Maroc : le développement à marche forcée de l’agriculture industrielle
(Agadir, Octobre 2012). Depuis près de dix ans, le groupe de travail migrants-saisonniers de la Confédération paysanne suit l’évolution de l’industrialisation de l’agriculture et sa délocalisation. Un voyage au Maroc du 14 au 20 octobre a permis de constater que les droits des travailleurs et des paysans y sont bien bafoués.
Agadir. Cliché : soleil, longue plage de sable fin, soirées débridées. Plus méconnue en revanche est la réalité dramatique que nous découvrons: le Souss, dans la région d’Agadir, est le théâtre d’une nouvelle forme d’esclavagisme au service d’investisseurs dans l’agriculture industrielle d’exportation. Ici sont cultivés à grande échelle légumes sous serres et agrumes qui viendront inonder les marchés européens.
La population de la ville de Khmiss Ait Aamira a quadruplé en 25 ans, avec l’arrivée d’environ 40000 travailleurs agricoles. Elle concentre tous les effets de l’exploitation humaine. Les ouvrier(e)s, que nous rencontrons là, sont syndiqué(e)s au sein de la Fédération nationale du secteur agricole (FNSA). Dans les fermes comme dans les unités de conditionnement, le travail est précaire, sans assurance d’en avoir à nouveau le lendemain. Moins de 20% des ouvriers auraient un contrat de travail légal, avec déclaration à la Caisse nationale de sécurité sociale. Le salaire est dérisoire, entre 3 et 5 euros par journée, pour souvent plus de 8 heures. Le logement est étriqué et insalubre.
Un militant de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) nous explique que l’accueil de cette population n’a pas été géré: les services sociaux sont surchargés, l’enseignement et la santé dérisoires et insuffisants. La santé ? Celle des ouvriers agricoles est exposée à des conditions de travail dangereuses, notamment par l’utilisation sous serre et sans protection de pesticides puissants. La FNSA exige plus de sécurité et de contrôles. Les moyens de transport pour acheminer le personnel sur les fermes sont également risqués, et les accidents nombreux.
Accueillis par les bénévoles de l’association Femmes du Sud qui viennent en aide aux femmes victimes de violence, nous mesurons l’ampleur d’un phénomène lié à la misère tant matérielle que morale : les actes de harcèlements sexuels et de viols sont monnaie courante, et la prostitution devient un moyen pour beaucoup d’ouvrières de compléter leur maigres revenus. Le constat est affligeant, les témoignages graves.
Ce n’est malheureusement pas auprès de l’État marocain que les travailleurs peuvent espérer trouver protection. Le royaume choisit, sous la bienveillance des grandes organisations internationales (FMI, Banque Mondiale…), de privilégier les exportateurs et les nombreux investisseurs français ou espagnols. Parmi ceux-là, des multinationales (Syngenta, Maïsadour…) et agromanagers séduits par l’opportunité de produire à bas coûts. La direction régionale de l’Agriculture nous reçoit, mais elle peut difficilement taire les véritables objectifs du plan Maroc Vert, le projet agricole national pour dix ans: les moyens de productions (foncier, eau, subventions) vont en priorité aux exportateurs !
« Mets ton pays dans ton cœur et cherche la fortune ailleurs », dit le proverbe que rappelle Saaidi. Petit paysan du nord du Maroc, il a rejoint le Souss pour tenter de gagner de quoi vivre, comme la grande majorité des travailleurs agricoles ici présents. Son rêve: retourner chez lui. Il est partagé par un groupe de Sénégalais ayant vécu une sale expérience dans les fermes d’un « investisseur » français, Jean-Jacques Soret, venu comme d’autres profiter du régime marocain, autoritaire et répressif, qui n’hésite pas à jeter dans ses geôles grévistes et syndicalistes. La menace est quotidienne d’être licencié et de rejoindre le mouquef (marché aux travailleurs) qui réunit au petit jour des centaines de personnes venues vendre à bas prix leur force de travail.
Les militants syndicalistes et associatifs rencontrés sont déterminés, portés par les événements du printemps arabe. Outre une coordination efficace, ils en appellent à une solidarité internationale pour – ici et ailleurs – en finir avec ces zones de non-droit où les criminels usent et abusent d’hommes et de femmes pour satisfaire leur soif de profits.
Alors que Fnsea et consorts hurlent à la compétitivité, il est des réalités qui nous renforcent dans nos convictions: défendre le respect des droits, c’est aussi défendre l’agriculture paysanne !
Romain Balandier, paysan dans les Vosges. article paru dans Campagnes Solidaires N° 279