Haiti: Lettre du mouvement social haitien sur les accords de libre échange

Lettre à Kelly C. BASTIEN, Président de l’Assemblée Nationale,Sénateur de la République d’Haïti

Concerne : Positionnement des organisations du mouvement social haïtien vis-à-vis de la ratification des Accords de Partenariat Économique (APE) et sollicitation d’une rencontre avec les Parlementaires.

Honorable Président, Honorables Sénateurs et Députés,

Notre pays vit actuellement une crise structurelle doublée d’une crise institutionnelle sans précédent dont les répercussions sur les secteurs économique, politique et social sont de plus en plus graves. Tel qu’il a toujours été dénoncé par plusieurs analystes, cette situation est conséquente aux choix de politiques publiques des vingt dernières années Ces politiques économiques et sociales sont dictées en grande partie par les Institutions financières internationales en fonction de leurs intérêts et au détriment de ceux de la majorité de la population haïtienne appauvrie.

Monsieur le Président, Honorables Parlementaires,

Les organisations signataires de cette lettre, qui représentent des secteurs importants de la vie nationale, sont de plus en plus préoccupées au regard des évènements qui ont secoué le pays au cours du mois d’avril 2008. Ces évènements traduisent l’échec des politiques néolibérales, si chères aux IFI et dont nos gouvernements et particulièrement celui en place, en font un cheval de bataille ; Ils ont été encore une fois, une manifestation du rejet quasi-total de la population.

 

En effet, depuis le milieu des années 1980, nos gouvernements ont engagé la République d’Haïti dans la voie d’une libéralisation commerciale outrancière qui est une imposition des Politiques d’Ajustement Structurel (PAS). Cette politique de libéralisation qui a montré ses limites et fait ses preuves comme stratégie de désarticulation des économies locales au profit des grandes multinationales en quête de débouchés pour leurs excédents de production. L’exemple haïtien est probant de l’échec de ces politiques car en moins de 20 ans, le pays a perdu une part importante de sa souveraineté alimentaire et est menacé par toutes les crises internationales en relation avec la macroéconomie, l’alimentation, l’énergie, etc.

Honorables Parlementaires,

Les organisations signataires, qui ont pour la majorité conduit les activités de la Coalition Nationale BARE APE, une fois de plus, tiennent à alerter la nation entière, les pouvoirs publics et plus particulièrement les Parlementaires, des choix économiques que veulent encore nous imposer les puissances internationales. Les nouvelles propositions d’échanges commerciaux (notamment les Accords de Partenariat Économique-APE) ont été dénoncées partout dans le monde comme mécanismes qui favorisent la décapitalisation des industries locales et la disparition quasi-totale de nos capacités productives dans le secteur agricole. En témoigne, le blocage de ces négociations principalement dans la région Afrique où la majorité des pays pose le problème de l’intégration régionale et la nécessité de renforcer les capacités productives locales au lieu de s’ouvrir à la concurrence internationale déloyale en faveur des grandes multinationales européennes.

En Haïti, nous avons constaté les conséquences néfastes de cette libéralisation commerciale à caractère néolibéral. La situation a empiré avec la signature des accords de libéralisation avec les Institutions Financières internationales dans les années 1995-1996, appliqués à la lettre par le gouvernement d’alors avec à la tête de l’Exécutif l’actuel locataire du Palais national, le Président René Garcia PREVAL. Comme conséquences directes de ces mesures de libéralisation à outrance, on peut citer la grande polarisation des richesses par un petit groupe alors qu’à l’opposé une partie importante (plus de 70% de la population) croupit dans la misère atroce. Cet état de fait contribue fortement à la désarticulation des liens sociaux entre les secteurs du pays. Il est à la base des crises récurrentes et de l’insécurité généralisée constatée dans le pays durant les 10 dernières années. Les exemples des pays comme l’Argentine, ou le Mexique qui a signé l’ALENA, sont très évocateurs pour montrer la nocivité de ces politiques par rapport aux besoins réels de développement économique et social et aussi la volonté d’évoluer en peuple souverain.

Monsieur le Président, Honorables Sénateurs et Députés,

Aujourd’hui, le gouvernement haïtien vous a soumis aux fins de ratification l’Accord de Partenariat Economique (APE) complet signé dans le cadre du CARICOM avec l’Union Européenne. Actuellement, sur six régions engagées dans les négociations, seule la Caraïbe a été forcée de signer ces accords sans tenir compte de leurs conséquences néfastes sur les politiques publiques au niveau national et la décapitalisation de nos secteurs productifs au profit des multinationales européennes. Durant plusieurs mois, nous avons mené une campagne intense d’information et de mobilisation à travers le pays où la population haïtienne dans sa grande majorité a rejeté le contenu de l’accord et en a fait certaines recommandations (Ref. Document en annexe). Les APE, comme mécanismes de libéralisation commerciale prévu dans le cadre de l’Accord de Cotonou et qui visent à s’aligner sur les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), s’inscrivent dans la même logique des Politiques d’Ajustement Structurel (PAS) et visent à la décapitalisation des secteurs économiques vitaux des pays pauvres au profit des multinationales européennes et aussi à affaiblir les processus d’intégration régionale déjà fragilisés par les disparités entre les pays dans la région Caraïbes.

Ainsi, Honorables Parlementaires,

Les organisations signataires de cette lettre, au nom de la majorité de la population haïtienne qui a rejeté les APE, vous prient de bien considérer les véritables enjeux de ces accords. Ceux-ci ne feront qu’exacerber la dépendance du pays vis-à-vis de l’international et n’offrent aucune possibilité réelle de redynamiser les secteurs productifs au niveau national ; Ainsi ils ne permettront pas au pays de bénéficier des processus d’intégration au niveau régional et international, comme l’a souligné la Député Guyanaise dans son rapport au Président français intitulé « Les Accords de Partenariat Économique entre l’Union Européenne et les pays ACP : Et si la Politique se mêlait enfin des affaires du monde ?».

Honorables Parlementaires,

Dans le but d’instaurer et/ou de continuer avec le dialogue entre le pouvoir législatif et les différents secteurs de la vie nationale autour des grandes questions nationales, les organisations signataires sollicitent de votre institution une séance en audience publique où nous pourrons exposer les éléments d’analyse qui nous poussent à rejeter ces accords (tel que cela est le cas dans toutes les régions impliquées dans les négociations). Cette rencontre nous permettra aussi de vous faire part des propositions alternatives ainsi que les mesures politiques à adopter en vue de renforcer la capacité de réponse du pays aux chocs externes. Cette séance pourra se tenir à la date et l’heure qui vous conviendront le mieux.

Confiantes de l’intérêt que vous allez accorder à cette correspondance et aussi sachant que vous allez défendre de toutes vos forces les intérêts nationaux en rejetant ces accords de la mort, les organisations signataires, vous prient, Monsieur le Président et Honorables Parlementaires, de recevoir nos patriotiques salutations.

Organisations signataires :

Léronel MORTIME Marc-Arthur FILS-AIME Guy NUMA

CHANDEL ICKL MODEP

Camille CHALMERS Pierre ESPERANCE Sony ESTEUS

PAPDA RNDDH SAKS

 

Carole Pierre Paul JACOB Osnel JEAN-BAPTISTE

SOFA TET KOLE TI PEYIZAN AYISYEN

Cc/ Honorable Pierre Eric JEAN JACQUES

Président de la Chambre des Députés

Presse écrite et radiophonique

p.j. Déclaration de la Coalition Nationale BARE APE dans le cadre de la Réunion Ministérielle du CARIFORUM en Haïti en Octobre 2007.