Haïti : Les paysan·nes luttent pour leur souveraineté alimentaire au milieu de nouvelles tentatives d’ingérence internationale
Le président dominicain, Luis Abinader, a pris la décision controversée de fermer les frontières entre la République dominicaine et Haïti. Cette mesure intervient à la suite d’accusations selon lesquelles des intérêts privés haïtiens détournent le cours de la rivière Massacre, arguant que cela pourrait réduire le débit de la rivière et endommager les écosystèmes en aval. Cependant, en vertu du droit international et des traités bilatéraux en vigueur, Haïti a le droit d’utiliser cette source d’eau partagée, à condition de le faire de manière équitable et non dommageable.
Une récente enquête révèle une réunion tenue le 27 mai 2021, au cours de laquelle les deux pays ont adopté une déclaration commune reconnaissant que “sur la base des informations fournies aujourd’hui par les représentants de la République d’Haïti et dans un esprit de compréhension et d’échange d’informations conformément aux dispositions du traité de février 1929, les travaux en cours dans la Rivière Massacre ou Dajabon pour la captation de l’eau ne consistent pas en un détournement du cours d’eau”.
La décision du gouvernement dominicain, dépourvue de justification et en violation du droit légitime du peuple haïtien à utiliser équitablement les ressources en eau partagées à la frontière, suscite des interrogations quant aux véritables motivations de cette mesure, laquelle a eu des répercussions graves sur les agriculteurs et les paysans résidant dans la région frontalière du nord-est d’Haïti. La plaine de Maribaroux, une région au fort potentiel agricole, dépend largement de la rivière Massacre pour l’irrigation de ses terres. La pénurie d’eau que connaît actuellement la région a incité les paysans à relancer les travaux d’aménagement d’un canal d’irrigation, dont la construction avait été convenue il y a dix ans et avait été interrompue à la suite de l’assassinat de l’ancien président Jovenel Moïse en 2021. La fermeture des frontières par le gouvernement dominicain répond à cette initiative urgente, ce qui met en péril la souveraineté alimentaire des populations haïtiennes du nord-est, tout en affectant le commerce transfrontalier entre les villes d’Ouanaminthe (Haïti) et de Dajabon (République dominicaine). Le vendredi 22 septembre dernier, des délégations de LVC Haïti se sont rendues sur place afin de témoigner leur solidarité envers les paysans de la région.
La mesure ayant pour objet la rivière Massacre rappelle la tragique histoire de la région. En 1937, le dictateur dominicain Rafael Trujillo a planifié un acte raciste et inhumain désigné sous le nom de “El Corte” ou “Massacre de Parsley”, ordonnant aux forces armées dominicaines de contraindre par la force les Haïtiens et les Dominicains d’origine haïtienne à quitter le pays en passant par la rivière. Cette tragédie a engendré un massacre au cours duquel plus de 20 000 vies ont été perdues. Ce n’est que des décennies plus tard, sous le gouvernement dominicain de Salvador Jorge Blanco dans les années 1980, que la frontière dominico-haïtienne a été rouverte.
Du fait des derniers événements, la République dominicaine a durci sa politique d’immigration envers Haïti, déjà assez violente, en menant des descentes et en construisant un mur à la frontière. De plus, la suspension des visas et la fermeture des points de passage frontalier ont accru les préoccupations quant à la violation des droits fondamentaux du peuple haïtien.
La Proposition du Kenya et l’Ingérence Internationale en Haïti
Le président Abinader s’est entretenu avec son homologue kényan, William Ruto, le 19 septembre dernier pour discuter de la proposition de créer une force multinationale en Haïti, affirmant que “la même communauté d’Haïti se trouve dans l’impossibilité de résoudre ses problèmes”. Lors de cette réunion, qui s’est tenue dans le cadre de la 78e Assemblée générale des Nations Unies à New York, le président dominicain a précisé que la République dominicaine ne participerait pas à une action militaire “pour des raisons évidentes” et a expliqué que la réunion avec Ruto visait à connaître les plans du Kenya afin que son administration puisse mettre en œuvre des mesures de sécurité, coïncidant avec la fermeture injustifiée des frontières avec Haïti décidée quelques jours plus tôt. Dans ce contexte, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a annoncé un soutien de 65 millions de dollars pour la formation de la police haïtienne et a appuyé l’initiative du gouvernement kényan, s’engageant à fournir 100 millions de dollars supplémentaires en soutien logistique et financier, comprenant la protection des installations clés et l’assistance en matière de communication et de renseignement, dans le but de soutenir la mise en place d’une force multinationale dirigée par le Kenya.
Cette proposition inacceptable, qui vise à encourager l’intervention internationale en Haïti, devra être examinée et approuvée par le Conseil de sécurité des Nations Unies dans les prochains jours et semaines. Par ailleurs, les organisations paysannes et la société civile haïtienne ont réitéré leur appel à une “solution haïtienne pour Haïti” à travers une déclaration publique émise par le Bureau de suivi de l’Accord du 30 août 2021, également connu sous le nom d’Accord de Montana. Cet accord propose une série de mesures mettant l’accent sur la souveraineté du peuple comme clé pour résoudre la crise provoquée par des intérêts capitalistes étrangers.
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