LVC SEAf condamne la récente criminalisation des échanges de semences traditionnelles en Tanzanie

Communiqué de presse de LVC SEAf

Harare: 16 janvier 16, 2017

Les derniers rapports faisant état des lourdes amendes ou des longues peines d’emprisonnement auxquelles s’exposent les paysan-ne-s tanzanien-ne-s en poursuivant les échanges de semences traditionnelles en dehors des zones prescrites par le gouvernement ne sont pas une surprise pour La Via Campesina Afrique australe et orientale (LVC SEAf) et ses alliés. Ils viennent plutôt confirmer nos craintes et ce que nous dénonçons : les systèmes réglementaires d’harmonisation semencière voulus par l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA)[1], la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition[2], le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA)[3] et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC)[4]. Suite au tollé des organisations de la société civile, des consultations avec les petits paysans et leurs différentes associations avaient été organisées à la dernière minute et de façon très limitée. À cette occasion, nous avions alerté sur le fait qu’une harmonisation des politiques semencières destinée à promouvoir l’industrie des semences commerciales aboutirait à la criminalisation des systèmes semenciers paysans traditionnels, lesquels reposent, notamment, sur la possibilité d’échanger librement les semences.

La Tanzanie est le premier pays de la région à tâter le terrain pour voir si une mobilisation des acteurs concernés déclencherait un vaste mouvement de contestation sociale, non seulement sur ce territoire mais aussi dans d’autres pays africains, qu’ils soient signataires des systèmes d’harmonisation ou partenaires de la Nouvelle alliance. Si la contestation ne parvient pas à faire boule de neige, on peut alors s’attendre à ce que d’autres gouvernements, à la suite de l’exemple tanzanien, prennent des décisions similaires, ouvrant ainsi la voie à une criminalisation généralisée des systèmes d’échange de semences paysannes.

« La Tanzanie a pris la tête des efforts visant à criminaliser les échanges de semences traditionnelles ; il faut une réponse forte de la part des petits agriculteurs et leurs alliés », a déclaré Elizabeth Mpofu, leader paysanne du ZIMSOFF et coordinatrice générale de La Via Campesina. « Nous allons utiliser toutes les voies possibles, notamment interpeler nos gouvernements sur la scène internationale au niveau des agences onusiennes à Rome et à Genève, saisir la FAO et le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies », a-t-elle ajouté.

Elizabeth Mpofu a également souligné la nécessité de mener de larges campagnes de sensibilisation et d’éducation pour promouvoir les régimes alimentaires traditionnels auprès des populations urbaines en rapide croissance, ces dernières représentant en effet le terrain de bataille et le grand marché convoité par les grands groupes de l’industrie alimentaire. L’émergence d’un mouvement en faveur d’une alimentation saine et les discussions liées au changement climatique sont autant d’occasions et de munitions pour mobiliser les consciences contre ces grands groupes. « Les gens veulent un environnement propre et de bons aliments », a-t-elle observé. « Nous allons donc utiliser ces arguments et engager un dialogue avec nos camarades du secteur urbain puisque nos semences traditionnelles et nos méthodes d’agriculture agroécologique sont les seules capables de répondre à cette nouvelle demande. »

L’Afrique est entrée dans une nouvelle ère où ses gouvernements, toujours à la recherche d’investissements, devront rendre compte auprès des entreprises privées, lesquelles ne sont pas animées par la protection des intérêts des populations locales mais plutôt par l’augmentation de leurs bénéfices et l’élargissement des marchés.

« Les pays du COMESA, de la SADC et de la Nouvelle alliance représentent plus de la moitié de l’Afrique sub-saharienne ; c’est une pénétration des systèmes semenciers paysans et leur contrôle à tous les niveaux », a remarqué Delmah Ndlovu, leader paysan du ZIMSOFF. Il s’agit bien d’une réalité car la plupart de ces pays devront, un jour ou l’autre, commencer à mettre en œuvre cette réforme de la législation semencière qui favorise les entreprises semencières commerciales. « La Tanzanie a introduit des conditions inégales au profit de l’agro-industrie en lui octroyant un carte blanche et un accès sans limite aux marchés semenciers tout en paralysant les échanges de semences traditionnelles entre paysans », a précisé Ndlovu. Et d’ajouter : « Nous avons plus le choix. » Cette décision constitue une infraction de l’Article 9 du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (TIRPAA), en vertu duquel aucune législation ne doit « limit[er] les droits que peuvent avoir les agriculteurs de conserver, d’utiliser, d’échanger et de vendre des semences de ferme ou du matériel de multiplication. »

En cantonnant les échanges de semences à des zones prescrites, la Tanzanie (et les autres gouvernements qui malheureusement prendront la suite) va à l’encontre de la liberté des paysan-ne-s au moment d’échanger leurs semences et de choisir ce qu’ils cultivent, un aspect essentiel de la construction, grâce à la souveraineté alimentaire, d’une alternative au système alimentaire industriel. Par ailleurs, une telle décision est également contraire à notre culture qui encourage les liens entre familles, proches et communautés, que ces échanges viennent renforcer.

LVC SEAf et ses alliés entendent utiliser toutes les voies possibles afin de lutter contre ce genre de décisions. Au Zimbabwe, le ZIMSOFF va à la rencontre des consommateurs urbains pour influer sur leurs choix alimentaires. Avec d’autres organisations paysannes partageant les mêmes objectifs, ils organisent des foires de semences et d’aliments traditionnels dans les municipalités et participent aussi aux manifestations nationales similaires qui se tiennent chaque année. Le but de ces actions est de sensibiliser les populations aux problématiques touchant actuellement le domaine semencier et alimentaire.

Ces exemples doivent être encouragés et sont d’ores et déjà repris dans d’autres pays africains. Il est capital que les Africaines et les Africains se mobilisent et fassent pression sur nos gouvernements et les autres acteurs socio-économiques pour que la biodiversité génétique et les systèmes de valeurs et de cultures, si riches en Afrique, soient protégés. Nous devons toutes et tous prendre la souveraineté sur les décisions qui concernent nos vies !

LA LUTTE CONTINUE ET LA VICTOIRE EST CERTAINE !

GLOBALISONS LA LUTTE, GLOBALISONS L’ESPOIR !


[1] Agissant en faveur d’un recours plus large aux engrais synthétiques, aux semences améliorées et à la recherche agricole

[2] L’initiative porte sur dix pays africains et appelle à la réforme (a) des lois et politiques semencières pour les aligner sur l’Acte de 1991 de l’Union pour la protection des obtentions végétales (UPOV), et (b) des politiques foncières afin de permettre les investissements privés

[3] Portant principalement sur le commerce des semences

[4] Portant principalement sur un système de mise en vente des variétés selon des critères de distinction, homogénéité et stabilité (DHS)