Maroc : Une organisation syndicale de petits paysans tente de se mettre en place.
Les mouvements paysans sont peu médiatisés au Maroc : isolés dans leurs localités, éloignés des villes, ils n’attirent pas la presse. Pourtant les populations rurales, les petits paysans qui pratiquent une agriculture de subsistance, ceux qui ne trouvent pas leur compte dans le modèle productiviste, tentent tant bien que mal de défendre leurs droits d’accès à la terre et à l’eau.
Parmi les exemples actuels de résistances, citons celui de la localité (douar) de Chlihat, dans le nord du pays, entre les villes de Larache et de Ksar Lkbir. En juin 2012, elle a été le site d’évènements très violents. Le douar est entouré de terres qui permettent aux habitants de subvenir à leur besoins. Dans une région au fort taux de chômage et où l’espoir d’un revenu se trouve au-delà de la Méditerranée, cette petite agriculture est salutaire. Or une entreprise espagnole productrice de riz exploite les terres au-delà du village, gagnant de plus en plus sur les terrains des villageois. La production industrielle de riz emploie très peu de personnes et crée beaucoup de désagréments, les moustiques par exemple (la culture du riz demande beaucoup d’eau). Quand l’entreprise a décidé de réquisitionner les terres des villageois, une marche de contestation s’est organisée. Elle a été fortement réprimé : 2000 soldats ont encerclé le douar et violemment maté la contestation. Une vingtaine d’arrestations ont eu lieu, de nombreuses personnes ont vécu plusieurs jours dans la forêt par peur de la répression. Mais la lutte n’est pas terminée.
A l’autre bout du pays, au sud, le douar d’Aoulouz est un cas emblématique de la gestion inéquitable de l’eau, ressource cruciale au Maroc. Depuis vingt ans et la construction d’un barrage à quelques centaines de mètres en amont du village, l’accès à l’eau est bouleversé. En 2001, une association d’usagers spécifique aux agriculteurs du secteur a été mise en place, mais de nombreux paysans ont refusé de la rejoindre, empêchés d’utiliser cette eau pour l’irrigation de leurs cultures. Contestant le président de l’association, ils ont mené manifestations et sit-in. En 2008, leurs protestations ont été réprimées, avec à la clé des arrestations. Depuis, la situation n’a que trop peu évolué pour les paysans qui tentent toujours d’imposer la mise en place d’une autre association, indépendante des pouvoirs féodaux locaux.
Une vraie organisation nationale des paysans marocains manque encore sur le terrain et dans le réseau mondial de la Via campesina. Mais elle est en gestation.
La Fédération nationale du secteur agricole (FNSA) a été fondée en mai 1991. Filiale de l’UMT (Union marocaine du Travail), elle se définit comme organisation de masse et syndicat de classe. Aujourd’hui, la FNSA est majoritaire au sein de la fonction publique, des établissements et des sociétés d’état, et représente 30% des délégués des salariés agricoles.
Elle se fixe aussi pour objectif d’organiser syndicalement les petits paysans (plus d’1,5 million, dont 80% disposent de moins de 2 hectares de terre), condamnés définitivement par la mise en place du plan Maroc vert *. Challenge difficile s’il est tenté en solitaire, compte tenu du déficit de confiance des paysans envers l’administration et ceux qui de près ou de loin la représentent et sont perçus parfois comme des vecteurs des directives de la royauté. En revanche, des initiatives d’associations regroupant les paysans autour de réseaux d’entraide ou de collecte qui permettent l’émergence d’un discours revendicatif collectif associées à celles de la FNSA seront porteuses d’avenir pour imposer le respect des droits de tous les travailleurs de la terre, quels que soient leurs statuts.
Et les rencontres que la Confédération paysanne pourra continuer à organiser à l’instar de celle d’octobre 2012 appuieront la construction d’un mouvement paysan en Afrique du Nord.
Article paru dans Campagne Solidaire n°281
*http://www.economia.ma/fr/numero-08/e-revue/qui-dicte-les-strategies-d-etat
*A l’origine de ce plan, le cabinet conseil Mc Kinsey, groupe américain installé au Maroc au début du siècle…. le FMI et ses impératifs de modernisation/liquidation ne sont pas loin…