Europe : Parution du livre « Paysans mutins, Paysans demain »

Article paru dans le numéro 325 de Campagnes Solidaires, février 2017

Acteur et témoin de la construction du syndicalisme paysan en France et en Europe depuis les années 1980, Gérard Choplin publie un livre plaidoyer pour une autre politique agricole et alimentaire. « Entre 2003 et 2013, près de 30 % des exploitations agricoles de l’Union européenne ont disparu, soit plus de quatre millions. 56 % des agriculteurs ont plus de 55 ans. À l’heure où le chômage sévit, n’est-ce pas un défi d’arrêter l’hémorragie paysanne et d’établir les conditions financières, foncières, et de revenu pour que des millions de jeunes ou d’adultes se lancent dans ce métier ? » (« Paysans mutins, paysans demain », p.32)

Qui mieux que lui pouvait retracer cette belle histoire de la construction d’une alternative syndicale paysanne européenne, tant sa militance et son existence se confondent avec elle ? Celui qui fût en 1982 le jeune animateur de la CNSTP (1), aux côtés de Bernard Lambert, qualifie tous les insoumis à la dérive néo-libérale de la Pac de « mutins ».

 Dès cette époque, aux débuts des années 1980, ils sont en rupture avec la représentation syndicale officielle dans différents pays. Ils vont discuter et poser les fondations d’une nécessaire structure syndicale au niveau de ce qui s’appelait à l’époque la Communauté économique européenne, la CEE. La rémunération des producteurs de lait, la maîtrise et la répartition de la production dans un contexte de « montagne d’excédents » sont au programme des premières rencontres des « mutins » qui conduiront à la création de la Coordination paysanne européenne, la CPE, en 1986.

Après avoir rappelé que « 200ans de civilisation thermo-industrielle font craindre le pire pour l’espèce humaine », Gérard Choplin revient sur la création de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce, au tournant des années 1990 : « une arme de destruction massive de la paysannerie, au Nord comme au Sud ». « Les frontières économiques disparaissent, le business multinational écrit les règles à la place des politiques, plus de marché, moins d’Etat, le terrain de jeu des multinationales n’est plus l’UE mais le monde, le moteur de la mondialisation néolibérale est la différence de salaires et de droits sociaux entre les pays, nos systèmes de protection sociale sont attaqués, eux qui servent pourtant d’amortisseurs aux politiques néolibérales. »

C’est pourquoi la CPE va être actrice dans la création de la Via campesina qui accueillera à l’échelle mondiale 55 organisations de 36 pays, en mai 1993. Trois ans plus tard, le concept de souveraineté alimentaire émerge : « Il n’est pas l’autarcie ni un repli à l’intérieur des frontières, ni ne s’oppose aux échanges internationaux. Il veut des règles dans le commerce international et le droit des Etats ou unions d’Etats à définir leur politique agricole et alimentaire, avec le devoir de ne pas causer de tort aux autres économies agricoles ». Et Gérard Choplin de rappeler que « chaque région doit donc avoir le droit de se protéger d’importations à bas prix. Mais le refus du protectionnisme est un outil de propagande de la pensée néolibérale qui empêche un débat de fond sur le commerce international. Pourtant, toutes les grandes puissances agricoles se sont protégées d’importations à moins cher. Et les droits de douane ne sont-ils pas une recette intéressante pour les Etats, en particulier pour les plus pauvres ? La protection est un mot à connotation positive, comme la protection sociale ou celle de l’environnement ».

Gérard revient sur la difficile existence de l’échelon syndical paysan européen, avec un sous-financement chronique, des coûts de rencontres difficilement compressibles (déplacements et traductions)… et une Europe agricole qui dévie peu de sa route malgré les alarmes qui retentissent. Le mouvement paysan européen reste fragile. La nécessité de peser sur les politiques ne doit pourtant pas succomber au charme des alternatives locales de production et de consommation.

« Dans une Union européenne sans boussole, où les replis nationalistes s’affirment, nous avons besoin d’un mouvement paysan européen fort et autonome » : le « nous » utilisé par Gérard résume son parcours de vie engagé aux côtés des paysannes et des paysans, un parcours de militant qui n’a pas renoncé au combat pour une Europe où les paysans seront « partenaires et non plus concurrents ».

Christian Boisgontier

(1) Confédération paysanne des syndicats de travailleurs paysans, une des organisations qui en se réunissant fondèrent la Confédération paysanne il y a trente ans.

« Paysans mutins, paysans demain » (Pour une autre politique agricole et alimentaire), par Gérard Choplin – Préface de José Bové –  Editions Yves Michel (collection Société civile) – 12 x 22 cm – 240 pages – 15.00 €