rien… Ceci est la véritable raison de l’impasse. Les pays développés restaient intransigeants dans leurs pratiques, tout en espérant de plus en plus de concessions de la part des pays en développement. Qui plus est, la promesse des é-U et l’UE de discipliner les subventions massives était en fait un mensonge ; le but réel de l’Accord agricole étant la mainmise sur les marchés agricoles des pays en développement, tout en disciplinant leurs gouvernements et en limitant leurs marges politiques.
Les panoramas économique et politique bouleversés
La crise globale qui a frappé en 2008, a changé le panorama économique et politique. Les centres du capitalisme, les é-U et l’UE, étaient les plus atteints, et ils n’ont pas encore complètement récupéré. Leur croissance a ralenti considérablement et leur chômage a accédé à des niveaux records. En se rendant compte qu’ils avaient besoin des marchés en croissance des économies émergeantes principales ou bien des grands pays en développement, pour les sauver de la ruine financière et économique, Les é-U, l’UE et d’autres pays développés ont convoqué le premier meeting des chefs d’état du G-20 en novembre 2008, amenant en réalité au sein du « club des plus forts » qu’était le G-8, les principaux pays en début de développement ; à savoir, le Brésil, l’Inde, la Chine, l’Indonésie, l’Argentine et l’Afrique du Sud.
Quasiment, de la même manière, le groupement des pays nouvellement développés était étendu aux pays nouvellement industrialisés des BRICS – le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, rejoints bientôt par l’Afrique du Sud en 2010. Autrement dit, le monde changeait et avec lui, les anciennes structures de pouvoir. Mais, comme la crise continue, les économies émergeantes principales ont commencé, elles aussi, à sentir les effets de la crise, causant une dévaluation de la monnaie et l’incertitude dans les marchés ce qui, ensuite, a déstabilisé leur économie.
La solution qu’a trouvé le G-20 à cette crise était d’avoir davantage de libre-échange, en ouvrant la porte de l’OMC aux nouveaux territoires et l’ouverture de nouveaux marchés avec les nouveaux FTA comme les é-U – l’UE et le TPP. Ils font ainsi, non seulement pour sauver leurs économies de la crise mais aussi pour garantir un taux de profit en continu pour leurs multinationales, qui sont actuellement les bénéficières de l’expansion du libre-échange global. L’OMC lui-même l’admit, exposant en détail ce fait dans leur rapport récent : « Current trade is mainly driven by a few big trading firms across countries »1.
Boîte 2
Les structures de pouvoir changées dans l’OMC
Dans une époque antérieure de l’OMC, il y avait une structure de pouvoir particulière parmi les états. Le « Quad » était au sommet de cette structure et exerçait tout le pouvoir. Le « Groupe Quadrilatéral » ou « Le Quad » – les quatre des plus puissants – était les États-Unis, l’Union Européenne, Le Canada et le Japon. Les é-U et l’UE se retrouvaient entre eux pour résoudre leurs plus grandes divergences. Ensuite, ils appelaient le Canada et le Japon, souvent avec la participation du Secrétariat de l’OMC, afin d’approfondir une position commune. Puis ils convoquaient une mini Concertation Ministérielle, un meeting non officiel, sur invitation uniquement, où l’on demandait aux pays clés en développement d’être d’accord avec la question. Une fois la question posée aux autres membres de l’OMC, il n’y avait plus rien à négocier.
Toutefois, le changement du panorama économique menait aussi à un changement dans le panorama politique. Il y avait maintenant des pays en développement plus puissants qui ne pouvaient être malmenés aussi facilement – le Brésil, l’Inde et l’Indonésie pour ne citer que quelques-uns – ceux-là avaient, tous, des économies grandes et en plein essor donc, ils étaient incontournables. Les groupements des pays nouvellement développés rejetaient aussi des propositions des é-U et de l’UE.
Cette realpolitik nouvelle se reflète dans la nouvelle OMC. L’élection de son nouveau Directeur Général est, en réalité, un résultat direct de ce panorama politique nouvellement changé. Des initiés ont fait courir le bruit selon lequel, la course pour le nouveau Directeur Général était une compétition serrée entre les candidats du Mexique et du Brésil, le Mexique profitant de l’appui des é-U et du Royaume-Uni mais, comme l’UE s’abstenait de prendre position, et puis comme les BRICS, pays en développement qui constituent la majorité des membres de l’OMC, ont donné leur soutien, Roberto Azevedo du Brésil a été élu.
Résultat, le nouveau Directeur Général de l’OMC, Roberto Azevedo, qui a commencé en septembre 2013, a beaucoup de soutien et de capital politique qu’il peut utiliser pour faire sortir les négociations de leur impasse actuelle. Cela pourrait aussi signifier que des pays clés en développement montreraient désormais davantage d’empressement à la compromission pour arriver à un accord.
Mais en réalité, jamais les pays développés et en développement, ne s’affrontaient ; leurs multinationales ont, dans les deux cas, des intérêts en commun.
Une autre manière de faire bouger les négociations
Non seulement il y a changement dans les panoramas économique et politique, mais il y a aussi changement dans la manière dont évoluent les négociations. Le Bali Package est une manière de ratifier certains éléments de la Série de Doha, mais encore plus important, c’est un marchepied pour le lancement de nouvelles négociations dans d’autres domaines, laissant tomber le poids mort qu’est devenue la Série de Doha.
Parallèle à ce changement, il y a des négociations plurilatérales en d’autres domaines de discussion comme les services. Selon certains initiés, la nouvelle manière sera de faire des négociations plurilatérales d’abord, et puis plus tard de mettre la pression pour que l’affaire devienne multilatérale, concernant tout le monde au lieu de seulement ceux qui étaient directement concernés.
Boîte 3
Les groupes
La lettre G veut dire simplement « groupe » et le numéro représente généralement le nombre de pays appartenant à ce groupe. Des pays se regroupent sur différents thèmes, certains dans le but d’avoir une position de négociation plus forte, d’autres avec un but politique, financier ou économique à plus long terme.
G-90 est le plus grand bloc d’échange dans l’OMC, numériquement, regroupant les pays en développement les plus pauvres et les plus petits de l’OMC. Sont inclus le Groupe africain, caribéen et pacifique (ACP), l’Union de l’Afrique et les Pays les moins développés (LDC).
G-33 est présidé par l’Indonésie, faisant partie d’un groupe de pays en développement incluant l’Inde, les Philippines et plusieurs autres, se composant pour la plupart des pays en développement avec une grande population de petits paysans ; ces pays sont au premier plan pour proposer des mesures spécifiques pour les pays en développement dans le domaine de l’agriculture.
G-20 est présidé par le Brésil, le groupe s’étant formé juste avant la Concertation Ministérielle de Cancun en 2003. établi par le Brésil, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, ce bloc de pays en développement a, comme position principale, de conquérir réellement l’accès aux marchés des pays développés et de voir la fin des subventions d’exportation imposées par ceux-ci.
L’autre G-20 est différent des autres groupes de négociation formés à l’OMC parce qu’il fut formé dans un but politique, financier et économique à plus long terme. Il a regroupé des pays développés et en développement « systémiquement importants » afin de discuter de questions politiques financières clés dans l’économie globale. Cependant, il s’est donné le mandat de faire beaucoup plus que de simplement discuter de la finance globale. Il se retrouve annuellement pour décréter des directions politiques sur les questions de sécurité alimentaire, le changement de climat, les échanges, l’emploi, la réduction de la pauvreté et le développement. Il s’est auto désigné pour être le premier forum pour la coopération économique internationale. Il y a de sérieux doutes sur sa légitimité à prendre des décisions au nom du reste du monde. Il est composé essentiellement du G-8 et de ses amis. Les 20 membres de ce groupe sont : l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Canada, la Chine, la France, l’Allemagne, l’Inde, l’Indonésie, l’Italie, la Mexique, la Russie, l’Arabie Saoudite, l’Afrique du Sud, la Corée, la Turquie, le Royaume-Uni, les états-Unis et l’Union Européenne. Les Fonds monétaires internationaux (FMI) et la Banque Mondiale participent aussi aux réunions G-20 quoique sur une base ex-officia.
Le coté sombre du Bali Package
Il y a trois éléments principaux du Bali Package : Facilitation des échanges, Agriculture et Package pour les pays les moins développés.
1) Facilitation des échanges
Au cœur de ce Bali Package, il y a un accord sur la facilitation des échanges. Ceci est la clé de voûte du Package car son but est de faciliter les flux plus commodes, plus prévisibles, plus rapides et plus importants pour les entreprises. Dit simplement, la facilitation des échanges veut dire assouplir les procédures douanières afin d’écourter le temps nécessaire aux marchandises de traverser les frontières. Ceci faisait partie des quatre « nouvelles questions » qui ont été refusées par les pays en développement à la Ministérielle de Cancun en 2003, mais qui a trouvé le moyen d’être remis sur table et au cœur d’un agrément. Il a été depuis toujours et reste une demande des pays développés parce que ceux-ci ont le plus à gagner d’un accès aux marchés des pays en développement, plus faciles et plus rapides. Néanmoins, la facilitation des procédures douanières va coûter assez cher à appliquer dans les pays en développement dans lesquels les normes douanières et frontalières ne sont pas mises à jour. Les pays en développement n’ont pas l’argent pour investir dans la standardisation des procédures douanières et frontalières. Ils ont à peine assez d’argent pour aborder les problèmes de la faim et la pauvreté, et en plus ils devront faire des dépenses pour moderniser les procédures douanières s’ils veulent se conformer aux règles mondiales d’échange. Et puis, même si cela amène des assouplissements de procédures douanières et frontalières des pays développés, il est pratiquement sûr que de nombreux pays en développement ne pourront pas profiter de ces assouplissements, pour accéder aux marchés des pays développés, comme l’a montrée les promesses en l’air faites par ces pays développés qui promettent l’accès à leurs marchés hors taxe et sans quotas d’importation. Enfin, la véritable menace de cette affaire de la Facilitation des échanges est que son agrément ouvrira la porte à d’autres « nouvelles questions » déjà rejetées (privatisations, investissements, compétitivité…) et à l’élargissement de la mainmise de l’OMC dans de nouveaux domaines non encore traités commercialement.
2) Agriculture
La question de l’agriculture a toujours été au cœur de l’impasse de la Série de développement de Doha. Quand les négociations ont fini dans l’impasse en 2008, le point de dissension était l’agriculture. Aujourd’hui, quelques-unes de ces questions qui persistent sur l’agriculture sont revenues sur la table, conjointement avec les demandes des pays en développement. Il y a de nombreux éléments dans la section Agriculture du Bali Package :
– Actions publiques d’aide pour la sécurité alimentaire et les aides alimentaires intérieures (G-33).
– élimination des subventions et des concurrences sur les exportations G-20.
– Discipline en matière de gestion des conditions tarifaires des quotas d’importation (G-20).
Le premier élément est une proposition déposée par le G-33 et concerne la demande des pays en développement à être autorisés à utiliser la politique de soutien des prix, afin de mettre en place des actions publiques d’aide pour la sécurité alimentaire et des aides alimentaires intérieures. Ceci veut dire que les pays du G-33 demandent l’autorisation de fournir des subventions aux paysans pauvres. Mais, pour que la proposition fonctionne durablement, on a besoin d’amender l’Accord agricole et particulièrement les règles sur le soutien domestique. Sous les règles actuelles, des pays comme l’Inde ou l’Indonésie ne peuvent pas subventionner leurs paysans pauvres parce que cela dépasserait les limites du soutien de l’Accord agricole. L’Inde, en particulier, vient juste de signer le Projet de loi pour la sécurité alimentaire nationale, visant à fournir des subventions pour les semences alimentaires pour aider ses paysans pauvres au sein de la population, ce qui fera, selon certaines estimations, environ deux tiers des 1,2 milliards de personnes de sa population. Si l’Inde mettait en œuvre cette loi, elle pourrait être poursuivie en justice par l’OMC selon le Mécanisme de résolution des disputes, car cela violerait la règle de l’Accord agricole sur le soutien domestique. Le G-33, présidé par l’Indonésie, plaide leur besoin de cet amendement des règles afin de subvenir aux besoins de sécurité alimentaire pour leurs paysans pauvres et leurs consommateurs.
Mais les pays développés trouvent que la proposition d’amender l’Accord agricole est « une question trop grande pour Bali »2. Au lieu de cela, ils proposent des mécanismes intermédiaires incluant des flexibilités basées sur la période de temps ou sur le seuil pour que les subventions soient autorisées, sans la menace de contestations juridiques du Mécanisme de résolution des disputes. Selon certains initiés, la proposition du G-33 avait été rejetée d’emblée au début, mais quand l’Inde a menacé de faire avorter les accords de facilitation des échanges, les pays développés ont répondu avec les propositions pour des solutions provisoires. Ces propositions de solutions provisoires qui, à part le fait qu’elles n’ont aucune assurance de fonctionner réellement, sont éloignées de ce que demandent les pays du G-33.
Boîte 4
Pourquoi les Accords agricoles doivent être amendés afin que les propositions du G-33 puissent fonctionner
Avec les règles de l’Accord agricole, le soutien domestique qui contient des mesures de soutien des prix (des prix administrés ou des subventions directement reliées aux quantités de production) est soumis à la Boîte Ambre et est limité. Ces limites sont de 5 % de la production agricole pour les pays développés et de 10 % de la production agricole pour les pays en développement. Au début de l’OMC, les membres qui pratiquaient les subventions supérieures aux niveaux « minima » ont été obligés de promettre de les réduire. Ces réductions sont appelées la Mesure totale globale de soutien (AMS en anglais). La formule pour calculer l’AMS est :
Le volume de la X la différence entre le = La valeur de la subvention
production admissible prix externe de référence agricole
(prix du marché mondial) et le prix administré
En suivant cette entente de l’Accord agricole, on peut comprendre pourquoi les quatre éléments suivants sont les éléments principaux qui doivent être négociés pour que le G-33 puisse fournir des subventions sans dépasser les limites ou risquer des poursuites judiciaires selon le Mécanisme de résolution des disputes de l’OMC. Une de ces quatre règles de l’Accord agricole doit être amendée pour que la proposition du G-33 fonctionne :
1) Élever le plafond de subventions « minima » pour les pays en développement de 10 % à 15 %.
2) Réviser le prix de référence externe de 1986-88 et utiliser un prix de référence plus actuel.
3) Réviser le volume de la production admissible.
4) Négocier le prix administré, sauf que le G-33 est contre la réduction de cette quatrième variable car il veut rester avec le même niveau de subvention pour ses paysans.3
Le second élément est une proposition avancée par le groupe sur l’agriculture du G-20, présidé par le Brésil. Cette proposition appelle la fin des subventions d’exportation et un meilleur contrôle de ces crédits d’exportation afin d’éviter leurs subventions. Cette proposition vient d’un problème de longue date. En 2005, à la fin de la 6ème Ministérielle à l’OMC à Hong Kong, ils ont déclaré : « Nous sommes d’accord pour garantir l’élimination, en parallèle, de toute forme de subvention d’exportation et d’un meilleur contrôle sur toute mesure concernant l’exportation, avec effets équivalents à compléter d’ici fin 2013.4 Bien que l’an 2013 soit passé de moitié, les é-U et l’UE sont loin et, de beaucoup, de l’élimination de leurs subventions d’exportation. Et, malgré le fait que cette proposition soit déjà un accord qui date d’une Déclaration Ministérielle précédente, il y a encore des opposants parmi les subventionnaires les plus importants.
Le troisième élément est une proposition toujours du G-20, centré sur la demande du G-20, pour avoir des règles plus strictes sur les quotas des conditions tarifaires (TRQ en anglais). Essentiellement, comme des règles actuelles empêchent l’accès des pays en développement aux marchés des pays développés, cette proposition réduit les quotas sur les importations des paysans. Cela serait vu comme une proposition qui peut être acceptée par le Bali Package malgré certaines réserves concernant, en réalité, le mécanisme fonctionnement.
3) Un Package pour les pays les moins développés
Dans son discours final, au Meeting pour les négociations formelles sur les échanges en 22 juillet 2013, Lamy a présenté le package des questions pour les pays les moins développés comme le premier élément du Bali Package. Il y a de nombreuses questions dans ce domaine.
D’abord, dans le Spécifique et différent traitement (S&DT en anglais) il y a plusieurs points : Les 28 propositions de Cancun, le Mécanisme de monitorage et les 6 propositions particulières d’agrément. Les 28 propositions de Cancun faisaient à l’origine partie des 88 propositions qui étaient sensées renforcer les provisions de S&DT à l’OMC. Les 28 étaient, en fait, déjà agréés avant Cancun, mais n’ont pas été mises en place après l’effondrement de cette Ministérielle. Aujourd’hui, même si, comme dit Lamy, « Ces propositions sont des accords de principe, »5 elles sont toujours en révision et une décision n’a pas encore été prise sur le fait d’être adoptées ou non. Le Mécanisme de monitorage, qui est aussi une demande à long terme des LDC, et qu’allait suivre de près les règles de l’OMC vis-à-vis des provisions du S&DT, est toujours au niveau de « la clarté conceptuelle, mais il reste du travail à faire pour le transformer en projet fini. »6 Et puis les 6 propositions particulières d’agrément, qui concernent les Mesures sanitaires et phytosanitaires, ont déjà été confiées aux pourparlers post-Bali.
Ensuite, les 4 questions LDC : accès aux marchés hors taxe et sans quota (DFQF en anglais), règles initiales, coton et mise en œuvre de la dérogation des services LDC. La question d’accès aux marchés DFQF était déjà agréée pendant la Hong Kong Ministérielle en 2005 mais jamais actée.
Annexe F : Spécifique et différent traitement : Des Propositions spécifiques de l’LDC :
36) Décision sur les mesures pour les pays les moins développés
Nous sommes d’accord pour que les membres des pays développés vont, et que les pays en développement, déclarant qu’ils sont à même de le faire, devraient :
(a) (i) Fournir un accès aux marchés hors taxe et sans quotas de façon durable, pour tout produit d’origine de tous les LDC, d’ici 2008 ou au plus tard au début de la période de mise en œuvre, d’une façon qui garantit la stabilité, la sécurité et la prévisibilité.7
Le coton est une question et une demande des LDC qui date d’il y a longtemps, qui a été déjà agréée lors de la Déclaration de la Ministérielle de Hong Kong en 2005, et elle n’a toujours pas été actée.
11) Nous rappelons le mandat donné par les Membres lors de la Décision adoptée par le Conseil général le 1er août 2004, de traiter la question du coton de façon ambitieuse, rapide et précise, dans le cadre des négociations agricoles en relation à toute politique distordant les échanges et affectant le secteur dans les trois piliers d’accès aux marchés, au soutien domestique et à la compétitivité pour les exportations, comme cela est précisé dans le Doha texte et le Texte-Cadre de juillet 2004…
– Toute forme de subvention d’exportation pour le coton sera éliminée par les pays développés en 2006.
– Pour l’accès aux marchés, les pays développés donneront un accès hors taxe et sans quotas pour les exportations de coton aux pays les moins développés (LDC en anglais) dès le commencement de la période de mise en œuvre.8
Les règles initiales sont, encore, une demande qui date ; il s’agit des pays développés qui devraient fournir les règles initiales simplifiées et transparentes afin de faciliter l’accès aux marchés d’exportation pour les LDC.
La mise en œuvre de la dérogation pour les services des LDC est une demande pour exécuter quelque décision qui était déjà agréée. Lors de la Ministérielle de 2011 à l’OMC à Genève, les Ministres ont adopté une dérogation énonçant les règles initiales simplifiées et transparentes aux fournisseurs de services des LDC.
En réalité, toutes les demandes des LDC sont des demandes de longue date, plusieurs ayant déjà été agréées lors des Ministérielles précédentes, seulement jamais actées. Pourtant, dans son discours, Lamy a rendu responsable les LDC, disant : « Donc, le LDC Bali Package est sur le point d’aboutir, mais à ce stade, la balle est dans le camp des LDC. J’espère que les LDC seront tout à fait préparés pour avancer leurs propositions après la pause d’été ».9
Le Bali Package est énoncé comme un moyen de faire progresser les questions, par exemple sur l’agriculture et sur le traitement spécifique et différent, à propos de l’essor des pays en développement et des LDC. Mais en réalité, les pays en développement et les LDC sont en train de céder aux pays développés l’accord sur la facilitation des échanges, que les pays développés veulent réellement ; en retour les pays en développement auront des déclarations et des promesses en l’air, en échange des propositions déjà promises et agréées il y a des années. La seule demande nouvelle vient du G-33, mais il est évident que les pays développés n’accepteront pas un amendement de l’Accord agricole, au contraire ils offriront des demi-mesures et des solutions intermédiaires, qui toutes sont loin de permettre aux pays en développement de fournir une sécurité alimentaire durable aux petits agriculteurs et aux paysans pauvres.
Le retour de l’OMC signifie la résurgence du régime de libre-échange
En conclusion, les raisons majeures, pour lesquelles la 9ème Ministérielle de l’OMC et le Bali Package sont une menace pour le peuple et la planète, sont qu’elles revigorent l’OMC, font rouvrir les négociations, qu’elles ouvrent la porte à de nouvelles négociations et dans de nouveaux domaines et, enfin, qu’elles alimentent la résurgence du régime de libre-échange dans son ensemble. L’OMC a toujours été la pièce maître du régime de libre-échange, avec sa mainmise multilatérale et son pouvoir extraordinaire à faire obéir légalement les pays, et en plus à les pénaliser, afin d’appliquer les règles d’échange global. Les FTA vont aussi bénéficier du renouvellement de l’OMC car toute décision agréée au sein de l’OMC peut immédiatement être incluse dans les FTA, consistant essentiellement en l’OMC et ses accords.
Cela fait 18 ans maintenant que l’OMC a été créée. Par la suite, des innombrables cas, évidences à l’appui, ont été documentés montrant les effets négatifs du libre-échange : petits agriculteurs et paysans qui perdent leurs terres et leurs moyens de vivre à cause du « dumping » et des inondations de produits d’importation bon marchés, pêcheurs qui sont déplacés de leurs lieux de pêche traditionnelles, femmes qui sont victimes des effets néfastes sur leurs communautés, ouvriers qui perdent leur emploi ou qui sont forcés d’accepter des travaux précaires puisque les entreprises sont en compétition pour réduire leurs charges et familles qui sont forcées de migrer pour trouver un travail. Mère Nature est une victime aussi car elle est traitée comme une chose à exploiter, un produit à vendre. Les crises multiples, financière, alimentaire et environnementale peuvent être liées au régime de libre-échange et à la façon dont il a surexploité la planète, nous plongeant dans la crise climatique, empoisonnant notre nourriture et faisant de la spéculation sur les prix, les plaçant hors d’atteinte des peuples, permettant aux multinationales de tout déréguler, poussant tout le monde au bord d’une récession globale.
Les pays du G-20 se trouvent avec davantage de libre-échange, entrant dans les nouveaux domaines afin de augmenter le taux de profits de leurs multinationales comme solution de la crise. Et le retour en force de l’OMC fait partie de ce projet. Mais si nous avons de l’espoir pour nos générations futures et pour la planète, nous devons arrêter ce projet maintenant. Il n’y a pas une minute à perdre. Ce n’est plus le moment pour des demi-mesures, si nous voulons avoir une chance, nous devons changer ce système, maintenant. Nous n’avons pas besoin de davantage de libre-échange, nous avons besoin d’un nouveau système, un système basé sur une souveraineté des peuples, de la justice sociale et culturelle. Nous avons besoin d’échanges basés sur la complémentarité et la solidarité, et qui, en son sein, s’intéresse aux peuples et pas aux multinationales. Nous avons besoin d’un système agricole basé sur la souveraineté alimentaire, et non pas basé sur la culture des produits agricoles rentables pour le marché. Il y a des centaines d’alternatives venant des communautés, des mouvements sociaux, des paysans, des ouvriers, des femmes, des migrants, des pêcheurs, de la jeunesse et des activistes pour la justice économique. Un monde sans l’OMC est possible, nous avons juste le besoin de le faire réaliser.
Cest le moment de mettre fin à l’OMC
* Mary Louise Malig fait partie du personnel de la Via Campesina-Asie. Malig est aussi une politologue et a écrit sur les questions des échanges commerciaux, en particulièr sur l’Organisation Mondiale du Commerce et le G-20, et aussi sur les questions du changement climatique et de l’économie verte. Elle est co-auteur du livre, The Anti-Development State: The Political Economy of Permanent Crisis in the Philippines et elle contribue à un tome sur l’Asie du sud-est qui fait partie de la série des sept tomes de l’SEI et l’UNEP, Civic Entrepreneurship: A Civil Society Perspective on Sustainable Development et elle est auteur de nombreux autres articles.
1 http://www.wto.org/english/res_e/booksp_e/wtr13-2b_e.pdf
2 Des négociations sur l’agriculture : Meeting informel : La Présidence des discussions agricoles rapporte de modestes progrès et appelle à un automne « extrêmement ciblé ». 18 juillet 2013
3Bridges Weekly : “WTO Ag Talks chair Seeks to Reconcile Conflicting Visions for Bali”. Volume 17, Issue 15, May 2013.
4WT :MIN(05)DEC 22 December 2005 Doha Work Programme Ministerial Declaration Adopted on 18 December 2005.
5 Comité des négociations sur les échanges : Meeting formel : La voie à Bali beaucoup plus évidente qu’il y a deux mois – Lamy. 22 Juillet 2013.
6 ibid.
7WT/MIN(05/DEC 22 December 2005 Doha Work Program Ministerial Declaration Adopted on 18 December 2005.
8 ibid.
9 Comité des négociations sur les échanges : Meeting formel : La voie à Bali beaucoup plus évidente qu’il y a deux mois – Lamy. 22 Juillet 2013.