Deux ans après la signature de l’accord de paix entre le gouvernement colombien et les forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC)
Communiqué de la Via Campesina
(Harare, 24 novembre 2018) Comme vous le savez, le gouvernement du président Juan Manuel Santos, au nom de l’État colombien, et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie- FARC (étant à présent un parti politique légal) ont signé un accord de paix le 24 novembre 2016 pour faire cesser un conflit armée qui a ravagé le peuple colombien pendant plus de 50 ans. Ce conflit a eu de profondes conséquences économiques, sociales et politiques et a créé une douloureuse rupture du tissu social, de la vie commune et de l’unité des familles et de la société colombienne.
La Vía Campesina, organisation qui regroupe environ 200 millions de paysans et de paysannes du monde entier et qui participe comme l’une des organisations garantes du processus de paix à la demande des parties concernées, voit avec une profonde préoccupation comment, après deux ans de la signature de l’Accord final pour la fin du conflit et la construction d’une paix stable et durable, les points fondamentaux de cet accord ont subi des modifications dans leurs parties essentielles d’après les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire de l’État colombien.
C’est ainsi, par exemple, que le point 1, intitulé Réforme Rurale Intégrale (RRI): vers une nouvelle campagne colombienne qui envisage la réalisation d’un cadastre rural pendant les dix prochaines années pour élucider l’origine de la propriété des terres n’a pas avancé… La création d’un fond de terres de trois millions d’hectares pour les paysan.ne.s sans terre ou ayant des terres insuffisantes, la formalisation massive de la propriété rurale sur 7 millions d’hectares à travers la clarification de titres et d’actes, pour un total de 10 millions d’hectares : Rien de cela n’a vu le jour.
C’est aussi le cas du point 4 qui concerne la solution au problème des drogues illicites, un autre point essentiel pour la campagne colombienne et pour les communautés rurales. Pourtant ces communautés envisagent des compromis tels que les plans intégraux, l’éradication volontaire, la participation des gouvernements locaux et départementaux, ainsi que le financement de projets et de programmes de remplacement de la part de l’État si ces projets comptent avec la participation et l’accord des communautés.
Cet Accord n’a pas été respecté et il a été remplacé par la criminalisation, la judiciarisation et la pénalisation qu’imposaient déjà le gouvernement antérieur à celui du président Juan Manuel Santos, et qui sont aggravées actuellement par les mesures du nouveau président Iván Duque. Ce dernier a décidé d’imposer l’éradication forcée et la fumigation aérienne du glyphosate ayant pour effet des conséquences graves pour la santé humaine, la faune et la flore. Il donne aussi une réponse militaire, pénale et judiciaire à un problème qui est essentiellement social et économique.
Des aspects fondamentaux comme la Justice Spéciale pour la Paix (JEP) ont été modifiés par les différentes branches du pouvoir dans des aspects essentiels. Par exemple, l’obligation de déclaration préalables a été supprimée et cela prive la société de connaître la participation réelle des multinationales, des banques, des latifundia d’élevage, de l’agro-industrie, des fonctionnaires et personnel civil appartenants à l’État colombien dans l’organisation, le financement et le soutien à des groupes paramilitaires et autres structures et organisations qui ont participé à ce long conflit armé.
Comme si cela ne suffisait pas, la création de 14 nouveaux magistrats assumant la fonction d’interroger et de juger les militaires a provoqué une nouvelle mutilation aux organes vitaux de la JEP. Cette nouvelle fonction couvrira sans doute avec le voile de l’impunité et de l’immunité les crimes militaires. Par ailleurs, elle viole aussi le droit aux victimes à la vérité, la justice, la réparation et non-répétition, le droit de savoir ce qui s’est passé avec les membres de leurs familles qui ont été torturés, assassinés ou disparus, les noms et la responsabilité des exécuteurs intellectuels et matériels. Tout cela empêche sérieusement le travail de la JEP, de la Comisión de la Verdad (en français, Commission de la vérité) et de la Comisión de Búsqueda de los Desaparecidos (en français, Commission pour la recherche des disparus). Tout ceci est encore plus grave si l’on considère que les victimes ont été le point focal de l’attention dans l’Accord de paix.
Mais les victimes ont aussi constaté le viol de leurs droits dans l’Accord où il était aussi prévu l’accès à 16 sièges du Parlement colombien, ce droit leur a été aussi nié. La réforme politique envisagée dans la signature de cet Accord fait partie également des points non tenus par le gouvernement et l’État colombien.
En ce qui concerne la réintégration des ex-combattants des FARC, l’Accord de paix prévoit un financement de 12 millions de pesos par ex-combattant pour des projets productifs, ainsi que la garantie de construction et réparation des voies de transport et d’autres services essentiels, tels que le logement, la santé, la formation et l’éducation. L’État colombien ne respecte pas non plus cette obligation.
Ce qui est le plus grave et révoltant, c’est qu’une fois signé l’Accord, une vague criminelle d’extermination contre les ex-combattants des FARC et leurs familles s’est déclenchée, ainsi que contre les dirigeants et activistes de gauche, les défenseur.e.s des droits humains, les activistes environnementaux, les paysan.ne.s, indigènes et descendants d’Africains. Ceci n’est pas sans nous rappeler la période sombre d’extermination de l’Union Patriotique, et pourtant l’État n’a pris aucun engagement pour combattre, démanteler et faire subir un procès judiciaire aux groupes paramilitaires. La Fuerza Alternativa Revolucionaria del Común (en français, force alternative révolutionnaire du commun) a récemment dénoncé le fait qu’une étape supplémentaire avait été franchie dans la volonté d’extermination de ses dirigeants, activistes et membres suite à l’annonce d’un nouveau plan de criminalisation annoncé par les porte-parole de la police colombienne.
À plusieurs reprises, le Centre démocratique et le président colombien Ivan Duque ont exprimé publiquement, dans certains cas, leur désir de réduire en miettes l’Accord de paix, dans d’autres cas, leur volonté de le revoir et réformer profondément.
Nous avons témoigné – aussi bien dans notre première (2016) comme dans notre deuxième (2017) Mission internationale de solidarité avec la Colombie – des défis pour la paix dans ce pays, la vision des paysan.ne.s dans leurs territoires et le besoin de justice environnementale pour la justice sociale. Engagés pour la paix et fidèles à notre rôle de garants de cette dernière, nous allons organiser la troisième Mission internationale de solidarité en 2019, animés du désir profond de retrouver le peuple et le gouvernement dans une voie de paix stable et durable.
Face à tous ces constats, La Via Campesina appelle le peuple colombien, ainsi que toutes les organisations dans le monde, la communauté internationale, les Nations unies, la FAO, l’OIT, l’Union Européenne, le mouvement des non-alignés, les gouvernements, les organisations, les personnalités influentes, à élever leurs voix et exiger le respect rigoureux de l’Accord final pour la cessation du conflit et la construction d’une paix stable et durable sans réforme ni retard.
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