Négligence, injustice, et insensibilité – La situation des paysan·ne·s pendant la crise du coronavirus
Article publié en anglais sur le site de La Via Campesina le 22 avril 2020
Le coronavirus a mis en lumière les injustices commises contre les paysan·ne·s, les travailleur·se·s ruraux·ales et les pauvres, par les gouvernements du monde entier. La négligence et l’insensibilité dont ces groupes sont victimes sont effarantes. Les mécanismes de soutien sont inadéquats et arrivent trop tard. Plusieurs membres de La Via Campesina ont fait des déclarations qui soulignent la situation précaire dans laquelle se trouvent les paysan·ne·s et les travailleur·se·s ruraux·ales du monde entier.
L’éducation de leurs enfants est également affectée de façon disproportionnée, à cause de l’accès limité qu’ils ont à l’internet. Le secteur de la santé publique mondiale est dans un état critique, suite aux coupes budgétaires et à la privatisation de ces dernières années. Ce secteur n’a pas réussi à faire face à la pandémie du coronavirus. Les tests pour la maladie du coronavirus (COVID19) ne sont pas adéquats car les capacités sont limitées, plus particulièrement dans les pays en développement. Un manque de solidarité apparent règne entre les pays.
Aperçu de la situation générale dans les régions de La Via Campesina
Les zones urbaines sont les plus affectées par les mesures de quarantaine. En Afrique, dans les zones rurales, les gens vaquent toujours à leurs tâches : chercher de l’eau, emmener les animaux aux prés, cultiver les champs, tout en respectant une distanciation sociale entre les fermes. En Amérique centrale, en dépit des restrictions concernant les voyages, les producteur·trice·s de denrées alimentaires peuvent toujours se déplacer mais rencontrent de grandes difficultés pour accéder aux marchés locaux.
Les travailleur·se·s salarié·e·s commencent à manquer de nourriture. Des sécheresses récurrentes, causées par le changement climatique, empirent la situation. De nombreux pays en Afrique et en Amérique latine, n’ont pas connu les précipitations de pluie nécessaires en 2019. Les gouvernements nationaux et locaux en Asie de l’Est et du Sud Est commencent à mettre en place des programmes d’aides d’urgence pour les pauvres. Les conditions de la classe ouvrière sont précaires.
L’Europe a été affectée différemment. Des pays comme l’Italie, la France et l’Espagne sont les plus affectés, l’Allemagne, jusqu’à un certain point. Tous les pays sont en confinement. L’Espagne, l’Italie et la France ont imposé les mesures de confinement les plus rigoureuses. La santé publique a atteint ses limites. L’Italie était seule pour confronter la pandémie et cela a mis beaucoup de pression sur le système de l’UE.
La militarisation a augmenté dans certaines régions (en Amérique centrale par exemple) ainsi que le crime et la criminalisation. Certains gouvernements profitent de la crise pour renforcer la militarisation et instaurer l’autoritarisme. Aux Philippines, le président a demandé que ceux qui n’obéissent pas aux mesures de confinement soient fusillés.
En Amérique du Nord, les USA ont été les plus affectés. Les populations vulnérables (les travailleur·se·s migrant·e·s, les travailleur·se·s ruraux·ales, les pauvres, les prisonniers, etc.) sont les plus affectés. La faim est généralisée aux USA. Le nombre des sans-emploi atteint des millions.
Aux Caraïbes, Haïti se trouve dans une situation d’insécurité croissante et d’inflation galopante. Le système de la santé est sur le point de s’effondrer. Le pays, enlisé dans de longs conflits, manque des facilités et des services de base nécessaire à la distribution d’eau et aux installations sanitaires. Rester à la maison pendant le confinement est très difficile et beaucoup de personnes risquent de mourir de faim.
Cuba promeut la solidarité et a envoyé du personnel médical et des médicaments pour aider les autres pays (Nicaragua, Italie, etc.) à lutter contre le coronavirus. L’Association nationale de petit·e·s Agriculteur·trice·s (ANAP) de Cuba œuvre, avec les professionnels de la santé, à l’organisation de camps médicaux afin de sensibiliser ses membres et ses communautés. Au Honduras, les communautés partagent des remèdes traditionnels car le système de santé publique leur fait défaut.
En Asie du Sud et en Amérique latine, les cas de violences conjugales, affectant particulièrement les femmes et les enfants, ont augmenté. Mexico a enregistré le taux le plus élevé de violences conjugales y compris les féminicides.
Les marchés paysans ont été fermés soudainement, peu ont réouvert
Bien que les paysan·ne·s produisent la plus grande partie de l’alimentation consommée mondialement, les marchés paysans ont été fermés pendant le confinement sous le prétexte d’arrêter la propagation du coronavirus, alors que les grandes surfaces et les supermarchés sont autorisés à ouvrir. De nombreux paysan·ne·s ont moins de points de vente. Des tonnes de produits frais pourrissent dans les champs, certains sont confisqués et détruits par les autorités dans le but de dissuader tout mouvement de la population. Cependant, certains gouvernements (le Zimbabwe et l’Afrique du Sud, par exemple) ont assoupli les règles afin de permettre aux marchés paysans urbains de rouvrir. Ces pays mettent en place des mesures pour coordonner la collecte et la distribution des produits fermiers.
Les supermarchés et les grands agriculteurs industriels ont bénéficié de manière disproportionnée des programmes de soutien des gouvernements. Tel est le cas dans la plupart des pays en Afrique, en Europe, en Asie et aux Amériques. Le Canada et les États Unis ont mis en place des mesures qui évitent la fermeture des grandes fermes et assure la livraison des produits.
Au Japon, un pays qui dépend d’importations alimentaires bon marché, les citoyen·ne·s se sont rendus compte de la vulnérabilité de leur système alimentaire. C’est une opportunité pour renforcer l’appel à la souveraineté alimentaire. En Corée du Sud, les paysan·ne·s ont du mal à trouver un marché pour vendre leurs produits. Ils fournissaient les écoles locales qui sont maintenant fermées. Il en est de même pour les paysan·ne·s au Japon. Le syndicat des femmes paysannes coréennes et d’autres organisations demandent des compensations au gouvernement.
En Europe, beaucoup de municipalités ont fermé les marchés paysans, ainsi que les restaurants et les cantines. Les membres de la coordination européenne de La Via Campesina (ECVC) demande la réouverture des marchés. Certains ont même demandé aux supermarchés de vendre des produits paysans locaux. Les travailleur·se·s des supermarchés sont également dans des situations difficiles car ils sont exposé·e·s à la contagion, certain·e·s se sont déclarés en grève. En France, une campagne est en cours pour la réouverture des marchés paysans de plein-air et pour le développement de directives dans un contexte de COVID19. L’une des demandes politiques est la réglementation des prix et des secteurs.
Au Panama et au Honduras, la pénurie alimentaire mène à une augmentation de la spéculation. Cependant tous les gouvernements n’ont pas imposé de rigoureuses restrictions. L’Indonésie, la Malaisie et le Timor oriental laissent les paysans travailler dans les champs et porter leurs produits aux marchés. En Indonésie, le SPI a demandé à ses membres de maintenir la souveraineté alimentaire, de continuer à produire et à satisfaire les besoins de la population.
Exploitation et insensibilité devant la détresse des travailleur·se·s migrant·e·s, saisonniers ou occasionnels
Des pays comme l’Espagne et l’Allemagne dépendent des travailleurs migrants saisonniers pour les travaux agricoles. La plupart des travailleur·se·s viennent d’Europe de l’Est (Bulgarie et Roumanie, etc.). Le Royaume-Uni et la France demandent à leurs citoyen·ne·s de combler les manques de main d’œuvre, mais avec un succès limité. La plupart des populations de l’Europe de l’Ouest évitent les travaux agricoles car ils sont mal payés et ne respectent pas les droits fondamentaux. La Roumanie a affrété des avions payés par les grandes entreprises de l’agro-alimentaire en direction des pays européens de l’ouest. Cette attitude présente beaucoup de problèmes éthiques. Les travailleur·se·s migrant·e·s résident dans des “camps” dépourvus de services essentiels et dans des conditions très précaires. Le Portugal a décidé de régulariser tou·te·s les migrant·e·s sans papier afin de pouvoir faire la récolte et éviter des pertes. Ces travailleur·e·s migrant·e·s, saisonniers n’ont ni protection sociale ni sécurité et ils sont bien plus susceptibles d’être infectés par le COVID-19. Il est temps maintenant de dénoncer le modèle agricole et l’exploitation des travailleurs migrant·e·s et saisonnier·ère·s et les injustices actuelles. ECVC prépare un document sur le travail agricole à envoyer à la Commission européenne.
Au Maroc, la Fédération nationale du secteur agricole (FNSA) a souligné que les conditions de compensation pour les travailleurs qui avaient perdu leur emploi à cause de la pandémie excluent des centaines de milliers de travailleur·se·s agricoles, de travailleur·se·s des stations d’emballage et de pêcheurs. La FNSA demande qu’ils soient compensés et qu’une protection adéquate soit fournie à ceux qui continuent à travailler sur les fermes.
En Inde, le confinement a été si précipité que les gens ont eu peu de temps pour s’y préparer ou pour retourner dans leur village. Les plus affectés ont été les millions de travailleur·se·s occasionnel·le·s, de migrant·e·s et les sans domicile des grandes villes. Ces groupes de personnes auraient eu besoin du temps nécessaire pour retourner dans leur village. Seuls certains d’entre eux ont pu le faire, des millions sont retenus dans les villes sans revenu ni nourriture. La situation est désastreuse. Certain·e·s travailleur·se·s agricoles en sont réduits à faire à pied des centaines de kilomètres pour aller travailler dans les champs. Des milliers de Népalais travaillant en Inde, risquent leur vie quand ils traversent les frontières et les rivières pour rentrer chez eux. Au Bangladesh, les travailleur·se·s agricoles et les travailleur·se·s occasionnel·le·s du secteur informel sont aussi affecté·e·s, ils ont besoin d’aide urgente sous forme d’un revenu garanti et d’un soutien financier sans condition.
Le manque d’accès à un logement décent accentue la détresse des plus vulnérables
Au Bangladesh, tout comme en Inde, la plupart des gens n’ont pas accès à un logement décent, la prévention contre le COVID-19 y est encore plus difficile. L’accès des pauvres aux services de santé est difficile car ces derniers sont privatisés. C’est également le cas dans certains pays d’Afrique tels que le Kenya et l’Afrique du Sud. Ils ont aussi une très grande population qui vit dans des bidonvilles.
Fin des paiements venant de l’étranger
Les restrictions concernant les voyages font que les familles à faible revenu ne peuvent plus toucher les payements envoyés par les membres de leur famille dans la diaspora. La plus grande partie du revenu de nombreuses familles au Népal, au Pakistan, et au Bangladesh, provient des paiements envoyés par des travailleur·se·s dans les pays européens ou au Moyen Orient. Pour ces immigrant·e·s, continuer à supporter leur famille relève du défi.
Le racisme, la xénophobie, et l’islamophobie sont en hausse
Profitant de la confusion et de la panique, des politiciens de droite attisent l’islamophobie et la xénophobie. Beaucoup de travailleur·se·s migrant·e·s dont les traits ressemblent aux Chinois, sont victimes d’attaques racistes, dans les états du Nord-Est de l’Inde. Les conflits dus aux castes complexifient la situation car la plupart des sans-logis et des journaliers appartiennent aux castes les plus basses. Le coronavirus étant associé aux Chinois les attaques sur les Asiatiques se multiplient aux USA. Il est probable que de telles attitudes s’étendent à l’Afrique suite à de récents rapports sur les mauvais traitements infligés à des Africains alors que les autorités imposaient des régimes de test plus rigoureux.
Promotion de la souveraineté alimentaire pour lutter contre le COVID-19 en Palestine
Israël, puissance d’occupation, n’est pas tenue responsable des vies des 300.000 personnes qui résident dans les zone C. Elle ignore cette responsabilité primaire envers les droits à la santé des 50.000 Palestiniens qui travaillent dans les secteurs israéliens de l’industrie, de l’agriculture, de la construction et des services. La pandémie de COVID-19 arrive dans un contexte de sécurité alimentaire fragile dans lequel environ un tiers de la population n’a pas les moyens de se procurer une alimentation nutritive, surtout quand le chef de famille est une femme. L’Union des comités d’action agricole (UAWC) considère qu’il est temps de promouvoir la souveraineté alimentaire et de maintenir la sécurité alimentaire avec une alimentation nutritive pour le peuple palestinien. UAWC a lancé une campagne : « Retourner à votre terre et cultiver la ». Il est prévu de distribuer plus de 300.000 semences de légumes aux habitants de la zone C et dans d’autres zones de la Cisjordanie. Jusqu’à présent, environ 158.000 semences ont été distribuées, début avril dans 1900 jardins de 55 communautés rurales.
Au Kenya, le syndicat paysan (Kenyan Peasant League) a distribué et fait la promotion des semences locales. EcoRuralis, membre de ECVC en Roumanie a distribué des semences pour aider les paysan·ne·s en Roumanie et en Hongrie.
Solidarité pratique
Au Bangladesh, la Fédération des travailleurs agricoles (Bangladesh Agricultural Farm Labour Federation BAFLF) travaille sur le terrain à l’organisation des travailleur·se·s migrant·e·s et à la distribution de rations alimentaires. Au Pakistan, l’organisation paysanne (Pakistan Kissan Rabta Committee PKRC) met en place un programme d’aide aux travailleurs agricoles et aux pauvres urbains qui distribue des rations alimentaire et d’autres produits essentiels.
En Inde, les organisations paysannes Bhartiya Kisan Union (BKU), Karnataka Rajya Raitha Sangha (KRRS) et Tamilaga Vivasaiyagl Sangham (TVS) travaillent avec les autorités locales afin de résoudre les problèmes d’accès aux marchés paysans règlementés. Ils ont fait appel à la solidarité de la population pour aider les travailleur·se:s agricoles en leur donnant des céréales et des légumes, ainsi que les migrant·e·s qui ne pouvaient pas rentrer chez eux. Ils encouragent des systèmes de troc dans les villages.
Au Sri Lanka, le Mouvement pour la réforme agraire et rurale (MONLAR) demande au gouvernement de soutenir les paysan·ne·s et les travailleur·se·s agricoles en leur fournissant des rations alimentaires et des subventions et d’empêcher les plantations d’employer les travailleur·se·s de force.
Au Brésil, Le mouvement des travailleurs ruraux sans terre (Movimento dos Trabalhadores Rurais sem Terra MST) a distribué l’alimentation produite par ses coopératives aux hôpitaux et aux personnes dans le besoin pendant la crise du COVID-19. Plus de 500 tonnes de nourriture saine venant de leurs campements et de leurs fermes, ont été distribuées dans le pays entier par des équipes de paysans sans terre. Ce que le MST a fait, démontre clairement les bénéfices et les résultats de la réforme agraire populaire.
Education
Les enfants de paysan·ne·s sont affectés de façon disproportionnée par la fermeture des écoles causée par les mesures de confinement. Bien que certains enfants puissent continuer à étudier en ligne, la plupart des paysans n’ont pas accès aux technologies de l’information et de la communication. Le MST et l’Institut Latino-Américain d’agroécologie se sert de la radio pour communiquer et organiser des activités scolaires. Beaucoup d’autres membres de La Via Campesina œuvrent à sensibiliser les paysan·ne·s et les communautés rurales sur le COVID-19. À Porto Rico, l’Organisation Boricuá d’agriculture écologique a préparé un graphisme d’information sur les recommandations sanitaires relatives au COVID-19 afin de sensibiliser les paysans pour qu’ils continuent à produire de la nourriture en sécurité.
Continuer la lutte pour un futur meilleur et la souveraineté alimentaire
Le 17 avril, Journée internationale de la lutte paysanne, La Via Campesina a mobilisé ses membres, ses alliés et ses amis pour organiser des actions sur le thème : #RestezChezVousMaisPasEnSilence pendant le confinement du COVID-19. Ce jour-là, La Via Campesina célèbre la mémoire de #EldoradoDosCarajás au Brésil et continue le combat contre le monde des grandes entreprises et l’impunité des états. Pour La Via Campesina, les droits paysans sont importants dans la construction d’un futur meilleur fondé sur les principes de la souveraineté alimentaire. Il faut donc renforcer et rebâtir les systèmes alimentaires locaux et élaborer un nouveau modèle de relations économiques et sociales fondées sur la dignité, l’équité et la solidarité.
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