L’accord de libre-échange entre l’Europe et le Maroc mis à mal par le statut du Sahara Occidental

Article paru dans le numéro 325 de Campagnes Solidaires, Février 2017

Le 21 décembre, la Cour de Justice de l’Union européenne a reconnu que le Sahara occidental ne relève pas du champ d’application de l’accord de libre-échange signé entre l’Union européenne et le Maroc et mis en œuvre depuis le 1er novembre 2012. Une décision lourde de conséquences. Dès le mois de novembre 2012, le Front Polisario, représentant les forces indépendantiste du Sahara occidental, avait présenté un recours contre l’accord, soutenu par l’eurodéputé José Bové, fervent militant anticolonialiste et opposant au projet d’accord lors de son examen par le Parlement européen. La décision prise par la plus haute instance judiciaire de l’UE vient étayer et relancer la démarche juridique de la Confédération paysanne. En janvier 2013, le syndicat a saisi, par l’intermédiaire de son avocat, le juge du tribunal de commerce de Tarascon à l’encontre de la société Idyl, basée dans cette ville des Bouches-du-Rhône. Au Sahara Occidental, l’entreprise française est un des principaux producteurs de fruits et légumes destinés à l’exportation vers l’Europe.

Selon l’ONG Western Sahara Resource Watch, les environs de Dakhla, la capitale du Sahara occidental, comptent onze grands sites agricoles, parmi lesquels ceux d’Idyl. Dans des serres géantes, on produit là surtout courgettes, melons et tomates, dont les tomates cerises vendues sous le nom « Etoile du Sud ». Injustement estampillées « origine Maroc », ces produits sont ensuite exportés à vil prix en Europe via Agadir, à mille deux cents kilomètres de là.

Le Maroc ambitionne pour la région un fort développement : le plan Maroc vert prévoit pour le Sahara occidental le passage de trente-six mille tonnes de primeurs en 2008 à cent soixante mille en 2020, sur une superficie de deux mille hectares. La totalité de ces productions est programmée pour l’export.

Problème : Le territoire est revendiqué à la fois par le Maroc et par la République arabe sahraouie démocratique (RASD), proclamée par le Front Polisario en 1976 après le retrait de l’Espagne dont le Sahara occidental était jusque là une colonie. Le Polisario, dont l’objectif est l’indépendance totale , s’appuie sur un « consensus écrasant parmi les Sahraouis vivant sur le territoire en faveur de l’indépendance et en opposition à l’intégration avec tout pays voisin », tel que décrit dans un rapport de l’ONU en 1975. Mais depuis fin 1975, le Maroc occupe militairement l’essentiel de la région.

Pour l’Organisation des Nations unies, le Sahara occidental demeure inscrit sur la liste des territoires non autonomes, c’est à dire non encore décolonisés. En 1991, l’ONU a obtenu un cessez-le-feu entre les belligérants, selon un calendrier qui stipulait la tenue d’un référendum l’année suivante. À la suite de désaccords incessants sur la composition des listes électorales, ce référendum n’a jamais été tenu.

Dans son arrêt du 21 décembre 2016, la Cour de justice de l’UE s’appuie sur la charte des Nations unies et le principe d’autodétermination des peuples. Elle explique qu’il n’est pas possible d’inclure le Sahara occidental dans l’expression « territoire du royaume du Maroc ». Or, c’est cette expression qui définit le champ d’application de l’accord de 2012 entre Bruxelles et Rabat, mais aussi celui d’un précédent accord, dit d’association UE-Maroc, en vigueur depuis 2000.

Pour la Confédération paysanne : « Depuis son entrée en vigueur il y a 16 ans, l’importation sans droits de douane de fruits et légumes en provenance du Sahara occidental par des entreprises européennes est donc illégale ! L’Union européenne a donc sciemment piétiné le droit international qu’elle a contribué à écrire. Le droit des peuples l’a, cette fois, emporté sur les appétits des entreprises, et ce malgré la pression exercée par certains pays, dont la France.

Cette décision met en évidence le mépris de toute considération non-commerciale dans les négociations d’accords de libre-échange. L’agriculture comme monnaie d’échange met en danger l’alimentation de tous, apparemment moins importante que les profits de quelques-uns. La Confédération paysanne exige la suppression de l’accord de libre-échange UE/Maroc, ainsi que tous les autres accords signés ou en cours de négociation, dont le Ceta qui pourrait être ratifié avec le Canada dans les semaines à venir. »

Et le syndicat de conclure son communiqué de presse du 9 janvier 2016 : « Cessons de croire, et surtout de faire croire, à une prétendue vocation exportatrice qui assurerait un avenir radieux. Pour les paysannes et les paysans, comme pour l’alimentation de tous, la solution passe par une relocalisation des productions, ici et partout dans le monde, en lien avec la demande. La fuite en avant du libre-échange doit être stoppée net pour permettre le développement de l’agriculture paysanne et de la souveraineté alimentaire ! »

Benoît Ducasse

Sources : « Si riche Sahara occidental », Olivier Quarante, Le Monde diplomatique, mars 2014 –

http://www.europe-solidaire.org – Wikipedia – Communiqué de la Confédération paysanne du 9/1/2017.

Photo : Production de tomates à grande échelle dans une serre au Sahara occidental. Le territoire est aussi le deuxième producteur mondial de phosphate destiné aux engrais pour l’agriculture intensive. Il totalise également mille deux cents kilomètres de côte, et ses eaux sont parmi les plus poissonneuses du monde. D’où l’appétit des pays voisins et de l’agrobusiness.