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Féminisme paysan et populaire

VI Congrès de la Cloc- Via Campesina – Proposition de texte pour le débat de l’Assemblée des femmes

13 avril 2015. Le grand nombre de femmes participant à l’organisation et à la politique des mouvements sociaux ruraux à niveau international a permis la construction d’un mouvement féministe spécifiquement paysan et populaire. Le défi posé par l’élaboration de nouvelles relations entre hommes et femmes a mené à se pencher à nouveau sur notre position politique du point de vue d’un mouvement féministe de travailleuses, paysannes et autochtones, c’est-à-dire sur un féminisme en coordination avec la classe ouvrière.

Nous reconnaissons qu’il existe de nombreux féminismes et leur contribution historique. Pour autant, nous nous positionnons comme étant des féministes conscientes du fait que l’égalité de fond dans les relations entre homme et femme ne peut être pleinement obtenue dans le cadre du capitalisme. Nous luttons pour la destruction de toutes les formes de domination et d’exploitation de ce modèle néfaste. De même, nous soutenons que, dans la lutte pour construire une nouvelle société, au-delà du capitalisme, il est nécessaire d’aborder les inégalités entre les sexes.

La lutte pour l’émancipation de la femme doit aller de pair avec la lutte pour en finir avec la propriété privée, pour le droit à la terre et au territoire, pour la réforme agraire, contre les transnationales, les OGM, les pesticides, les entreprises minières, etc. Un changement structurel n’est pas un changement de pouvoir. Il doit être porteur d’une société devant se construire sur la réalité objective que nous vivons, même si la réalisation du processus d’émancipation se fait dans un autre contexte. Chaque jour, les femmes font l’expérience d’une double domination: l’exploitation de classe et l’oppression de genre. Et lorsque des femmes participent aux luttes et  s’organisent en mouvements, qu’ils soient mixtes ou de femmes,  elles amènent avec elles ces déterminations socialement construites.

Lorsqu’elles prennent conscience des déterminations de classe et de genre, les femmes se rendent compte que leur contribution historique a été celle de défier le modèle capitaliste et de détruire le modèle patriarcal qui subordonne les femmes en leur imposant des modèles de comportement et la domination de leur corps.

C’est pourquoi nous nous exclamons: Sans féminisme, pas de socialisme!

Le patriarcat, Relations entre hommes et femmes et Société de Classes

Le patriarcat est un système structurel de domination de la propriété privée et de la société de classe. Son développement historique est lié à la rupture des relations sociales existant dans les sociétés primitives où les relations entre hommes et femmes étaient très différentes de celles qui sont la norme dans la société actuelle.

L’appropriation du travail d’autrui, l’affrontement entre les formes de coopération  pour la survie et le changement dans la place proéminente qu’occupait la femme dans ces sociétés,  ont constitué les conditions fondamentales menant à l’exploitation dans les sociétés de classe.

Afin de garantir l’exploitation entre les classes, se basant sur une division sociale du travail, il était essentiel de subordonner les femmes en relation avec les hommes, en particulier en relation avec la société, en créant une hiérarchie de genre en lien avec la hiérarchie sociale.

La recherche pour la garantie d’une survie est devenue une tâche individuelle et non collective, la famille fut structurée comme étant une cellule de cette société de classe, s’occupant des tâches de la vie sociale développées dans le domaine privé. Les soins et l’éducation des enfants et des personnes âgées, les repas à préparer, le ménage domestique, tout est devenu « domaine de la femme ». D’autre part, les femmes des classes laborieuses, ont toujours travaillé chez elles et à l’extérieur, ayant des journées intenses et exténuantes sans dichotomie entre espace public et espace privé.

Les différentes relations sociales entre les femmes et les hommes se normalisèrent dans un cadre idéal pour la famille où les femmes sont devenues des épouses et les hommes des époux. Cela entraina une domination sur le corps de la femme et sur les décisions individuelles;  le mythe de la virginité, le châtiment violent de l’infidélité féminine, la répression sexuelle, ne sont que quelques-uns des exemples de cette domination.

Peu à peu, certains traits s’imposèrent  pour définir ce que signifiait être femme ou être homme. On attribuait toujours à l’homme le manque de sensibilité, l’intelligence, le courage et la force alors que la femme était dépendante, belle, fragile et possédait une capacité de compréhension infinie.

La construction sociale de la subordination des femmes s’est imposée au moyen de différentes formes de domination et principalement par la violence, infligée par les hommes et par l’Etat et consentie par l’ensemble de la société. De jour en jour, diverses manifestations de violence à l’encontre de la femme, qu’elles soient physiques, émotionnelles ou psychologiques apparaissent, comme si la femme devait être punie au motif d’apprendre quelle est sa place dans la société.

Les femmes et les hommes se virent donc affectés par la structure du patriarcat dans différentes classes des sociétés: primitive, esclavagiste, féodale et capitaliste. Dans ces différents modes de production, les femmes étaient obligées de se comporter selon un certain modèle qui leur imposait comment elles devaient sentir, penser et être. Les femmes, qui osaient briser ce modèle de comportement, ont été poursuivies et châtiées dans une chasse aux sorcières qui s’est poursuivie au-delà su Moyen-âge et subsiste encore à ce jour selon diverses formes.

Dans le capitalisme, le patriarcat relève d’une société où tout est transformé en marchandise, même les femmes et leur corps. La division sociale historique du travail est liée à une division sexuelle du travail, d’où les inégalités entre hommes et femmes.

En conséquence, les heures de travail intense des femmes s’étalent afin de garantir l’exploitation du travail productif et reproductif,  fondamental pour le capitalisme du point de vie économique. Du point de vue idéologique, la femme devient invisible. De telle sorte que le travail domestique n’est pas considéré comme un travail sinon comme une extension naturelle du statut de femme. Et le travail à l’extérieur de la maison est moins rémunéré uniquement parce qu’il est effectué par des femmes.

Or les femmes, tout au long de l’histoire, ont élaboré des formes de résistance et de lutte contre le patriarcat. Et surtout, les femmes travailleuses ont relié ces luttes à la remise en question du modèle de fonctionnement des entreprises et de toutes leurs expressions de domination. Cette construction de résistance et de lutte, provenant du rôle de la femme, constitue le Mouvement féministe international.

 La lutte des femmes et la construction d’un Féminisme paysan et populaire

Même avant l’essor du féminisme, les femmes se sont toujours indignées et ont résisté aux conditions de la domination imposée par les sociétés de classe. Pour faire face à cette situation, les procédés ont été nombreux. C’est à partir de cet héritage historique que surgit le féminisme.

Le féminisme, en tant que mouvement socio-politique, apparait au milieu du XIXème siècle lors de luttes menées dans divers pays, principalement en Europe, pour la réduction des heures de travail et l’amélioration des conditions de travail. Rapidement la lutte des femmes travailleuses se joignit à la lutte socialiste qui prenait alors son envol.

Avec le progrès des luttes des femmes pour leur émancipation, de nombreux mouvements féministes ont été créés rejoignant différents courants théoriques et politiques allant du féminisme libéral au féminisme révolutionnaire.

La mémoire historique de l’émergence du féminisme lié aux luttes de la classe ouvrière a été systématiquement attaquée. On a essayé d’associer les demandes des femmes à un simple programme d’égalité entre les sexes, facilement repris par les soi-disant politiques publiques proposées par la Banque mondiale. On a même réduit la lutte des femmes à une question culturelle de la liberté sexuelle ou à une simple inversion des rôles de pouvoir en relation avec les hommes.

Contrairement à ce que beaucoup pensent, le féminisme n’est pas le contraire du machisme. En effet, le machisme est l’expression de l’idéologie dominante qui s’exprime par la domination et la supériorité des hommes sur les femmes. C’est un produit direct du patriarcat. Les hommes et les femmes sont affectés de différentes manières par le patriarcat et le machisme et ils doivent lutter pour leur capacité de récupération et dans ce processus, le rôle de la femme est fondamental.

D’autre part, il faut également reconnaître que le féminisme révolutionnaire fut limité pendant longtemps à une perspective euro-centrique sans tenir compte des réalités des femmes dans d’autres pays et régions.

En outre, que ce soit dans les luttes révolutionnaires ou les expériences socialistes, la question des femmes a souvent été abordée comme un thème secondaire, comme si tout pouvait se résoudre par la centralité de la classe. L’histoire a démontré que ce fut une grande erreur, parce que la classe se compose des différences liées au genre, peuples, ethnies, cultures et générations qui doivent être abordées de manière radicale pour voir quel est son rôle dans la lutte, comment les femmes participent et comment sont-elles liées à un projet commun de changement social.

Du point de vue du féminisme des travailleuses, c’est-à-dire d’un féminisme révolutionnaire, nous élaborons une réflexion sur ce que nous osons appeler le féminisme paysan et populaire.

Ses fondements se structurent à partir d’une analyse de la réalité actuelle du monde rural à niveau international en identifiant les éléments communs à tous: l’appropriation des biens naturels par le capital, l’appropriation de l’agriculture par les marchés boursiers, l’action des transnationales en branches stratégiques de l’agrobusiness, les industries minières et hydroélectrique ainsi qu’un appareil d’Etat puissant de la majorité des gouvernements pour subventionner le capital au moyen d’investissements et d’un financement public important.

Tout ceci a provoqué une augmentation de la violence à l’encontre des communautés autochtones, afro-descendantes et paysannes avec des expulsions, menaces, assassinats et persécutions ainsi qu’une énorme perte de la biodiversité, de la souveraineté et du contrôle sur les semences et les aliments. Sans compter que cela gêne tout processus de démocratisation pour l’accès à la terre comme la réforme agraire.

En plus de cette analyse commune, les femmes ont développé un processus de résistance et de lutte contre ce modèle, en expliquant les impacts du capital sur la vie des femmes et des communautés. L’expression la plus forte en sont les actions du 8 mars, Journée internationale de la Femme,  et l’action menée par les femmes de la CLOC – La Via Campesina –au  Brésil en 2006, avec la destruction de plants d’eucalyptus d’une entreprise de cellulose  “Eucalipto de Aracruz”. Chaque journée de lutte est une preuve quotidienne de l’exploitation de classe et des effets du patriarcat sur toute la société y compris dans le monde rural.

Sans féminisme, pas de socialisme!