Déclaration de la IVème Assemblée des Femmes – Djakarta, Juin 2013
Manifeste international des femmes de LVC
Télécharger ici le manifeste. Nous sommes des femmes paysannes du monde entier qui, au cours des 20 dernières années de la Via Campesina, avons travaillé avec ténacité pour construire un mouvement universel, vaste, démocratique, engagé politiquement et socialement dans la défense de l’agriculture paysanne, la souveraineté alimentaire et la lutte pour la terre, les territoires, la justice, l’égalité et la dignité des femmes et des hommes du monde rural.
Nous sommes des femmes de divers continents et cultures, avec des histoires et des luttes communes, pour la vie, pour notre propre émancipation et celle de nos peuples, unies devant l’impératif éthique et politique de défendre le droit à l’alimentation, l’agriculture paysanne, la défense de la biodiversité, du patrimoine naturel; une lutte pour mettre fin à toute forme de violence, situation aggravée par un système économique capitaliste et patriarcal.
« La Via Campesina est un mouvement où les femmes comme les hommes jouissent de la même égalité et valeur »
Ceci reste clairement établi suite aux conclusions de notre IIIe Conférence internationale à Bangalore. La Via Campesina, suite à un changement structurel, s’assure que les femmes et les hommes du monde rural partagent des responsabilités de manière égale dans le mouvement, et ce, en cherchant à renforcer des processus ouverts et démocratiques à l’intérieur de toute sa structure internationale.
Nous remettons ce Manifeste et positionnement politique aux femmes du monde entier et à notre VIe Conférence internationale de la Via Campesina, comme contribution aux délibérations, au travail, à la mobilisation et aux luttes que nous développons partout dans le monde. Avancer dans l’unité et l’action pour une intégration entière des femmes dans les mêmes conditions, quels que soient leurs milieux politiques, économiques, sociaux, et culturels. Mettre fin aux discriminations qui affectent nos vies quotidiennes, dans les zones rurales et les communautés autochtones, est une tâche de toutes et tous.
Depuis deux décennies, de profonds changements se sont produits quant aux conditions de vie des femmes paysannes partout dans le monde. L’avancée du capitalisme dans le milieu rural et l’appropriation par les multinationales de la production agroalimentaire ont amené des millions de paysans et paysannes à intégrer le travail salarié, entraînant de forts processus migratoires, des déplacements forcés, des terres perdues. L’émigration des femmes de la campagne est étroitement liée à l’appauvrissement et à la violence que subissent les femmes et les filles. Au regard des discriminations qu’elles vivent dans les pays d’accueil, leur situation est très grave. Mais en même temps elles assurent l’entretien de leurs familles, dans de nombreux cas, ce sont elles qui fournissent le principal soutien et pourvoient aux besoins économiques des foyers paysans.
Ces changements ont demandé une restructuration de la famille ; la femme devant dorénavant assumer les responsabilités principales quant à la survie économique du foyer.
Faire face à cette réalité constitue un des objectifs fondamentaux de la lutte des femmes et de l’ensemble de la Via Campesina. Notre position principale pour en finir avec l’injustice dans le monde est de rompre le cercle de la pauvreté et de permettre aux paysannes et paysans de disposer du lieu qui leur convient afin de garantir une alimentation suffisante et équilibrée pour les peuples, en reconnaissant le rôle fondamental des femmes dans la production alimentaire.
Néanmoins, il est frappant de constater que la pauvreté est loin d’être réduite, et même qu’elle augmente dans la plupart des pays. Certaines études des Nations unies et de la Banque mondiale indiquent que nous n’avons pas réussi à inverser la situation : la détérioration de la situation et l’écart de la distribution des richesses se sont accentués, alors que les zones rurales présentent un sombre panorama et qu’augmente la pauvreté extrême, et que les femmes continuent à être celles qui en subissent les effets les plus dramatiques.
En finir avec ces inégalités inacceptables tant ethniques, que de classe et de genre, affectant des millions de femmes dans le monde, ainsi qu’avec le fléau de la faim et de la violence, est une lutte permanente que les gouvernements et parlements du monde doivent prendre en compte au moment de légiférer et d’adopter des lois cherchant à garantir des conditions de vie décentes pour les femmes rurales et leurs communautés partout dans le monde.
L’accès à la terre, un de nos droits fondamentaux.
« Pour nous, paysannes et paysans, la terre est non seulement un moyen de production mais aussi un espace de vie, de cultures et d’émotion, d’identité et de spiritualité. De ce fait, elle n’est pas une marchandise, mais plutôt une composante fondamentale de la vie elle- même. L’accès à la terre est donc un droit inaliénable reconnu dans les systèmes de propriété foncière; accès et jouissance étant définis par chaque peuple ou nation ».
L’égalité des hommes et des femmes en ce qui concerne l’accès à la terre est un objectif fondamental pour vaincre la pauvreté et la discrimination. Supposer que l’accès à la terre se doit de passer par le marché et la propriété privée individuelle est loin de représenter les visions et les aspirations des femmes autochtones et paysannes.
Les femmes demandent une Réforme agraire intégrale avec leur pleine participation et intégration tout au long du processus de distribution des terres, garantissant ainsi leur accès non seulement à la terre, mais aussi aux instruments et aux mécanismes dans des conditions égalitaires, comprenant une valorisation juste de leur travail productif et reproductif, où l’espace rural nous garantit une vie digne et juste. Nous exigeons de cette Réforme :
- Qu’elle protège et divulgue nos manières de faire et de perfectionner l’agriculture, nos semences, nos marchés, nos aliments, ainsi que nos savoirs, notre science et notre technologie.
- Qu’elle impulse et élabore des programmes et des politiques publiques adéquates à nos cultures et nos modes de vie, et des ressources qui assurent la viabilité de la production paysanne, garantissant la souveraineté alimentaire et les droits des paysannes et paysans à la justice sociale.
De cette manière l’accès à la terre pour nous passe par une Réforme agraire intégrale qui développe un modèle de gestion mettant au premier plan la fonction sociale de la terre et les pratiques paysannes et indigènes d’usage et de production, garantissant ainsi les besoins humains à l’alimentation comme étant un droit fondamental à la vie.
Souveraineté alimentaire via la Justice pour les femmes
« Afin de conserver la dignité et la terre, afin de maintenir vivante et intègre la production alimentaire, afin de retrouver l’autosuffisance alimentaire au degré le plus élevé possible, afin de défendre l’accès à l’eau, afin de mettre en pratique la Souveraineté alimentaire, il est grand temps pour nous de valoriser dans toutes ses dimensions le rôle des femmes dans le développement de nos agro-cultures ».
Notre lutte et mobilisation pour la Souveraineté alimentaire a donné aux femmes l’opportunité de reconnaître leur participation historique dans le développement des systèmes alimentaires dans le monde et le rôle qu’elles ont joué depuis la naissance de l’agriculture. En récoltant et propageant les semences, en protégeant et sauvegardant la biodiversité et les ressources génétiques, les femmes représentent l’un des principaux piliers affectif, éthique et social de la souveraineté alimentaire.
Devant nous « se tiennent l’industrie de transformation alimentaire, les grandes chaînes de supermarchés, qui standardisent la production et concentrent une bonne partie de la richesse générée par le secteur… La résistance et l’alternative à cette standardisation des produits se situent dans la diversification alimentaire et dans d’autres formes de relation et de consommation, où les productrices et les producteurs voient leur travail valorisé, où les consommatrices et consommateurs ont des salaires suffisants et dignes afin de pouvoir obtenir les aliments de leur choix. » (Mirian Nobre à Nyéléni)
Sous l’égide du principe : « l’alimentation n’est pas une question de marché, mais de souveraineté », nous avons défini nos droits souverains à décider et à organiser la distribution, l’échange et la consommation des aliments en quantité et en qualité, en relation avec nos possibilités et nécessités, en priorisant des axes solidaires, culturels, sociaux, de santé et de bien-être de nos familles et des communautés paysannes et autochtones.
Nous pouvons affirmer que nous avons assumé avec ténacité la lutte et l’exercice de la Souveraineté alimentaire. Un des objectifs planifiés, auquel nous avons ardemment travaillé, a été de « regrouper nos savoirs afin de sauvegarder nos semences, les multiplier, en prendre soin, les échanger pour qu’elles circulent, croissent et se multiplient dans nos campagnes sans obstacles ni agressions »; en opposition avec la propriété intellectuelle, les règles de certifications, les organismes génétiquement modifiés (OGM) et les produits agrochimiques.
De surcroît, notre position tend à revaloriser les relations de travail et de pouvoir dans les familles et dans les mouvements eux-mêmes ; à valoriser le caractère économico-productif du travail des femmes dans la production alimentaire. Des processus personnels et collectifs sont nécessaires pour valoriser les apports économiques de notre travail dans l’agriculture contribuant ainsi à l’économie familiale et aux indicateurs macro-économiques des nations.
Nous sommes certaines que l’initiative la plus significative et révolutionnaire de la Via Campesina a été de proposer le concept de la Souveraineté alimentaire en réponse à la FAO et aux gouvernements qui prétendent chercher une solution à la faim dans le monde à travers la Sécurité alimentaire. Par Sécurité alimentaire, on entend en effet de pouvoir disposer de denrées alimentaire et d’avoir les moyens économiques de se les procurer mais en pensant que la solution au plus grand fléau dont souffre plus d’un milliard d’être humain sur la planète passe par le marché
Nous luttons contre le néolibéralisme, le patriarcat et pour nos droits.
« Les femmes, créatrices historiques de savoirs en agriculture et en alimentation, produisent encore 80% des aliments dans les pays les plus pauvres. Actuellement, elles sont les principales gardiennes de la biodiversité et des semences cultivées, elles sont aussi les plus affectées par les politiques néolibérales et sexistes » (Déclaration des femmes de Nyéléni)
Les politiques d’ajustements néolibérales ont aggravé les conditions d’oppression et de discrimination, et ont augmenté les situations de violences contre les femmes et les jeunes filles des zones rurales. De plus, celles-ci ont provoqué précarité et instabilité dans le travail des femmes, ainsi que le manque de protection sociale, alors que ces femmes sont exploitées avec des journées de travail de plus en plus longues. Ces femmes vivent dans un climat de violence qui affecte leur dignité.
Nous réaffirmons donc que la lutte anticapitaliste et antipatriarcale doit s’allier à la lutte pour l’égalité entre les sexes et contre l’oppression des sociétés traditionnelles et modernes sexistes, individuelles et consommatrices basées sur la domination du marché. Notre projet politique est d’avancer vers une nouvelle vision du monde, fondée sur les principes de respect, d’égalité, de justice, de solidarité, de paix et de liberté, en luttant ensemble pour :
- Développer des actions et outils concrets et immédiats pour éradiquer les pratiques violentes et sexistes, les agressions physiques, verbales et psychologiques, au sein de nos organisations, nos familles et toutes la société ;
- L’égalité des genres et la fin de la discrimination;
- Le combat incessant contre toutes formes de violence dans le monde rural, contre la militarisation croissante et la criminalisation des mouvements et des luttes sociales dans la plupart des pays du monde, notamment par des lois antiterroristes utilisées à l’encontre des paysans et indigènes, premières victimes des pires attaquent et abus commis au nom de la Loi.
- Nous sommes déterminées à nous mobiliser et à lutter pour la justice, l’égalité et la paix dans nos territoires et dans le monde.
- Élaborer les propositions et les plans d’action nécessaires à notre mouvement afin d’améliorer le processus de formation socio-politique et technique, et ce, à l’aide de méthodes pédagogiques orientées qui fassent prendre conscience des visions politiques et culturelles empêchant d’arriver à une égalité des sexes;
- Renforcer les mécanismes de participation des femmes rurales dans la formulation des propositions de politiques publiques et de programmes tant internes qu’externes qui garantissent les ressources pour leur développement, tant au niveau local et global qu’à la gestion de celles-ci, permettant ainsi un accès plus large à l’éducation et à la technologie.
Affronter le patriarcat implique une reconnaissance des privilèges et des mythes de supériorité masculine, sensibiliser ceux qui enseignent l’histoire aux femmes afin de pouvoir valoriser celles-ci. Jusqu’à maintenant, les femmes ont assumé le leadership, mais une implication égalitaire est nécessaire. Il nous faut donc passer des déclarations à des pratiques concrètes. Nous, paysannes, sommes convaincues que l’avenir est prometteur. Il est impossible de reculer sur les avancées et les triomphes déjà obtenus, encore moins sur la conscience acquise des femmes. Lutter pour la « Souveraineté de la terre, du territoire et du corps », c’est dire non à toute forme de violence faite aux femmes.
Pour ces raisons, notre Assemblée, stimulée par les débats des femmes de l’Amérique Latine et leur processus d’élaboration d’une proposition politique pour construire les bases du « Féminisme Paysan et Populaire », s’est donné également le défi d’élargir ce débat au niveau international dans les organisations de La Via Campesina.
SEMEUSES DE LUTTES ET D’ESPOIRS,
POUR LE FÉMINISME ET LA SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE
Jakarta, Indonésie, 7 juin 2013