France : Parce qu’il n’y a pas d’étrangers sur cette terre
Article paru dans Campagnes solidaires de mai 2016
Dans le Morbihan, des paysannes et des paysans de la Confédération Paysanne se mobilisent pour venir en aide aux réfugié·e·s fuyant les guerres ou la misère dans leurs pays.
Décembre 2015 : chez nous l’hiver est doux, on prépare les fêtes de fin d’année. Aux portes de l’Europe, des hommes, des femmes, des enfants continuent à s’échouer morts ou vivants sur nos côtes, à s’agglutiner près des postes frontières fermés. Fermés pour nous protéger, pour préserver nos modes de vie !
Plus près encore, des hommes, des femmes, des enfants ont réussi à traverser clandestinement plusieurs pays pour se retrouver coincés à quelques encablures de l’Angleterre dans des camps insalubres au nord de la France.
Et, un jour, un coup de fil : « Vous à la Conf’, qu’est-ce que vous pouvez faire pour les réfugiés ?»
D’abord, un grand silence…
Puis, on pose le débat.
La Jungle de Calais, le camp de Grande-Synthe… Un déficit d’humanité et une vrai urgence humanitaire.
Parce que cela nous révolte, parce-que notre métier c’est produire de la nourriture, nous proposons de faire des chantiers collectifs de productions de légumes de conservation chez quelques paysan.ne.s du département.
Collectif pour opposer un chantier commun à un égoïsme de nantis, collectif pour interpeller, sensibiliser et permettre à tous de s’investir pour un meilleur accueil des réfugiés, celles et ceux qu’on appelle « les migrants », espérant ainsi qu’ils ne soient que de passage.
Quelques fermes mettent des terrains à disposition aux quatre coins du département. L’association de producteurs Payzons Ferme veut bien fournir du plant de patates. Goulven, maraîcher, a des idées sur les légumes à produire et des conseils techniques à dispenser.
La Grande Boutique, « friche articole » à Langonnet (2), organise le 13 mai prochain, un concert des groupes Charka et Ganga Mix pour financer l’achat de semences et de plants.
L’association Utopia 56, présente sur place, dans les camps (3), est ravie de l’implication de la Confédération paysanne. Elle pourra acheminer les denrées récoltées et, en attendant, nous renseigne sur les besoins alimentaires. Vu notre climat, on ne satisfera pas les besoins en citrons et pois chiches mais on pourra fournir des oignons, poireaux, haricots secs ou encore des patates. De quoi enrichir les menus basés sur des conserves.
Des chantiers s’organisent avec des paysan.ne.s, des Ami.e.s de la Conf’ (4), des voisin.ne.s. Ensemble, nous ferons les semis et plantations, l’entretien puis les récoltes. Les réseaux s’activent…
Mais la crainte d’un Resto du Cœur bis ou de généreuses initiatives personnelles font que certain.e.s confédéré.e.s préfèrent s’investir pour assurer directement l’hospitalité à des réfugiés ou gérer localement leur accueil. Ainsi, à Guéhenno, petite commune rurale du centre du département, des paysan.ne.s se sont impliqué.e.s pour former une équipe travaillant actuellement à l’accueil d’une famille par la voie officielle (dossier préfecture, coordination des actions avec une municipalité…). Cette équipe est en lien avec une autre, à une cinquantaine de kilomètre, inscrite dans la même démarche et qui, elle, renouvelle l’expérience de la solidarité internationale. Autre temps, autre guerre, ces personnes avaient accueilli il y a 25 ans trois familles bosniaques, aujourd’hui intégrées à la population locale.
Enfin – mais la liste n’est pas exhaustive – il y a celles et ceux qui préfèrent mettre les mains dans le cambouis que dans la terre et vont passer quelques jours sur place avec l’association Utopia 56 qui gère le nouveau camp installé à Grande-Synthe. Ce qui n’est pas une sinécure, comme en attestent Stéphanie, l’animatrice de la Confédération paysanne du Morbihan : « Il m’a fallu du temps, ainsi que le témoignage de copains de retour de Calais, pour trouver le courage d’aller sur place donner un coup de main et me confronter à cette réalité.
J’en suis rentrée épuisée physiquement et psychiquement, les tripes retournées. Mais encore plus convaincue que j’ai ma toute petite part de colibri à faire. Et notamment pour assumer l’impuissance que je ressens en écoutant ou lisant des infos. Si à Grande-Synthe on se frotte au pire de l’humain, on peut aussi y déployer et y côtoyer le meilleur. »
Eternelle fable du petit colibri qui rappelle à chacun.e, qu’en fonction de ses moyens, on peut tous et toutes participer à changer le monde !
Véronique Marchesseau,
paysanne dans le Morbihan
(1) Le Titre est inspiré d’un slogan de la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués)
(2) www.lagrandeboutique.fr
(3) www.utopia56.com
(4) Une association départementale des Ami·e·s de la Confédération paysanne vient d’être créer dans le Morbihan.